mardi 21 août 2018

21 août 2018, Douarnenez : le Congo Kinshasa au festival de cinéma

L’actualité africaine ne s’arrête jamais, et, durant les périodes de chaleur estivale et de congés des salarié-e-s, l’Afrique se croise aussi au bord des plages, dans le port breton de Douarnenez en particulier. Les 2 Congos sont au programme de la 41ème édition du festival de cinéma de Douarnenez. 47 films, courts ou longs, surtout des documentaires et quelques fictions, sont proposés aux spectateur-rice-s, finistérien-ne-s, touristes, militant-e-s venu-e-s de Paris ou de Nantes. Tous les jours, le matin à 10h et en fin d’après-midi à 18h, des débats réunissent également des intervenant-e-s sur ces deux pays, dont plusieurs sont arrivé-e-s de Brazzaville, Kinshasa ou Goma.
Le mardi à 18h, sur la scène du chapiteau de la place centrale du festival, sont rassemblé-e-s – de gauche à droite –, pour un débat sur la RDC, Colette Braeckman, journaliste belge spécialiste des Grands lacs, Bienvenu Matumo de la Lucha à Paris, Marc Antoine Vumilia, auteur, comédien et metteur en scène,  Rebecca Kavugho, militante de la Lucha, et un modérateur, Chris Elongo, rédacteur en chef du site cas-info.ca. Le titre de l’échange reprend celui d’un livre de Colette Braeckman « Les nouveaux prédateurs ».
La journaliste du Soir introduit le débat par une présentation historique qui repart du génocide des Tutsis du Rwanda de 1994. Elle précise qu’à la fin du génocide, pendant l’opération Turquoise, les français ont « organisé le transfert » de forces armées génocidaires du Rwanda vers le Kivu, dans l’idée d’une « revanche militaire ».
Selon elle, pendant la première guerre de 1996-1997, les rwandais voulaient « sécuriser leur frontière », les congolais voulaient « chasser Mobutu », et, l’objectif a été aussi d’« ouvrir le pays aux multinationales » au-delà des belges et européens, pour l’exploitation des « nouveaux minerais ». La seconde guerre de 1998-2001 a conduit à « chasser un pouvoir pas assez favorable aux multinationales ». Puis, les USA ont voulu « traiter avec des gouvernements locaux » des provinces dans une « balkanisation ». Les nouveaux ‘prédateurs’ africains sont arrivés : 6 armées des pays voisins étaient, un moment, présentes sur le territoire d’où sortaient le Coltan ou la Cassitérite. Sont arrivés aussi les chinois et des acteurs d’autres pays non européens.
Chris Elongo souligne la fortune estimée à 15 milliards de dollars de Joseph Kabila. Marc Antoine Vumilia voit, lui, des « nouveaux futurs prédateurs », soulignant que sous Mobutu les entreprises ont été mal gérées. Il insiste sur les morts dues à Jean-Pierre Bemba, candidat actuel à la présidentielle après sa libération par la Cour pénale internationale, dont le père a été l’un des hommes les plus riches sous Mobutu. Il estime aussi que certains leaders « utilisent le langage de la démocratie » hypocritement ou veulent « faire des congolais un peuple ouvrier soumis au FMI et aux multinationales ».
Bienvenu Matumo évoque le Rapport mapping de l’Onu sur les crimes entre 1993 et 2003 et ses recommandations bloquées, puis un ‘tribunal pour le Congo’, parce que « la justice est nécessaire ». Rebecca Kavugho explique les actions de la Lucha et son principe de non-violence, un premier exemple au Congo Kinshasa. Elle a, elle-même, été 7 fois en prison, condamné une fois à 2 ans de prison et libérée contre sa volonté par Kabila.
Le débat avec le public démarre sur la liberté de la presse en Europe. Colette Braeckman reconnaît que « la liberté d’expression ne se renforce que si l’on s’en sert » et parle de sa « ténacité ».
Une deuxième question porte sur la « démocratie conçue ici ». Chris Elongo rappelle que « la démocratie n’est pas spécialement occidentale ». Bienvenu Matumo voudrait « inventer la démocratie » et pense que « son rôle est de se débarrasser des dictateurs installés par le néocolonialisme », puis de « surveiller » en « allant vers le développement » par la « jouissance des ressources naturelles ». Il souhaite aussi exprimer un « positionnement sur les enjeux futurs mondiaux ». L'artiste Marc Antoine Vumilia doute du « système représentatif » à la vue des « oligarchies en Europe », souligne que « les élections n’égalent pas la démocratie » puis évoque quelques « formes anciennes de démocratie précoloniales ».
Les échanges se poursuivent sur l’éducation et la place des femmes. Bienvenu Matumo y voit un enjeu post-électoral. Rebecca Kavugho invite « les femmes à prendre conscience et à se révolter ». Elle ne se mobilise pas parce qu’elle est femme mais parce qu’elle est humaine. Marc Antoine Vumilia dénonce des féministes opportunistes prêtes à entrer au gouvernement de Kabila.
Le récent forum des mouvements citoyens à Dakar, l’Université de l'engagement citoyen, est également cité.
Sur les « prédateurs », Colette Braeckman précise que pendant la première guerre de 1996-1997, il s’agissait d’un « hold-up pur et simple », qu’ensuite, les rwandais, zambiens, ougandais possédaient des « sociétés de creuseurs » qui exportaient, dans une « chaîne » d’acteurs tous « irresponsables », vers les USA, l’Europe, et surtout la Chine, devenue le lieu principal de fabrication du matériel électronique.
Alors que la présidentielle et les législatives sont prévues le 23 décembre, le Congo Kinshasa est depuis 3 ans  au centre de l’actualité politique africaine. Après que le pays ait fortement attiré les attentions sur la question du respect des constitutions, depuis deux ans, le suivi de l’organisation du processus électoral a, lui aussi, fait couler beaucoup d’encre : ce processus électoral est le plus complexe qu’ait jamais connu l’Afrique.
Le thème de l’élection n’étant pas prévu dans le débat, le point de la nature dictatoriale du régime congolais imprègne la discussion. Paradoxalement, est décrit un système dont les intervenant-e-s congolais-es présent-e-s souhaitent la fin rapide mais pour lequel ils et elles n’abordent pas l’hypothèse d’une chute proche au travers du processus électoral allant vers sa fin. Le journal le Télégramme, le journal plus lu que le Monde, publie par ailleurs des interviews qui abordent le sujet, dont celles de Chris Elongo et Rebecca Kavugho.
Justement, ce 21 août, la Lucha a organisé un point presse sur le processus électoral à la suite de la renonciation, de Joseph Kabila, en annonçant une marche contre la machine à voter le 3 septembre.
Sur ce point des élections en RDC, une fois le débat public terminé, les discussions continuent ensuite plus librement. Sur la place, la convivialité du festival breton reprend le dessus entre bières locales, moules-frites, et appel au micro et en langue des signes à la mobilisation en faveur de jeunes sans-papiers à Quimper.
Régis Marzin
Douarnenez 21 août 2018, article écrit et publié à Paris le 25 août 2018

mercredi 1 août 2018

1er août 2018, Paris – Togo : conférence de presse du Coditogo sur la ‘feuille de route’ de la Cedeao

Le 31 juillet se réunissaient à Lomé, les présidents des pays de la CEDEAO. La date était attendue depuis au moins 2 mois puisqu’il devait y être annoncée une ‘feuille de route’ pour le Togo. Hier, la déclaration de la CEDEAO a évoqué une liste de recommandations : une poursuite du dialogue, une amélioration du cadre électoral, un renforcement du processus électoral au travers de la révision du fichier électoral, un objectif de législatives avant le 20 décembre, une recomposition de la Cour constitutionnelle, la limitation à 2 mandats présidentiels, des scrutins à 2 tours, des mesures d’apaisement, des réformes par voie parlementaire pour commencer, la mise en place d’un comité de suivi.
A Paris, la Coalition de la diaspora togolaise pour l'alternance et la démocratie (CODITOGO) a organisé une conférence de presse le lendemain pour en parler. Y Interviennent, Raymond Ayivi, vice-coordinateur, et Théo Agopomé, Commissaire Lobbying et Diplomatie.
En introduction, Raymond Ayivi précise que le Coditogo a été créé le 9 décembre 2017 et regroupe maintenant 18 associations de diaspora en France, aux USA, au Canada, au Sénégal, au Ghana, en Côte d’Ivoire. Son équipe dirigeante a été mise en place à Dakar début mars 2018.
Théo Agopomé explique que la CEDEAO a tenu compte des rapports des médiateurs Alpha Condé et Nana Akufo-Addo. Selon lui, Faure Gnassingbé essaye d’utiliser le dialogue pour se maintenir. Une transition avec gouvernement de transition était proposée par la coalition des 14 partis d’opposition (C14) – et par le Coditogo – et ce scénario a été totalement écarté. (ajout du 2.8 : communiqué de la C14 du 1.8)
Raymond Ayivi admet que « les recommandations ne sont pas à la hauteur des enjeux et ne rencontrent pas les attentes des togolais » qui souhaitent « une rupture avec un système de gouvernement en place depuis 52 ans ». De manière imagée, « la montagne a accouché d’une souris ». Selon lui, la feuille de route, qui ressemble plus à « une déclaration de bonne intention », ramène en septembre 2017. Pour Théo Agopomé, les recommandations n’ont pas été « juridiquement » étudiées, leur « faisabilité n’a pas été vérifié ». Le compte n’y est pas, même au niveau des mesures d’apaisement.
Surtout, concernant la limitation du nombre de mandats, « les chefs d’Etats de la Cedeao n’ont pas abordé le cœur du débat », à savoir la remise à zéro du compteur de mandats voulu par Faure Gnassingbé pour tenter de se présenter une 4e fois en 2020, un scénario totalement rejeté par les manifestants depuis le début de la crise.
Sur la date du 20 décembre pour les législatives, le Coditogo y voit pour y arriver une « quadrature du cercle ». Par exemple, sans réforme de la Commission électorale (Ceni), des élections correctes sont impossibles. Le recensement prendra du temps. Le vote de la diaspora, exigé par l’opposition, ne sera pas mis en place. Le problème du redécoupage des circonscriptions – car actuellement, « les électeurs de la région du Plateau pèsent 2 fois plus que les électeurs de la région maritime », au niveau du nombre d’électeurs par député – ne sera pas traité alors que le découpage électoral déséquilibré pourrait faire basculer la majorité du côté d’Unir en étant loin d’une majorité d’électeurs.
Sur le comité de suivi – pouvoir, C14, commission de la Cedeao et représentant des 2 médiateurs – le Coditogo souhaite attendre la mise en œuvre et voir le fonctionnement. Les incertitudes persistent sur le droit de manifester particulièrement remis en cause depuis le début du dialogue, qui « devait durer 15 jours » et dure depuis 6 mois.
Je questionne les intervenants sur l’autre sommet à Lomé, la veille, le 30 juillet, le sommet conjoint CEDEAO-CEEAC, sur la paix et la sécurité, avec les présidents d’Afrique centrale. Le 27 juin, Faure Gnassingbé était allé voir Buhari et, en sortant, a annoncé ce sommet surprise. De nombreux dictateurs étaient donc à Lomé la veille du sommet de la Cedeao, entre autres, Ali Bongo Ondimba et Denis Sassou Nguesso, un ami et soutien du dictateur togolais. Paul Biya a refusé de venir. Cela visait aussi à cacher l’actualité de la crise togolaise par d’autres actualités.
Le Coditogo souhaite continuer à mobiliser et lance un appel au peuple togolais et à la jeunesse africaine. Malgré la déception face aux recommandations de la Cedeao, Raymond Ayivi reste optimiste sur la victoire au bout du processus. Il pense que « la population va continuer de manifester et de réclamer ses droits ». Il envisage, lui, « des législatives et une présidentielle couplées à l’horizon 2020 ».
Régis Marzin
Compte-rendu du 1er août 2018
Ajout du 2.8 à 10h30 : communiqué de la C14 du 1.8 reçu par mail le 2.8 à 9h50