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Ce jeudi, je suis enfin en train de terminer une longue recherche
bien difficile de plusieurs semaines, quand je trouve un mail qui annonce
une soirée quelques heures après, une publicité tardive, approximative sans organisateur
affiché. Ecologie, bandes-dessinées,
Bretagne, migrants d’Afrique, agriculture, à la Pépinière, à 21h, tout pour me
plaire ! Le débat est intitulé « Enquêter-créer-militer-partager ».
Moi aussi, j’enquête
toute la journée…
En arrivant, je vois qu’il n’y a quasiment que des jeunes
vers 20-25 ans. L’animateur indique qu’il est d’un groupe appelé Amarantes,
du nom d’un plante qui résiste au Round
Up. J’arrive à savoir que les étudiant-e-s d’EHESS présent-e-s en nombre sont
surtout d’un ‘parcours’ ou master intitulé
Etudes
environnementales.
Giorgio de l’association Terre
de Luttes, présente une recherche sur les « victoires » dans les
luttes écologiques. Terre de lutte a réalisé 42 entretiens et étudie la « synchronisation
des tactiques », l’« intelligence collective » dispersée, les
enrichissements mutuelles des approches – il ne parle pas des interactions négatives,
si une tactique détruit le travail d’une autre, ce qui arrive pourtant avec les
approches violentes – la structuration des réseaux… De quoi discuter mais le
débat avec la salle ne décolle pas. On n’est pas au FRAP, ici !
Elsa Lecarpentier, autrice de la BD « Toujours
puce. Les macrodégâts de la microélectronique », faite avec sa sœur Maud,
sortie en 2024 au Monde à l’envers. La BD retrace une enquête sur l’usine de la
multinationale MicroST à Grenoble, qui pompe l’eau de la ville, autant que la
ville elle-même. Un collectif STopMicro
lutte pour la fermeture de cette usine qui a des activités stratégiques
militaires et est soutenue par le maire écologiste comme par l’Etat. Il s’agit aussi
de parler de « l’impact environnemental de l’industrie et du numérique ».
La BD mélange fiction et reportage.
Tarik Belkadi et Habib Ali Mohammed Musa présente les
activités et les enquêtes
de l’association A4, réalisées
par les demandeurs d’asile eux-mêmes. L’enquête présentée ce soir a été faite près
de Lannion, dans les Côtes d’Armor. A4 s’inquiète de l’utilisation de produit
dangereux et lutte contre l’exploitation des ouvriers agricoles dans des fermes
en agriculture industrielle.
La journaliste et autrice de BD connue pour les algues
vertes, Inès Léraud, et l’historien Léandre
Mandard, thésard sur le remembrement en Bretagne, présente la BD « Champs de
bataille, L’histoire enfouie du remembrement » qui vient de sortir,
chez Delcourt. Inès Léraud a apprécié de travailler en associant les méthodes
de journalistes et d’universitaire. Dans le Finistère ou Penn ar Bed, dans les
années 70, des militant-e-s ont mis des journalistes dans un bus, ce qui a un
peu stoppé le remembrement. Cela me rappelle les bus dans lesquels j’étais, sur
les Biens mal acquis des dictateurs africains à Paris en 2007 (p38)
et le bus sur les élections en Afrique en
2012.
Le débat est un peu flou, sans véritable enjeu. Le mot ‘climat’
est tellement dans toutes les têtes qu’il n’a plus besoin d’être prononcé. Quelques
points sont précisés, comme sur le lien avec des luttes en Afrique : Tarik
Belkadi évoque rapidement une « écologie
décoloniale ». Certains veulent des actions plus dures sans doute,
mais raisonnablement. Inès Léraud souligne que sa nouvelle enquête, au
contraire de celle sur les algues vertes et la FNSEA, n’« emmerde personne »,
même si 20 000 kms de haies (on dirait talus en Bretagne) disparaissent chaque
année en France, qu’il s’agit de « rendre justice », de montrer que « la
logique capitaliste nous a séparé de notre capacité d’autosubsistance » et
de « susciter des vocations paysannes » alors qu’il ne reste plus que
400 000 agriculteurs en France.
Le bal folk commence ensuite : Léandre Mandard à l’accordéon,
un violon, une guitare, tout en acoustique, et une dizaine de jeunes, dont Inès
Léraud qui chante aussi dans une chorale. Ce sont de vieilles chansons engagées,
certaines, dans la BD sur le remembrement (il y’en a même une en breton). Les
chansons des grands-parents en lutte à Plogoff
ou dans le Larzac ? La bulle militante du Larzac d’Attac en 2003 est définitivement
oubliée. Quelle ambiance ! Manque juste le feu de bois et une ou deux personnes
bien bourrées pour mettre du piment !
Avant, pendant le débat, c’est plus fort que moi, j’essaye de
faire une photo style année 70, le cadrage large et l’esprit collectif et informatif
intellectuel mouvementé. Un prof est là, à vendre les BDs et il n’intervient
pas dans le débat… Et moi aussi, je me tais, ne sachant pas trop quoi dire. Quand nous organisions le Festival des Résistances et des
Alternatives à Paris (FRAP), dans les
années 2000, il n’y avait jamais d’événement avec que des jeunes. Au milieu de
ces jeunes, Inès Leraud fait 20 ans de moins que son âge. Et moi, je me sens
vieux comme jamais ! Pire qu’à 35 ans dans un festival de rock ! Mais
bon ! Quelques minutes avant j’avais encore la tête au Gabon en 2016 !
Régis Marzin
28 novembre 2024