jeudi 28 mai 2015

28 mai 2015, une bande dessinée à lire: la machine à influencer

Je viens de lire cette excellente bande dessinée traduite de l'américain "La machine à influencer, une histoire des médias", de Brooke Gladstone, assistée du dessinateur Josh Neufeld, sortie en 2014. Elle raconte l'histoire des media depuis les Acta diurna de Jules César. L'auteur par un grand nombre d'exemple explique l'importance des media dans l'histoire. A lire !
Il y a un chapitre que je trouve particulièrement juste et intéressant, c'est celui sur les biais des journalistes. Brooke Gladstone a répertorié :
- le biais commercial, assez évident, l'information qui se vend bien, 
- le biais catastrophiste, la concentration des regards sur les grands drames, 
- le biais immobiliste, la préférence inconsciente pour le maintien du statu-quo,
- le biais de l'accès aux sources, parce que les portes sont souvent fermées,
- le biais visuel, l'obsession des images, et l'effacement des faits sans images,
- le biais narratif, dans la volonté de décrire des histoires avec des débuts et des fins,
- le biais d'impartialité, mais souvent l'apparence de la neutralité est totalement fausse, comme par exemple quand un journaliste parle d'une actualité dans une dictature sans faire la différence avec une démocratie, comme souvent à propos des élections "mascarade".
Elle insiste sur les guerres pendant lesquels les biais s'accumulent. Depuis, j'ai trouvé cinq autres biais:
- le biais nationaliste, entre autres, dans le filtrage de l'actualité internationale en fonction des thèmes prioritaires au niveau national, d'une manière récurrente, qui fait, par exemple, exagérer l'importance des acteurs de son pays,
- le biais du négatif permanent, le fait que le traitement plus fort de l'actualité négative empêche la prise en compte par les journalistes des actualités positives, en particulier, les progrès dans l'organisation internationale dans la prévention (est-ce que les media parlent assez des efforts internationaux contre les famines, contre les guerres? Il y a eu beaucoup de progrès depuis 15 ou 20 ans sans que cela ne se voit assez).
- le biais de l'accumulation des faits et des détails, quand la multiplication des détails cache l'absence d'analyse, 
- le biais littéraire, le fait de ne traiter les informations dans un style d'écriture agréable au lecteur en éliminant les données chiffrées, les calculs, les tableaux, les classifications et les listes, pour arriver à des textes littéraires, agréables à lire mais qui ne permettent pas la meilleure compréhension,
- le biais de la corruption, quand des journalistes reçoivent de l'argent pour mentir, par exemple pour dire du bien de dictatures, ou intervenir dans un processus historique à un moment clé avec un mensonge stratégique.
A compléter...

jeudi 21 mai 2015

17 mai 2015, St-Denis, Fête de l'insurrection gitane

J'avais un très bon souvenir de la Fête de l'insurrection gitane de 2014, et j'y retourne malgré quelques doutes préalables en lisant le programme des débats. L'an passé, le sociologue Eric Fassin avait présenté son livre "Roms et riverains.Une politique municipale de la race", qui m'avait fait réagir sur les risques de l'utilisation performative du terme "race", en français utilisé comme en anglais. Ce dimanche, j'arrive à l'heure des débats, et je n'ai pas la chance de voir des groupes de musiques qui me détende. 
Le premier débat est sur le féminisme, et je n'ai pas pris de notes. Ce débat m'a déçu, limite agacé. J'entends le terme 'race', en français, qui revient plusieurs fois avec la certitude de leurs existences. Une universitaire américaine parle de la "communauté noire" là-aussi avec une vision américaine historique et culturelle, qui m'évoque une perception divisée et figée dans ses divisions de la société qui pourrait être en lien avec une perception rêvée ou mythologique, d'une unité africaine originelle qui mélangerait des fantasmes sur la couleur de la peau et sur une identité culturelle en Afrique. Peut-être ?. Dans tous les cas, l'Afrique que je connais est culturellement riche, diverse, autant que peut-être l'Europe, et les migrant-e-s gardent leur diversité; ce n'est pas le regard déformant et simplificateur qui est souvent posé sur eux et elles qui détermine leur 'identité'. Cela me rappelle aussi la difficulté de certain-e-s à comprendre la diversité culturelle en Europe. Une intervenante se présente comme victime sociétale stigmatisée comme "non-blanche, arabe, femme, musulmane". Quelle victimisation secondaire ?
Le seconde débat 'colonialisme et génocide' est plus intéressant mais ne correspond pas vraiment au titre. Richard Wagman intervient en premier pour l'Union juive française pour la paix (UJFP).  Saïd Bouamana définit un "culturalisme" comme un "mode de hiérarchisation qui a remplacé le racisme devenu inacceptable". Pour lui, "l'Etat racialise la société", et "racialisation et culturalisme visent noirs, arabes et musulmans", "nous" dit-il. Eric Fassin a peut-être un peu changé d'éléments de langage: il parle de politique de racialisation, et pas de politique de la race comme dans le titre de son livre en 2014. Lui aussi utilise le terme de 'culturalisme'.
Dans un texte de Saïd Bouamama, Jessy Cormont, Yvon Fotia extrait du "Dictionnaires des dominations" il y a une explication: "Le culturalisme contemporain tend donc à se transformer en idéologie de la domination : la vision culturaliste contemporaine tend à produire l’autre en le réduisant à une différence non pas biologique mais culturelle [1 : Ce qui n’exclut pas une biologisation de la culture, par l’essentialisation qui accompagne souvent cette projection.] Ce qui n’exclut pas une biologisation de la culture, par l’essentialisation (...)"; La culture est un facteur explicatif majeur (éventuellement masqué), mais elle est aussi une forme euphémisée de la biologie, parce qu’elle est figée, voire naturalisée. Et puisque la culture est un facteur figé, elle n’est pas susceptible de modifications, d’influences, de formes composites, de formes nouvelles et émergentes, et les formes culturelles sont renvoyées à leur origine culturelle – ce qui exclut toute invention culturelle qui fait du neuf avec du vieux, voire même éventuellement du neuf avec du neuf."
L'historienne Sarah Carboma parle de "production de savoir racisé" de "savoir occidentalo-centré", de "rromophobie" ou de "tziganophobie". Son intervention est presque incompréhensible tellement elle enchaîne les termes universitaires abstraits, elle ne semble pas se rendre compte du cadre du débat. Elle se reprend ensuite dans le débat pour expliquer le passage au XVe siècle d'une "alterité" et d'une "adnormativité"(?) à une "extériorité". Elle l'explique encore mieux dans le texte 'Identité versus épistémologie romani. Entre essentialisme et universalisme' : "La modernité a abolit un groupe de distances, considéré comme révocables, mais en fait bien utile car indirectement protecteur. A l’époque médiévale, l’ « Autre » n’empêchait pas l’intégration. Il est donc aisé de comprendre pourquoi apparaît la question de l’identité. D’abord comme la réaction à une dissolution du tissu social, la disparition des points de référence traditionnels, l’émergence du concept de normativité garante de la centralité de l’État et de l’organisation politique ainsi que l’apparition du concept occidental et moderne d’individualité. La cristallisation des identités romani en Europe s’opère justement à ce moment précis. Juste à l’interstice de ce que Michel Foucault appela la première « césure épistémologique » opérée en Occident et qui caractérise le passage de l’époque médiévale à l’époque moderne." Elle dit à St-Denis qu'au XVe siècle on est pas de l'âge de l'interprétation (herméneutique) à l'âge de raison à l'époque sont arrivés en Europe, et s'est créé "un rapport en miroir négatif".
Enfin, après avoir pris comme exemple la loi contre le foulard pour parler des discrimination systémique, Saïd Bouamama parle à la fin du débat de "blanchité" : "l'enfant est intégré dans la blanchité" et il y a "transmission du stigmate xénophobe". 
Pour conclure et ne rien conclure... et pour ceux et celles qui ont tenu jusqu'à là - des articles comme celui-ci j'en écrirai pas tous les jours - ce soir, j'étais dans une librairie et j'ai ouvert un livre et j'ai lu cette phrase d'un jeune sociologue qui a été avec des étudiant-e-s de St-Denis observer les bourgeois dans le VIIIe à Paris : "Les races existent, sociologiquement et pas biologiquement, parce que le racisme fait qu'elles existent." Est-ce que cela a un rapport ? Peut-être bien... Ainsi, des "races" "existeraient" pour le sociologue, mais est-ce que ce n'est pas le sociologue qui existe parce qu'il manipule des concepts qui confortent la perception d'une division des populations sur laquelle se fonde son travail et sa propre existence de chercheur ? Je suis sans doute incapable de conclure quoique ce soit à part des doutes sur un certain nombre de concept. Je me demande s'il n'y a pas parfois des cercles vicieux. Et dire que j'étais parti à la Fête de l'insurrection gitane pour écouter de la musique et surtout ne pas réfléchir. 

samedi 16 mai 2015

16 mai 2015, Aubervilliers, le 81 avenue Victor Hugo

Samedi 16 mai, Aubervilliers, Théâtre de la Commune.Débat après la pièce "81 avenue Victor Hugo" avec les 8 acteurs, le metteur en scène, Olivier Coulon-Jablonka, les 2 co-écrivains de la pièce, Barbara Métais-Chastanier et Camille Plagnet, et Stefan Le Courant, anthropologue chercheur sur les sans-papiers. 
81 avenue Victor Hugo est une adresse connue à Aubervilliers, celle de Pole Emploi, celle d'un site fermé par l'administration il y a plus d'un an. Alors qu'ils et elles s'étaient fait-e-s expulser de précédents squats de logement, des sans-papiers s'étaient retrouvé-e-s à la rue au printemps 2014. Un jour, ils et elles ont trouvé l'ancien local de Pole Emploi ouvert. Ils et elles sont depuis 72 à y habiter. Le tribunal vient de décider qu'ils et elles pouvaient y rester un an de plus.
La pièce rapporte les témoignages réels des voyages puis d'une partie des difficultés des sans-papiers. Un seul acteur évoque la Françafrique et les raisons politiques exogènes et raisons économiques des migrations. Le tract parle de migrants de Côte d'Ivoire, et il y aurait tant à dire sur la politique française catastrophique dans ce pays dans les années 2000.
Le débat permet ensuite de parler des sans-papiers en général, du groupe présent et de la pièce. Stefan Le Courant insiste sur les arrestations régulières jusqu'à 100 000 pour 6 000 expulsions, sur les effets de la vie sans papiers : la perte de repères, l'incompréhension de la logique de l'Etat, le doute de tout même avec les proches, l’hyper-vigilance et le stress, l'omniprésence de l'argent pour trouver des solutions. Il évoque aussi le travail dans la restauration, la sécurité, le bâtiment, domaine où le travail n'est pas délocalisable.
La troupe de théâtre a rencontré en octobre novembre 2014 des habitants du 81 avenue Victor Hugo. Quelques-uns se sont portés volontaires pour être comme des porte-paroles du groupe au travers du théâtre, pour continuer la lutte collective, pour les papiers et le logement. Il n'y a pas eu de femmes parce qu'à l'automne, elles étaient peu nombreuses dans le lieu et parce qu'elles avaient plus de difficultés à se rendre disponibles. La pratique du théâtre a donné confiance aux acteurs, mais les autres dans le squat restent avec leur peur.
La question de la mise en scène du parcours de migration pose question aussi. Est-ce des "aventures" vers des "destins" ? qui sortent des spectateur-trice-s d'une routine ? Il y a aussi des éléments vécus pas facilement transposables en langage théâtral.
Le théâtre de la Commune, pourtant Scène nationale, a pu accueillir cette pièce grâce aux Pièces d'actualité, un espace plus libre de programmation, parce que, sinon, les programmations sont faites sur un an, et qu'il faut donc en général 2 ans entre le démarrage d'un travail et le passage sur scène.
Alors que je sais que le ministre de l'intérieur est parti au Niger pour parler des migrations et que l'Union européenne décide d'une force navale au large de la Libye (EUNAVFOR Med confirmée le 18 mai), je ne préfère pas intervenir sur la relation entre politique intérieure et politique étrangère française, parce que les témoignages des migrants sont personnels et peu liés à des questions de politiques générales et que dans le public, il y a quelques personnes avec des positions caricaturales dénonçant le "grand capital" responsable de tous les maux de la terre!
En sortant, parlant avec une amie, je me demande si le théâtre peut aider à sortir de la théâtralisation des rapports humains, au-delà du spectacle qui renvoie plutôt chacun à son individualité, en particulier dans une ville qui souffre d'absence de lieux de dialogue et de rencontre, comme un media peut paradoxalement permettre de rapprocher.

16 mai 2015, Aubervilliers, Johann Riche

Ali et Johann Riche de Belthuner au Grand Bouillon le samedi 16 mai 2015. Il manque un peu de public, quel dommage, parce que c'est tellement beau!

dimanche 3 mai 2015

3 mai 2015, Paris, journée mondiale de la Liberté de la Presse

J'ai besoin de sortir de chez moi, de lever la tête du guidon... j'arrive avec un ami blogueur au concert de Reporters Sans Frontières pour écouter un peu de musique et discuter. Je ne connais pas les noms des groupes. Nous nous retrouvons assez vite au village de la presse à faire le point sur la liberté de la presse au Togo, au Tchad ou ailleurs, avec les responsables de RSF et quelques journalistes.
Quand débute un nouveau concert, je remarque une silhouette que je connais bien, un style de tenue de guitare que j'ai déjà apprécié: bon sans mais c'est bien sûr! Je prends en photo les mains de Peter à la gratte, dans Hollysiz, vu par le caméraman de BFM. Excellent groupe! Excellent concert ! 
Et voilà que pour finir la journée, nous nous retrouvons assis à une table avec le fils d'Aimé Césaire, dans une discussion très sympathique! Etonnant!
Quand je reviens chez moi, bien fatigué, le téléphone sonne aussitôt: au Togo, les sites internet d'opposition ont été coupés au moment de l'annonce des résultats frauduleux de l'élection présidentielle ! Il faut d'urgence contacter RSF. C'est incroyable! le dictateur togolais a osé s'attaqué à l'internet libre dans son pays, le jour même où se fêtait dans le monde entier la Liberté de la Presse! Lui aussi est un humoriste confirmé! La pause musicale fût de courte durée.