Après l’excellent livre ‘Blues démocratique, 1990-2020’ de Francis Laloupo en 2022 chez Karthala, voici un nouveau livre de défense de la démocratie en Afrique facilement identifiable, cette fois chez l’éditeur parisien Riveneuve, ‘L’Afrique contre la démocratie, mythes, déni et péril’, du journaliste sénégalais Ousmane Ndiaye, sorti en juin 2025.
Qui arrêtera le néo-panafricanisme rejetant la démocratie ? Alors que se portent comme un charme les régimes antidémocratiques en Afrique francophone, sur les réseaux sociaux se répandent des discours identitaires et antidémocratiques. Ousmane Ndiaye analyse des causes du « rejet » de la démocratie, répertorie un par un les arguments et en démontrent la fausseté. Il regrette la focalisation extrême sur la France et l’occident, qui simplifie les logiques et oublie les responsabilités locales. Pour parler des élections sans démocratie depuis 1990, l’auteur utilise l’expression « fiction démocratique ». Il souligne le rôle négatif d’une série d’« opposants historiques », Alpha Condé, Abdoulaye Wade et Laurent Gbagbo. Je me demande s’il peut sortir autre chose qu’une confusion médiocre des réseaux sociaux, quand le mensonge et la confusion sont déjà bien présents à propos de l’histoire politique africaine. Si le livre connaît un certain succès depuis quatre mois, c’est qu’il répond correctement à de bonnes questions.
Pour l’auteur, « les dynamiques démocratiques ont traversé les sociétés africaines avant la colonisation et la démocratie ne se réduit aux institutions et au suffrage universel ». L’argument contredit l’idée néo-panafricaniste d’une « démocratie importée de l’Occident par la colonisation et inadaptée à l’Afrique ». Selon moi, l’histoire du lien entre élections, démocratisation et colonisation et décolonisation reste à écrire. Justement, m’en inquiétant depuis longtemps, je publierai sans doute bientôt un livre sur l’histoire des élections en Afrique dans 53 pays de 1792 à 1990. De mon point de vue, les élections, qui permettent un type de prise et de maintien du pouvoir, sont tellement stratégiques et centrales, qu’il importe peu, maintenant, pour l’évolution de la situation et pas pour le bien-être que permet une compréhension historique profonde, que des éléments de démocratie aient été présents avant la colonisation, parce que la situation actuelle dépend surtout de l’absence ou de la présence de démocratie dans les processus électoraux depuis le retour du multipartisme dans 36 pays à partir de 1989. La qualité des processus électoraux et le type de régimes politiques sont liés. Certes, l’argument pourrait éloigner certains d’un néo-panafricanisme détaché des réalités historiques. Si en théorie, élections et démocratie peuvent être deux thèmes qui s’éloignent, en pratique, la qualité des processus électoraux a tendance à fortement déterminer le type de régime et un certain nombre d’éléments de contextes, comme la liberté d’expression. Les régimes antidémocratiques ont au centre de leur stratégie de pérennisation l’imitation des processus de création de légitimité populaire. La question ne se pose pas de la même manière à Dakar ou dans les capitales des anciennes colonies françaises qui ne connaissent pas actuellement de régimes démocratiques.
J’ai aussi besoin de préciser un autre point approximativement abordé. L’histoire de « la Baule » reste elle-aussi à écrire ou à publier. Sans les détails de l’histoire, il est difficile d’en parler et d’incorporer l’épisode dans un raisonnement. Ceux qui parlent de « la Baule », évoque en réalité souvent sans le savoir et le connaître, le projet de soutien international de retour au multipartisme de 36 pays sur 53 en 1990 et 1991. Le projet n’a duré que deux ans puis les acteurs internationaux, une partie des dirigeants européens, la Communauté européenne, le Canada, les USA, le secrétariat général de l’ONU, la Banque mondiale et le FMI, ont arrêté d’agir de manière concertée. Ce projet n’a pas eu pour objectif de prendre en compte la qualité des processus électoraux mais juste d’accompagner le retour du monopartisme au multipartisme tout en gérant des questions de finances et d’endettement. Mitterrand n’a fait que jouer le rôle d’étendard. Le ministre de la Coopération française, Jacques Pelletier, en a été une sorte de chef de projet, à Paris. Le principe opérationnel, comme pour les indépendances, a été de lancer un vague dans les anciennes colonies françaises et de la faire devenir continentale. Préciser que les luttes locales ont été souvent prépondérantes ne permet pas de sous-estimer l’importance des apports externes. Le bilan du soutien a été mitigé et son estimation a été embrouillé par des discours officiels mensongers de part et d’autre et par le retournement d’objectif de François Mitterrand fin 1991. Une partie de la démocratisation de l’Afrique s’est faite grâce au retour du multipartisme mais une partie seulement. Il y a un démarrage de processus continental incertain. La démocratisation et les réformes se sont ensuite avérées plus solides et durables dans les anciennes colonies britanniques.
Un autre point mérite sans doute d’être précisé. Depuis 2016, le recul de la démocratie est mondial. En Afrique, la phase de recul depuis 2016 a été précédée d’autres phases depuis 1990 et le retour du multipartisme dans 36 pays, un point de départ historique. Les principales phases de démocratisation ont été 1990-1994, 1999-2005 et 2012-2015. Depuis 2016, le recul de la démocratie est surtout basé dans les anciennes colonies françaises, à cause des Comores, du Bénin, de la Tunisie, du Mali, du Burkina Faso et du Niger. Ainsi, la démocratie reculait déjà en Afrique francophone avant les coups d’Etat du Sahel, depuis 2016. Depuis 1990, le travail extérieur de soutien à la démocratisation a été important même si son efficacité a été moyen. Ce travail trouve son efficacité dans les Etats en construction sans pouvoir sortant bloquant, par exemple en suite de guerre. Les missions d’observations ne forment pas du tout un ensemble homogène. Certaines visent clairement à soutenir des processus de démocratisations, honnêtes, qu’elles soient utiles ou impuissantes face à des régimes solides débordant de créativité criminelle, d’autres sont tout aussi clairement des missions de complaisances avec des régimes antidémocratiques. En général, les missions de l’Union européennes sont les missions les plus solides et sérieuses, même si quelques-unes déçoivent. En outre, beaucoup d’énergie a été mis dans la construction d’un droit international entre 2000 et 2015 et l’effort a échoué en raison de la capacité des criminels à s’adapter. On ne peut pas signaler qu’il est malhonnête de dire que tout le mal vient de l’extérieur parce qu’il vient aussi de l’intérieur, sans noter les efforts de l’extérieur pour bien faire, même s’ils ont été insuffisants. Les régimes antidémocratiques ont appris à s’entraider depuis 1990 et à neutraliser des techniques de soutiens de la démocratisation.
Après une évolution concomitante de nombreux pays au début des années 90 à la fin de la guerre froide, une histoire politique africaine reste encore à écrire. Un grand nombre de questions sont ouvertes. Le livre d’Ousmane Ndiaye tente de répondre à une partie de ces questions, qui sont plus visibles depuis la série de coup d’Etat dans le Sahel, en Guinée et au Tchad. Ce livre est une pépite pleine de pépites, qui a le mérite de tordre le coup à un certains nombres d’idées de l’époque de la société du spectacle version réseaux sociaux. Il fait partie des livres indispensables pour ceux et celles qui s’intéresse à la politique africaine.
Régis Marzin
23 octobre 2025

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