samedi 2 décembre 2023

30 novembre 2023, Paris : Etats généraux de la presse indépendante

Les Etats généraux de la presse indépendante sont organisés le jeudi 30 novembre dans le 12e arrondissement de Paris par « Cent médias indépendants et organisations, syndicats de journalistes (SNJ, SNJ-CGT), collectifs de journalistes (Informer n’est pas un délit, Profession pigiste, etc.), associations de défense des droits (Sherpa, Maison des lanceurs d’alerte, etc.), associations de défense de la liberté d’informer (Un Bout des médias, Fonds pour une presse libre, Acrimed, etc.) ». L’événement a été au départ proposé par le Fonds pour une presse libre, en réponse aux États généraux de l’information, voulu par l’Élysée et qui se déroule depuis le 5 octobre dans une certaine indifférence malgré la participation de quelques acteurs importants dont Reporters sans frontières. La mobilisation a été aussi déclenchée par l’attaque de la liberté de la presse dont ont été victime le media Disclose et la journaliste Ariane Lavrilleux sur l’affaire de l’Opération Sirli et des ventes d’armes au pouvoir dictatorial de très haut niveau du maréchal Sissi en Egypte. 

Le collectif organisateur s’est éloigné de la question de la liberté de la presse et de la protection des sources de l’affaire Sirli pour aller également sur le terrain social et économique. Il a publié la veille de l’événement « 59 propositions de réforme de la presse et de notre système d’information », qui ont été travaillées collectivement. Ces propositions concernent les thèmes « Concentration des médias, actionnariat, droits des rédactions », « Renforcer le droit à l’information », « Lutter contre la précarisation de journalistes », « Réformer les aides publiques à la presse ». Toutes les propositions n’ont pas été directement retenues et certaines seront mieux étudiées, comme l’idée d’une intermittence pour les journalistes. Une proposition semble au cœur de la mobilisation, une proposition sur le tarif minimum des piges : « Augmenter les tarifs minimums de pige dans toutes les branches de la presse et imposer des minimums décents dans les branches où aucune grille n’existe, notamment le web. Pour la presse magazine, une première proposition évoque un tarif minimum à 65 € ou 70 € brut le feuillet contre 53 € brut aujourd’hui. »

NB : Un feuillet = 1500 signes espace compris : 53,20€ / 1500 = 0,036 le signe.

Durant la soirée alternent des plénières de 4 ou 5 intervenants et des tribunes sur les thèmes principaux. La question du contrôle de la presse par les milliardaires et leur capacité à censurer et à influencer les discours des media revient régulièrement. Vincent Bolloré est jugé particulièrement nocif. Edwy Plenel vient à la tribune nous dires ses inquiétudes concernant la démocratie, à l’époque où certains, dans les réseaux sociaux, veulent « noyer les gens dans la merde » pour « qu’ils soient perdus ». Il veut faire passer le message que « la démocratie est un écosystème fragile » que les « media de la haine » mettent en danger. Il va très loin, et peut-être un peu trop loin pour le message qu’il souhaite transmettre, en remémorant le souvenir de Radio 1000 collines au Rwanda en 1993 et 1994. Il souhaiterait que les fréquences de télévision (TNT) ne soit pas accordées à ceux qui veulent « transformer une chaîne d’information en une chaîne d’opinion ». Il pense qu’« il serait temps d’empêcher cette dictature des opinions qui ruine la liberté des informations », ce qu’il reprécise le lendemain dans une tribune de Médiapart.

Le débat sur le droit d’informer se porte longuement sur les procédures-baillons qui ralentissent les enquêtes, privent les media de ressources et poussent à l’autocensure. Par exemple, sur scène, le représentant de Mediacités, Jacques Trentesaux, évoque 20 procédures contre son media, 11 gagnées, une perdue et 8 en cours mais surtout 50 000 de frais irrécupérables. Les plaintes en justice contre les media indépendants sont traitées principalement au pénal, ce qui ne permet pas en général de se faire rembourser les frais de justice en cas de victoire pour le media. Ce sont aussi, les reporters sur les actions militantes qui sont visées par des gardes à vue et des poursuites. Sur l’Afrique, récemment, le dictateur togolais Faure Gnassingbé a attaqué en diffamation le journaliste de RMC Nicolas Poincaré et il fait venir de nombreux avocats payés sur son immense fortune.

L’Union européenne, vient juste, la veille, d’avancer sur le sujet, par un accord atteint entre le Parlement européen et le Conseil européen « sur les nouvelles règles de l'UE visant à protéger les personnes visées par les SLAPP (Strategic Lawsuit Against Public Participation), telles que les journalistes, les défenseurs des droits humains ou les organisations de la société civile. Mais pour Tiphaine Beau de Loménie de l’association Sherpa, la loi européenne issue d’une directive de 2017, qui vise à un rejet rapide des SLAPP ne va sans doute pas couvrir assez de situations et il faudra continuer à lutter en France contre procédures-baillons et pour la protection des lanceurs d’alertes.

Le soirée se termine par le témoignage émouvant du journaliste franco-afghan Mortaza Behboudi, retenu prisonnier dans les geôles des talibans entre le 7 et 18 octobre 2023 et visiblement traumatisé par sa détention.

Régis Marzin

1er et 2 décembre 2023,

PS : Arrivé vers 18h45 pendant le débat sur la concentration des médias, le pluralisme, les droits des rédactions, après la présentation générale des propositions et un premier débat sur la Palestine.

dimanche 24 septembre 2023

23 septembre 2023, Aubervilliers, Causerie sur agriculture avec Le Chiffon et les Amis de la Conf

Ce samedi, les Ami-e-s de la Confédération paysanne d'Ile-de-France invite à une rencontre avec le journal Le Chiffon, à la Pépinière, un lieu associatif à Aubervilliers présenté ce soir comme un « tiers-lieu nourricier » et qui accueille, entre autres, la cantine des « Femmes battantes ». Le journal d’enquête papier Le Chiffon, technocritique et consacré à l’Ile-de-France, vient de sortir un dossier sur l’alimentation et l’agriculture. Les journalistes présentent les grands points de leur dossier devant une vingtaine de personnes. Les Soulèvements de la terre sont également là.

50% des terres d’Ile-de-France sont cultivées, essentiellement pour des céréales destinées à l’exportation dans le monde entier. L’autonomie alimentaire de la région n’est que de 1,27%. Pour l’alimentation en Ile-de-France, il existe deux grands circuits d’approvisionnement, celui des grandes surfaces (50%) et celui de Rungis pour les plus petits magasins (40%) depuis 1969. Les 10 derniers pourcents correspondent à des livraisons de paysans. En 1969, Rungis était très connecté au réseau ferroviaire mais 50 ans plus tard il est desservi essentiellement par le réseau routier tout en servant de hub international dans du transport par avion. Avec Rungis, la vente selon le goût a été remplacé par la vente selon l’apparence. Depuis son ouverture, la logistique détermine largement les modes de consommations et les modes de production.

Actuellement, le projet Agoralim de la société Semmaris gérant Rungis vise à créer 4 entrepôts géants autour du Paris pour du bio, entre autres à Gonesse. Derrière des apparences généreuses en faveur d’une meilleure alimentation, ce projet a été critiqué dès son annonce en 2021. Gaspard Manesse, porte-parole de la Confédération paysanne d’Île-de-France indiquait alors au media Reporterre : « La grande majorité de la production en circuits courts se fait directement à la ferme, ou alors dans les petits marchés, sans intermédiaire. Construire un grand entrepôt pour vendre cette production est antinomique. C’est comme dire qu’on veut développer les librairies de proximité en ouvrant un entrepôt Amazon ».

Dans les cinq prochaines années, les départs à la retraite devraient conduire au transfert de propriété de près d’un quart des terres agricoles de la région. De grandes sociétés tentent d’accaparer les terres pour en faire d’encore plus grandes fermes industrielles. L’état pense pallier la disparition des humains par des machines dans une numérisation et une robotisation toujours plus grande.

Le débat part sur des pratiques alternatives, par exemple, des maraîchers salariés de communes fournissant des cuisines collectives. Si une minorité est motivée par des alternatives, pour le journaliste du Chiffon, « la population adhère à une dépossession » qui se fait avec son « assentiment ». La discussion se termine sur l’idée du passage du « savoir » à l’action ou « faire », par exemple dans des projets qui vise à une « déconcentration urbaine ».

Régis Marzin

jeudi 21 septembre 2023

20 septembre 2023, Paris, rassemblement pour la liberté de la presse et en soutien à Ariane Lavrilleux


Le mardi 19 septembre au matin, la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) a perquisitionné pendant plus de 10 heures le domicile de la journaliste d’investigation de Disclose, Ariane Lavrilleux, et l’a mise en garde à vue 48 heures « pour compromission du secret de la Défense nationale et divulgations d'identité de militaires » en raison de ses articles sur l’armée française en Egypte et l’opération française “Sirli”.

Un rassemblement en soutien à Ariane Lavrilleux, organisé par Disclose et RSF, est organisé ce mercredi 20 septembre à 18h30, place de la République à Paris. La DGSI s’attaque « au principe du secret des sources » selon RSF. Le scandale monte rapidement. Plusieurs partis politiques sont présents au rassemblement, EELV, LFI et le PS.

Que signifie collaborer avec la dictature égyptienne de Sissi ? Est-ce une dictature comme une autre ? Dans un classement africain du niveau de dictature, deux dictatures sont au niveau le plus élevé de répression de toutes les libertés, l’Erythrée totalitaire et sans élection, et l’Egypte généralement observé dans le cadre du Moyen-Orient. Les révélations sur l’opération française “Sirli” ont rappelé à ceux et celles qui faisaient semblant de ne pas le savoir à quel point il est problématique de collaborer avec une dictature de très haut niveau. L’attaque actuelle de la liberté de la presse en France en est une nouvelle démonstration.

Quels sont les ministres concernés ? Les ministres de la justice et de l’intérieur, bien sûr. Le 15 septembre, la ministre des Affaires étrangères, Catherine Colonna, était au Caire. Au micro de LCI, parlant de l’Egypte, la ministre a dit : « C'est surtout pour la France un partenaire de longue date, un pays ami et un partenaire stratégique, et qui l'est encore plus dans ce monde en pleine recomposition que vous évoquez, en effet. L'Egypte, pour nous, c'est un pays clé, c'est une puissance régionale, c'est un partenaire de confiance, et c'est un pays qui prône la modération, ce qui lui permet d'être à la fois en mission pour parler au Président Poutine et l'interroger - cela n'est pas sans vertus - sur la guerre qu'il fait à l'Ukraine, et un pays qui aide l'Ukraine à faire progresser son plan de paix en allant à la réunion de Djeddah, il y a quelques semaines, destinée à faire progresser des idées ukrainiennes de paix et de dialogue. L'Ukraine prônant d'ailleurs la paix, là où la Russie, hélas, ne le fait pas… L'Egypte est l'un de nos premiers partenaires et nous sommes l'un de ses premiers partenaires… Son rôle géostratégique n'est plus à démontrer. Et elle parle à la fois aux Américains, à la fois aux Européens, aux Français de longue date… Donc nous nous sommes dans un pays ami, je le redis, un pays qui est un partenaire de confiance et qui parle à tout le monde. Sans comparer avec la France, je crois que cela a ses vertus de pouvoir aider à traiter les grands défis du monde, aider à traiter les grandes crises en s'adressant à tout le monde et en essayant de convaincre tout le monde qu'il faut faire plus, qu'il faut faire mieux. » Autrement dit, en raison de la guerre en Ukraine et du climat actuel rappelant la guerre froide, l’Egypte est stratégique. Quatre jours plus tard, l’état français s’attaque à Ariane Lavrilleux et à la liberté de la presse.

Depuis les coups d’Etat au Niger et au Gabon, les critiques de la politique française en Afrique redoublent. La politique en Egypte est analysée dans le cadre du Moyen-Orient mais cela n’empêche pas les regards de toute l’Afrique de se porter sur ce pays. Ce qui est souvent reproché aux dirigeants français, c’est d’être incapable de réformer profondément une politique encore trop imprégnée du fonctionnement du néocolonialisme, de continuer à se compromettre dans des dictatures, de ne jamais être clair dans ses relations avec des régimes détestés par les populations et se maintenant par de fausses élections sans démocratie. L’Union européenne est capable de dire pourquoi les coups d’état du Niger et du Gabon sont pour elle très différents. Elle est en mesure de parler sans être gênée des inversions de résultats des présidentielles au Gabon en 2009, en 2016 et peut-être en 2023, mais les gouvernements français se sont trop compromis avec Ali Bongo depuis 2009 pour adopter une position transparente. Le message de soutien français à Sissi arrive juste au moment où une clarification des positions françaises sur les dictatures en Afrique serait utile, une clarification sur la légitimité issu des élections pour certains régimes serait utile. Une fois de plus il sera compris, que les dirigeants français sont prisonniers du passé et incapable de réformer une politique obsolète et dangereuse.

Quand le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, est incapable de répondre aux questions de Médiapart sur l’atteinte de la liberté de la presse, cela n’est une surprise pour personne. Il ne sera pas aisé pour le gouvernement de sortir de l’impasse dans son conflit avec l’ensemble des journalistes d’investigation, aujourd’hui très remonté-e-s contre lui et plus que jamais motivé à continuer les enquêtes.

Régis Marzin

Paris, 20 septembre 2023

NB : Aucune photo prise au rassemblement où je suis présent.

lundi 18 septembre 2023

Paris, 17 septembre 2023, Conférence gesticulée pour une Sécurité sociale de l’alimentation

Ce dimanche, au jardin d’Ecobox dans le 18e à Paris, Mathieu Dalmais présente sa Conférence gesticulée intitulée « De la fource à la fourchette, Non ! l’inverse ! ». La conférence explique le projet de Sécurité sociale de l’alimentation, porté par un collectif d’organisations, dont la Confédération paysanne et Ingénieur sans frontières. Depuis 2022, le ‘bio’ dans les circuits courts et les Amap sont en difficulté et l’agriculture industrielle regagne du terrain qu’elle avait perdu. Il est temps de repenser à de nouvelles solutions pratiques. La sécurité sociale de l’alimentation pourrait aider les paysans, favoriser une agriculture saine adaptée à une transition climatique, aider les personnes les plus pauvres à se nourrir correctement, grâce à un fonctionnement démocratique.

Régis Marzin

18 septembre 2023

vendredi 15 septembre 2023

14 septembre 2023, Paris, Limitons les mandats en Afrique avec Tournons la page

En septembre 2022, la coalition associative Tournons la Page lançait une campagne citoyenne pour la limitation des mandats en Afrique. Cette campagne a pour objectifs de « sensibiliser les opinions africaines autour de la problématique des transitions démocratiques, amener la CEDEAO à prendre des dispositions pour que le principe de limitation du mandat présidentiel à deux au cours d’une vie soit une contrainte au niveau de chaque État » et « obtenir l’engagement de chefs d’État africains effectuant leur deuxième mandat ou ayant fait plus de deux mandats à ne pas se représenter pour un mandat supplémentaire ».

La journée commence par deux ateliers organisés pour un public militant et pour l’essentiel jeune, ‘Limitation des mandats et alternance démocratique en Afrique : enjeux et défis’ et ‘Repenser la démocratie au Sahel’. Je donne quelques précisions historiques sur les limitations du nombre de mandats, par exemple que les anciennes colonies françaises ont fonctionné deux fois par vague rapide provoquant une diffusion continentale, à la fois en 1960 et en 1990, pour les indépendances et pour les changements de constitutions de retour au multipartisme. Une diffusion rapide et complète de la limitation des mandats dans les anciennes colonies françaises en 1991 et 1992 a moins bien tenu qu’une diffusion plus lente et plus discutée dans les anciennes colonies britanniques, comme pour les indépendances, quand le multipartisme installé plus lentement a mieux résisté aux coups d’état et au monopartisme côté britannique. 

Les ateliers sont suivis d’une conférence de presse avec Brigitte Ameganvi de Tournons la Page (à droite), et les chanteur-se-s Didier Awadi (à gauche), Nanda et Momo Kankua. Le chanteur camerounais Valséro vient apporter la contradiction ce qui anime fortement la conférence de presse. La conférence part un moment sur l’origine de la démocratie en Afrique. Brigitte Ameganvi rappelle les revendications de la campagne en particulier sur la révision du ‘Protocole additionnel de 2001 sur la Démocratie et la Bonne gouvernance’ de la CEDEAO, pour que la limitation à deux mandats soit inscrite dans les textes de la CEDEAO.

De nombreux-ses chanteur-se-s et musicien-ne-s ont décidé de soutenir cette campagne. Ils et elles devaient se rassembler en septembre 2022 à Dakar mais leur concert a été interdit. Par la suite, Macky Sall a abandonné l’idée d’un troisième mandat mais a fait éliminer son adversaire principal de la présidentielle à venir, Ousmane Sonko. Le concert se tient finalement à Paris, à l'Espace Niemeyer, plus connu sous le nom de Colonel Fabien, comme le siège du PCF, ce 14 septembre 2023, à Paris, la ville où a été créé Tournons la Page en 2014.

Trois artistes, sans doute Papy Kerro (RDC), Lyne des mots (Côte d'Ivoire) et Nourrath la Debboslam (Niger), n’ont pas pu venir faute de visa, ce qui n’est pas sans rappeler l’actualité franco-africaine du jour, sur la coopération culturelle avec le Mali, le Burkina Faso et le Niger. 7 artistes présentent deux ou trois morceaux, dans l’ordre, Don Stash (Togo), Elom 20ce (Togo), Nanda (Gabon, sur la photo), Momo Kankua (Togo), Léman (Bénin), Didier Awadi (Sénégal) et Meiway (Côte d'Ivoire). 

Ecoutant certaines paroles, je me demande comment la poésie et l’art vont réussir à dépasser un discours politique exprimé de manière trop didactique et bienpensant et je suis heureux de voir que cela passe, à chaque fois. Un moment Didier Awadi questionne le public. Assis au fond de la salle, l’artiste camerounais Valsero lui répond « Coup d’état » et Didier Awadi lui demande de le rejoindre sur scène pour chanter « Coup d’état démocratique », un titre plein de subtilité. C’est le meilleur moment de la soirée dans le mélange du fond et de la forme. Il y a aussi un peu de musique ‘trans’ béninoise et de liesse populaire congolaise. Le concert se termine évidemment par la chanson « Limitons les Mandats ! » chanté par les artistes tous ensemble.

Régis Marzin

Paris, 15 septembre 2023

vendredi 4 août 2023

« Malim, une histoire française » de Joël Bescond, retour sur un drame de l’épopée de MSF en Afrique

Le 21 décembre 1989, mourraient au Soudan quatre membres de Médecins Sans Frontières, dont trois Français, dans un attentat. A Aweil, à la limite de ce qui deviendra le Sud Soudan, leur avion était victime au décollage d’un missile provenant d’un point proche de la piste de l’aéroport, donc de la zone maîtrisée par l’armée soudanaise. Les victimes sont Yvon Feliot, le pilote, Laurent Fernet, un logisticien de MSF, Jean-Paul Bescond, docteur, et Frazer Ariyaba, un technicien soudanais du Programme alimentaire mondial de l'ONU (PAM). Même si le pouvoir soudanais accuse les rebelles du SPLA (Sudan People's Liberation Army) de John Garang, en toute vraisemblance, le missile a été lancé par des militaires soudanais, quelques mois après le coup d’état qui a placé El Beshir au pouvoir.

Depuis ce jour, le frère de Jean-Paul Bescond, Joël a recherché la vérité et la justice sur l’attentat. Il a écrit un livre, « Malim, une histoire française », sur l’affaire et la manière dont elle a bouleversé sa vie. Les lettres écrites par Jean-Paul Bescond pendant ses quelques semaines d’action humanitaire, de très belles lettres, révèlent une personnalité intéressante.

Il est question de 2000 personnes travaillant pour MSF au Soudan en 1989, face à la guerre et à la famine provoquée au Sud du Soudan au moment de la guerre d’indépendance du SPLA. MSF quitte rapidement le Soudan après l’attentat. Le livre apporte un témoignage utile sur le fonctionnement des ‘French doctors’ en période de conflit. Il est alors autant question de nourrir les populations que de les soigner.

Aucune plainte en justice n’est portée avant 2009. L’Elysée fait comprendre en 1990 qu’il n’est pas favorable à une plainte en justice. Bernard Kouchner, secrétaire d'État à l'Action humanitaire entre 1988 et 1991 se montre apparemment assez vite indifférent. MSF ne parle pas de plainte. En 2007, alors qu’étrangement, l’hypothèse d’une implication du SPLA refait surface, alors que cette hypothèse ne semble pas se baser sur des éléments sérieux, le besoin de vérité pousse la famille Bescond à porter plainte à Paris.

Le livre replace les événements dans le contexte géopolitique de l’époque. Les histoires du Soudan, du Tchad et de la Libye sont alors très intriquées. En 1989, au Darfour, Idriss Déby se prépare à lancer une offensive vers Ndjaména contre Hissène Habré en 1990. Il est soutenu dans ce projet par la DGSE. La coopération entre la France et le Soudan ne s’arrête pas avec l’attentat.

Même si le livre nous éclaire sur de nombreux points, l’histoire complète de cette affaire de terrorisme reste encore à écrire. En 2023, le Soudan se retrouve de nouveau en guerre civile et MSF se trouve de nouveau ou toujours sur le terrain.

Régis Marzin, 4 août 2023

mercredi 17 mai 2023

16 mai 2023, Paris, La démocratisation de l’Afrique au colloque de Sciences Po

Le colloque « Afrique 2023 : Mouvements citoyens, restaurations prétoriennes et nouvelles configurations internationales » des 16 et 17 mai 2023 à Sciences Po Paris est organisé par l’Université de Cornell à New-york, l’université Northwestern  (d’Evanston dans l’Illinois) et  à Sciences Po, en partenariat avec Tournons La Page et la revue Politique africaine. Une partie des discours étant en anglais, nous avons droit à une traduction simultanée à l’écran en direct.

Il n’y a pas eu ce type d’événement à Paris depuis le début de la Covid ce qui provoque pour certain-e-s de très agréables retrouvailles avec des amis et des connaissances. Il était temps de retrouver des discussions collectives sur Paris et de voir qui fait quoi en ce moment. Par exemple, il se comprend assez vite que le mouvement Tournons la Page, qui regroupe maintenant 242 organisations en 10 coalitions a pris de l’ampleur ces dernières années. Je ne viens qu’à la partie qui concerne le plus mon travail, la démocratisation de l’Afrique la matinée du 16, laissant de côté d’autres thèmes comme les coups d’état, les transitions associées et la Russie.

Le discours d’ouverture est assuré par Roland Marchal, spécialiste du Tchad, du Soudan et de la Centrafrique au Centre d'études internationales de Sciences Po. Il évoque les évolutions actuelles en Afrique, la « critique de l’ancienne puissance coloniale » qui correspond à une « appréciation » qui n’est pas « sur le court terme » et renvoi aux thèmes de la colonisation et des Etats post-coloniaux. Les questions du rejet de la France reviendra ensuite fréquemment dans les interventions et dans les débats. Le chercheur choisit ses mots pour parler de la démocratie depuis 1990, entre « déception » et « désillusion ». Il termine sur la perception de l’évolution de la politique internationale, qui ne va « pas vers une nouvelle guerre froide » ni « un retour du non-alignement » mais vers « une dissolution des camps » et une recherche de « souveraineté ».

 De gauche à droite, Marc Ona, Roland Marchal, Mohammed Tozy et Nic Van de Walle

 Le principal intervenant du premier panel sur les « Acquis et limites de la démocratisation en Afrique 1990-2023 » est Nic van de Walle de l’université de Cornell qui intervient sur le sujet « Progrès démocratique en Afrique, 1990-2023 : Faits stylisés et hypothèses pour l’avenir », un sujet proche de mon domaine de recherche. L’intervention est basée sur des graphiques. Le plus intéressant est peut-être celui qui compare la démocratisation des différentes parties du monde depuis 1990.

On y voit à peu près l’arrêt du processus de démocratisation en Afrique en 2005, une date qui correspond à l’arrêt de la démocratisation plus rapide dans les anciennes colonies britanniques. Le chercheur souligne l’augmentation quantitative de la protestation depuis 2015. Pour le futur, il suppose que le pouvoir judiciaire prendra de l’importance sauf sans doute dans les pays francophones.

Deux discutants complètent le panel, Mohammed Tozy, de l'IREMAM à Aix en Provence et Marc Ona Essangui, l’illustre président de Tournons la Page. Mohammed Tozy pense en parlant de l’Afrique du Nord, que les « régulateurs » qui sont en place sur les droits humains, la presse la concurrence, « adossés aux référentiels internationaux » peuvent être des « contre-pouvoirs sérieux » et évoque l’influence du Qatar, de l’Arabie saoudite et des Emirats arabes unis.

Pendant le débat, Nic van de Walle répond à une question sur les inégalités sociales. Il explique qu’il n’y a pas de lien entre les inégalités et l’absence de démocratie, puisque le maximum d’inégalités se trouvent dans la partie la plus démocratique de l’Afrique, l’Afrique australe. Evidemment, cela fait se poser des questions sur les partis politiques en particulier en Afrique du Sud.

Je questionne Nic van de Walle sur les perspectives de déblocage de certains pays, puisque beaucoup de pays sont ‘bloqués’. Je pense à des surprises récentes, les progrès en Mauritanie et en Tanzanie, sachant qu’il y a beaucoup de régressions ailleurs, bien documentée, mais que cette régression pourrait cacher de nouveaux types d’évolution encore peu étudiés. Cela m’oblige à préciser qu’il existe des états anti-démocratiques avec alternance de chef de l’état en cas de limitation du nombre de mandats, un type de régime dont le modèle peut-être involontaire a été la Tanzanie et que ces régimes se sont multipliés à partir de 2016 sans être comptabilisés. Je fais l’hypothèse que les Etats-Unis et la Grande-Bretagne peuvent aider la Tanzanie à se démocratiser correctement. Le chercheur américain pense que la Tanzanie ne veut pas être en retard par rapport à des voisins comme le Kenya et souligne l’importance d’un « parti fort » d’opposition. Il parle de « parti fort » en parlant d’un seuil de 25% des voix. Il remonte à Napoléon pour analyser la soumission du pouvoir judiciaire à l’exécutif côté français.

A la pause, Nic van de Walle et moi parlons de l’écart qui se creuse dramatiquement entre les anciennes colonies françaises et britanniques. Quelles sont les causes de cette évolution ? Dans la liste des causes possibles, il y a la différence de structure et d’indépendance des commissions électorales, la gestion du contentieux, avec d’un côté un pouvoir judiciaire qui se renforce et de l’autre des cours constitutionnelles soumises aux chefs d’état, la conception plus solide des constitutions comme devant être respectées côté anglophone et Common Law, un effet d’entrainement collectif et de solidarité entre pays dans un espace linguistique soit en négatif soit en positif. Je rajoute les calendriers électoraux avec les élections regroupées qui permettent d’améliorer plus facilement les processus électoraux côté anglophone et la qualité supérieure de la recherche en langue anglaise, qui est aussi plus pragmatique pour viser à trouver des solutions à des problèmes. Actuellement, c’est presque comme si 80% des données sur les détournements des processus électoraux étaient du côté francophone et 80% des recherches sur les solutions du côté anglophone.

Le second panel présidé par Sandrine Perrot de Sciences Po s’intitule « La démocratie a-t-elle réussie ? ». Rachel Riedl de l’université de Cornell propose un exposé « Recul démocratique et résilience : Ouvrir l'espace démocratique par de nouvelles stratégies d'opposition ». En anglais, on parle de « reverse democratic backsliding ». Il est question, entre autres des alliances entre société civile et partis d’opposition. 

De gauche à droite, Marc Ona, Elhadji Idi Abdou, Rachel Riedl, Sandrine Perrot et Richard Banégas

Marc Ona Essangui intervient sur « 2013-2023 : La dégradation de l'espace civique en Afrique ». Il rappelle la répression par exemple en Guinée actuellement, ou l’on fait des mois de prison pour une manifestation. Actuellement, le leader gabonais voit du populisme qui fait pression sur les associations : « des éléments de langage sont imposés par la rue, contre le colonialisme ». Il précise que la rue ne tient pas compte du fait que la Chine et la Russie ne soutiennent jamais la démocratie. Pour lui, les rapports d’associations comme Amnistie sont moins efficaces aujourd’hui, alors que les pays occidentaux sont très frileux, « trainent le pas » pour réagir. Il souhaite que la France ait moins peur de développer sa communication.

Richard Banégas, de Sciences Po, a intitulé son exposé « “Cabri mort n’a pas peur de couteau”. Les impasses de la révolution démocratique passive des années 1990 et les promesses non tenues des insurrections civiques des années 2010 ». Les mouvements sociaux avaient pris de l’importance après la révolution burkinabée de 2014, dans la suite du « dégagisme » de 2011. Puis, alors que les printemps arabes ont participé à propager des guerres, la guerre contre le djihadisme a mis au centre du jeu les armées au sahel. On passe des « processus de transitions » des années 90 aux « restaurations autoritaires ». Au-delà d’un « regard désabusé », on peut voir, selon lui, des avancés au niveau de « la libéralisation de la parole publique », la « gestion locale », des « progrès du contrôle citoyens ». Il y a maintenant de nouvelles mobilisations. Il y a aussi des mobilisations différentes en particulier religieuses, qui ont un lien avec le rejet de l’occident. Il termine sur un clip d’une chanson qui parle des conséquences de ne plus rien avoir à perdre : « On est assis par terre, est-ce qu’on peut tomber encore ? »

Elhadji Idi Abdou, de Tournons la Page Niger est noté « discutant » au programme mais fait une intervention comme les autres. Au Niger, pour la société civile, manifester reste interdit. Je note qu’il rappelle l’alliance de la société civile avec Issoufou avant son arrivée au pouvoir.

Au cours du rapide débat final de la matinée, Marc Ona revient sur la perception de la France. Ayant constamment lutté contre la Françafrique, il a toujours souhaité que la France ne soit pas considérée comme le « bouc émissaire » responsable de tous les maux.

Le débat doit s’approfondir dans de nombreuses directions dans les deux demi-journées suivantes. Ce colloque montre des intérêts communs entre des associations et des chercheur-se-s de part et d’autre de l’Atlantique. La collaboration ne peut être que fructueuse. Les approches sont sans doute complémentaires puisque que beaucoup de difficultés que rencontrent l’Afrique prennent place dans un espace francophone, avec des données surtout disponibles en français et que la question du soutien de la démocratie se pose d’une autre manière sans doute plus large et plus pragmatique aux Etats-Unis.

Régis Marzin

Paris, 17 mai 2023

dimanche 23 avril 2023

23 avril 2023, à propos du film ‘Last words’ de Jonathan Nossiter

 

Un mois après le drame de Sainte-Soline, après avoir compris que, maintenant, des gens se demandent s’il ne faut pas accepter d’être blessé-e-s pour la défense du climat et des terres agricoles, je regarde le film, ‘Last Words’ de Jonathan Nossiter, et je me dis qu’il faut en parler. Je me dis que je croise un nouveau grand cinéaste, peut-être. Ce film est sorti en 2020. Il était sélectionné au festival de Cannes mais le festival a été annulé. Comme beaucoup de choses, il a été sans doute négligé puis oublié parce qu’il est sorti au pire moment. Cela faisait longtemps que je n’avais pas vu un film qui a est complètement dans l’air du temps, qui me semble sentir l’évolution actuelle et sans doute future.

C’est un film post-apocalypse comme il y en a beaucoup et c’est beaucoup plus que cela, c’est un film sur le cinéma, mais surtout sur le cinéma et l’écologie, l’écologie dans ce qu’elle a de plus pessimiste, la collapsologie. Le scénario est tiré du roman presque éponyme de 2015 de Santiago Amigorena, ‘Mes derniers mots’. Le film est tellement écologiste dans sa conception, que les acteurs et les techniciens ont été payé de manières égales, sans salaires plus élevés pour les acteur-trice-s célèbres. Jonathan Nossiter se présente comme un cinéaste-paysan. Il est paysan depuis quelques années, associé à un spécialiste de permaculture.

Dans le bonus du DVD, Jonathan Nossiter explique son rejet de l’happy-end à la manière d’Hollywood. Il considère que l’angoisse refoulée à la fin du film rejaillit ensuite plus durement à contretemps. Il a réfléchit pendant six ans au film et a voulu faire l’inverse d’une fin heureuse. Il est question de climat et d’épidémies. Le film sort il y a trois ans en plein confinement du Covid, les angoisses contenues dans le scénario, l’esprit du réalisateur et celles liés à l’actualité sanitaire mondiale à sa sortie, sont définitivement, inextricablement mêlées. Du coup, ce film pourrait rester dans l’histoire comme le film le plus lié à la période épidémique, par le hasard des choses.

Que deviendrait le cinéma dans un monde menacé puis qui s’effondrerait ? Dans cette histoire, il y a des projections faites par les personnages dans des conditions rudimentaires. Les images du film elles-mêmes sont faites pour être vues sur grand écran. On y voit le ‘vert’, plus que jamais dans l’image au cinéma ! On ne peut que penser à l’économie du cinéma, mais aussi aux conditions de vision des films, par exemple, solitairement ou en groupe, avec des gens connus ou pas. L’idéal serait de voir ce film avec des gens inconnu-e-s, grâce à un projecteur et un drap posé sur un mur en ruine, avec des couvertures, dans une friche près d’un feu, au milieu d’autres films

Régis Marzin

23 avril 2023

jeudi 26 janvier 2023

Blues démocratique, 1990-2020, de Francis Laloupo

 

Le livre ‘Blues démocratique, 1990-2020’ de Francis Laloupo sorti en avril 2022 chez Karthala est d’abord un livre bilan sur la démocratisation de l’Afrique depuis le retour au multipartisme entre 1990 et 1992.

Le livre décrit une phase actuelle de « recul » des « processus démocratiques » en Afrique. L’auteur met cette évolution africaine dans le contexte mondial associant une fragilisation de la démocratie et une nouvelle évolution de la géopolitique internationale.

Pour Francis Laloupo, les régimes issus du monopartisme et des juntes militaires des années 80 peuvent être considérés comme des « néo-dictatures ». La terminologie est importante en ce qui concerne le classement des régimes politiques en Afrique.

L’auteur évoque « une communauté internationale désormais déboussolée, bien éloignée des certitudes d’un nouvel ordre démocratique énoncé 30 ans plus tôt et dont le souvenir s’est progressivement transformé en une évanescente évocation » (p36).

Pour Francis Laloupo, les difficultés actuelles en Afrique ne doivent pas faire oublier que « la demande de démocratie et d’État de droit » est toujours aussi forte.

Les analyses sur les pays africains, l’Afrique, la France ou le Monde, se succèdent, nombreuses au fil des pages, toutes aussi pertinentes les unes que les autres, en donnant ainsi une vision globale très juste de la question de la démocratisation de l’Afrique pour elle-même mais aussi dans le monde.   

Régis Marzin,

26 janvier 2023

dimanche 11 décembre 2022

11 décembre 2022, Paris, exposition Frida Kahlo, au-delà des apparences

Invité par la famille, je viens pour la première fois au Musée de la mode de la Ville de Paris, le Musée Galliera, attiré par l’exposition ‘Frida Kahlo, au-delà des apparences’. Je me souviens avoir lu une bande dessinée et vu un film sur la peintre mexicaine, une personnalité, semble-t-il, très inspirante. Près de 70 ans après sa mort, l’artiste née en 1907 continue d’ailleurs d’inspirer les créateurs de mode qui présentent des robes luxueuses.

L’exposition est d’abord surprenante, déroutante, elle va un peu dans tous les sens, présente plusieurs types d’objets et plusieurs supports : des robes, des corsets, des photos de familles, des objets du quotidiens, même des boites de médicaments, des béquilles et des corsets qui lui ont servi à se tenir le dos après un terrible accident à 18 ans, des lettres, ses peintures, des photos d’elle, de ses amis, de ses relations, de sa famille, des photos souvenir simples ou des portraits travaillés, des vidéos, des robes qu’elle a portée… Par petite touche, on nous emmène à découvrir et à apprécier une personne. Je me demande à la fin ce qu’il manque, peut-être du détail sur sa psychologie et son caractère.

Elle est à la fois représentante d’une culture mexicaine et une figure universelle. Elle n’est ni riche ni pauvre, communiste sans que ne dégage une impression nette de lutte de classe. Elle évoque la beauté et en joue, elle est handicapée par la poliomyélite et un grave accident et ne le cache pas. Dans une exposition à Paris, elle se fait refuser des œuvres féministes trop crues.

Il n’y a pas beaucoup de peintures de l’artiste et pourtant un message passe, peut-être encore plus intéressant. La préparation de cette exposition par Circe Henestrosa a dû être un travail considérable. Je crois bien que je n’ai jamais vu une exposition aussi bien conçue et réalisée.

Régis Marzin

11 décembre 2022

PS : Près de 14 mois sans article, cela ne m’était jamais arrivé, Covid et écriture d’un livre d’histoire de politique africaine m’ont obligé à moins de sorties.