A la nouvelle conférence de presse
sur la présidentielle du 10 avril et du 9 mai au Tchad, à la Fondation Gabriel
Péri à Pantin, les journalistes sont venus moins nombreux qu’à celle
du 3 mars 2016, bien que le leader de l’opposition tchadienne, Saleh
Kebzabo, intervienne de nouveau. Les media français semblent être déjà
passés à la suite sans s’être méfiés que la crise électorale s’enracinait à un
autre rythme qu’à Djibouti ou au Congo Brazzaville.
Dire que tout est terminé parce que
le dictateur s’impose par la voie officielle, en sous-entendant que les
mascarades électorales sont inévitables en Afrique, ne correspond pas la
réalité tchadienne. En enquêtant, en se renseignant auprès des opposants, on
peut comprendre que l’enjeu n’est pas situé là où la version officielle a
essayé de le placer.
La technique des processus électoraux
en Afrique ne passionne pas les lecteurs et auditeurs français, sans doute parce
que cela demande une attention à une complexité. Mais cette complexité n’est
pas si grande, ce sont surtout des habitudes qui sont prises, au travers de
préjugés, qui renvoient à un certain mépris pour la démocratie en Afrique, et
sont maintenant intégrées dans des mécanismes inconscients, un suivisme des
positions officielles et de l’autocensure.
Pourtant, ce n’est pas si dur de
voir que Denis Sassou Nguesso, Ismaël Omar Guelleh puis Idriss Déby ont
inversé le résultat du premier tour avec des méthodes très proches. La
constatation des techniques de fraudes le jour du scrutin et de compilation des
résultats permet de constater la similitude de la méthode. Les dictateurs n’organisent
pas les scrutins pour les perdre et ne veulent pas se confronter aux seconds
tours. Malheureusement beaucoup de media préfèrent privilégier la version
officielle, puis remplacer l’enquête sur le scrutin, par une dialectique qui
met en scène les efforts des opposants face à un ennemi invincible, sans
remettre en cause la version officielle. En effet pourquoi commencer par dire
qu’un chef d’Etat est élu quand il n’est pas élu et quand il n’a jamais été élu
depuis 20 ou 30 ans, et qu’il se maintient au pouvoir par la force et la fraude
électorale.
La réalité tchadienne est tout
autre. Les diplomates et militaires peuvent être inquiets de l’après Déby, si
la démocratie ne s’est pas installée avant sa mort. Derrière la puissance
militaire se cache un état encore mal structuré, parce que le clan au pouvoir a
monopolisé l’essentiel de l’appareil de l’Etat. Idriss Déby est contesté dans
la rue depuis peu. La société civile et les partis arrivent à mieux s’organiser
et à capter le mécontentement de la population. Une nouvelle inversion du
résultat au premier tour s’inscrit dans un historique électoral depuis 1990 et
le bilan d’Idriss Déby qui s’aggrave lui sera reproché ardemment. Le rapport de
force va continuer de se durcir. Il y avait déjà des « villes mortes »
et cela va continuer autant que faire se peut.
M. Saleh
Kebzabo, le candidat de l’Union nationale pour le renouveau et le développement (UNDR) qui intervient par téléphone depuis Ndjaména,
et M. Abdel-aziz Koullamallah, directeur adjoint de campagne de M.
Laokein Medard Kourayo, le Maire de Moundou, leader de la Convention
Tchadienne pour la Paix et le Développement (CTDP) sont en mesure de bien
décrire le processus électoral à l’étape actuelle. Makaila Nguebla et
Mahamat Zang animent la conférence.
Les fraudes se sont déroulées surtout
dans les régions du Nord: bourrage de centaines d’urnes et
trucage de milliers de procès-verbaux.
Dans les régions du Nord, les délégués de l’opposition ont été chassés et, dans les
procès verbaux, le score de Déby a été arbitrairement fixé à plus de 90%, malgré l’évidence de la
défaite d’Idriss Déby dans certaines villes et régions. Au Sud, la population
et les partis ont, en partie, réussi à empêcher les fraudes. Même si Idriss Déby avait 100% dans les 13
régions du Nord, alors en fonction des Procès verbaux au Sud, son score serait
au maximum de 42%, soit 35,62% + 10,1%(1-0,3562) = 42,12%, où 35,62% est le
pourcentage d’électorat du Nord et 10,1% le pourcentage de votes de Déby au Sud.
Il ne pourrait en aucun cas être élu au premier tour. Si les résultats réels
apparaissaient, il pourrait même arriver en 4e position et ne pas
être retenu au second.
Dans ces conditions, que vont dire les acteurs de
la communauté internationale concernés par les processus électoraux en Afrique
et par la présidentielle tchadienne ? Une vision à plus long terme du
Tchad exigerait de renforcer la démocratie et l’Etat de droit dès maintenant
pour prévenir un conflit dans les années qui viennent. Alors que le Conseil
constitutionnel tchadien s’apprête sans doute à mentir sur la valeur du
processus électoral en validant un résultat inversé, un discours honnête sur la
technique des processus électoraux serait la manière la plus simple de soutenir
les démocrates tchadiens.
Entre autres, la réaction internationale immédiate déterminera l’Etat
du Tchad dans les années à venir dans une région, l’Afrique centrale, qui sera
soumise à la pression de la volonté populaire pour
arriver aux départs des dictateurs. Les puissances étrangères ne sont pas
si bien perçues en Afrique, qu’elles puissent faire l’impasse sur l’opinion
publique qui émerge, par les nouvelles technologies et le caractère inexorable
de la démocratisation de l’Afrique centrale. Le passif est déjà tellement
important que toutes nouvelles erreurs de posture viendront aggraver un bilan déjà
très lourd. Une vision à court terme est dangereuse.
Régis
Marzin, article
écrit et publié le 3.5.16
Excellente synthèse de la conférence de presse du 02 avril 2016, sur la crise électorale au Tchad; et rappel du contexte.
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