samedi 30 juin 2018

30 juin 2018, Paris - Djibouti : conférence de l’opposition : vers une nouvelle coalition ?

(photo : à gauche Maki Houmed-Gab, à droite Ismaël Ahmed Assoweh)
VIDEO intervention RMarzin + vidéo réponse débat
(NB : Lapsus à 23min : Afrique de l'est => Europe de l'est) 
L’Alliance Républicaine pour le Développement (ARD) organise une nouvelle conférence à Paris, après celle de février, à laquelle je participe de nouveau. Maki Houmed-Gaba a organisé et présente l’événement.
Interviennent, Jean-Loup Schaal, de l’Association pour le Respect des Droits de l'Homme à Djibouti (ARDHD), Goran Yacoub, du parti Rassemblement pour l'Action, le Développement et la Démocratie (Radd), Raymond Ayivi, de la Plateforme panafricaine, Mohamed Khadami, dirigeant du FRUD, le député Ismaël Ahmed Assoweh, élu de l’Union pour le Salut National (USN), Hassan Abdillahi du Mouvement des jeunes de l’opposition (MJO) - Europe, et moi-même.
Jean-Loup Schaal retrace l’histoire de l’ARDHD puis intervient sur la Chine et l’opposition à la dictature. Selon lui la Chine renforce son influence au travers de la dette, ce qui impacte la situation sur les droits humains. Il insiste sur la nécessité d’un retour à l’unité de l’opposition tant que la dictature est là, avant qu’une transition permette libérer le jeu politique. Goran Yacoub présente son parti le Radd dirigé par Abdourahman Mohamed Guelleh, dit TX.
Mon intervention (vidéo) est en 3 parties : les prévisions d’évolution du contexte africain avant la présidentielle de 2021, l’évolution de la relation Union Européenne – Union africaine, les processus électoraux à Djibouti.
Sur le contexte africain, je précise que, depuis 2015, le processus de démocratisation de l’Afrique est sur un pallier d’équilibre entre dictatures et démocraties : 19 démocraties / 23 dictatures stable en 2014, 22 / 22 en 2015, 23 / 23 en 2016, 22 / 22 en 2017. Pour 2018, les données seront disponibles début 2019, mais la tendance semble toujours l’équilibre, peut-être 22 / 22, à la suite des changements sans incidences sur les totaux : deux pays en 2018 démocratiques évoluent très négativement, le Niger et les Comores, en Gambie, la démocratie s’installe durablement, au Kenya, la crise se termine, le Zimbabwe pourrait confirmer une évolution positive, et le Maroc retourne à la répression d’avant 2011. En 2018, 3 pays anglophones vont mieux, et 3 pays francophones vont moins bien, et, cela se rajoute à la montée du niveau de dictature après les inversions de résultats de 2016 au Congo Brazzaville, à Djibouti et au Gabon.
Pour 2021, à Djibouti, il dès maintenant possible de reconsidérer que les ex-colonies françaises connaissent une tendance différente du reste de l’Afrique, comme dans les années 90, en négatif. La suite du processus électoral en RDC impactera toute l’Afrique, sans doute de manière ambivalente : cela met en évidence les manœuvres des dictateurs dans les processus électoraux mais la réaction demande tellement d'énergie que cela peut créer une réaction internationale de découragement face aux dictateurs. Au niveau régional, l’évolution positive de l’Ethiopie impactera Djibouti mais son système politique de partis par régions risque de limiter la démocratisation. Le positif pourrait être dans un vent de liberté d’expression et de manifestation.
Dans les années à venir, on peut prévoir que la relation UE-UA, après les négociations Post-Cotonou restructurera de nombreux domaines. Il est très difficile de prévoir ce qui va se passer, et, il y a des éléments positifs et négatifs. La sensibilité à ingérence favorise les dictateurs et la dépendance financière de l’Ua la limite. L’Ue agit aussi en fonction des intérêts européens. Les réformes de l’UA pourraient amener une rationalisation, qui pourraient aller, avec une grande incertitude, jusqu’à toucher les missions d’observations électorales (MOE-UA). En attendant, les MOE-UA en dictature sont à condamner au maximum. Les débats et décisions sur les femmes et les jeunes pourraient avoir un effet positif-ve-s, alors qu’ils-elles ne visent pas directement à faire avancer le processus de démocratisation. Ce n’est pas pour rien qu’IOG a cherché à se faire valoir en mettant 25% de femmes à l’Assemblée.
Pour Djibouti, les questions autour du processus électorales seront plus importantes. Comme ailleurs, la Ceni reflète très souvent un rapport de force. La priorité pourrait être à Djibouti d’avancer sur la protection de l’opposition. Guelleh est maintenant un spécialiste reconnu de la désorganisation de l’opposition. Il s’appuie sur la limitation du nombre de partis, fixé officiellement à 4 dans la Constitution entre 1992 et 2002 et qui est restée dans les faits. Le clonage de parti avec interdiction à Djibouti est à un niveau plus élevé que le clonage dans d’autres dictatures. Guelleh excelle ainsi dans la fabrication d’un système de fausse opposition.
Je conclus sur le fait que le chef de l’Etat voudra sans doute en 2021 réaliser un 5e mandat, mais au-delà, un risque important pour Djibouti est que Guelleh prépare le passage en dictature de parti politique – différent du modèle le plus courant de la dictature d’une personne -, sur le modèle de la Tanzanie, du Mozambique, de l’Ethiopie, de l’Algérie, ou plus récemment de l’Angola.
Mohamed Khadami rend hommage à Gaëtan Motoo, d'Amnesty International. Raymond Ayivi parle de la « main invisible » française, le Franc CFA, évoque le Togo, la question des migrations, le rôle de la diaspora dans la lutte contre les dictatures. Hassan Abdillahi s’exprime sur l’Ethiopie et nous explique le clonage du MJO. J’apprends par ailleurs qu’à Djibouti, les syndicats sont eux-aussi clonés. Le député Ismaël Ahmed Assoweh revient sur l’historique de l’USN : l’accord cadre fin 2014, les mesures anti-terrorisme. Selon lui, la disparition de l’USN était prévisible.
Le débat revient ensuite sur les erreurs de l’USN, autour de l’accord et de l’entrée à l’Assemblée nationale, et sur le besoin d’un bilan. Ismaël Ahmed Assoweh explique le consensus autour de l’accord au moment de sa signature, et met l’accent pour expliquer l’échec sur l’absence de candidat unique. Mohamed Kadamy pense que l’opposition doit « transcender les rivalités personnelles et les problèmes ethniques ». Il est question de corruption et de répression. Je signale que les partis politiques en coalition devraient normalement pouvoir s’évaluer les uns les autres dans d’autres élections qu’une présidentielle. L’inversion du résultat globale des législatives en 2013 a empêché ce mécanisme. Attention, en 2016, les législatives boycottées auront le même effet.
La conférence se termine au téléphone avec deux leaders à Djibouti : Adan Mohamed Abdou, le président de l’ARD et Abdourahman Mohamed Guelleh, président du Radd. Adan Mohamed Abdou parle des « pourparlers pour une nouvelle coalition ». L’ARD qui a été clonée n’est plus autorisée. Il répond à Maki Houmed-Gaba sur le bilan de l’USN qui a été fait dans les partis. Il pense qu’une nouvelle coalition sera plus vigilante sur des points stratégiques comme la candidature unique.
Abdourahman Mohamed Guelleh, sur le bilan, pense que l’USN s’est « vidée de l’intérieur » à cause des « ambitions personnelles ». Il dit aussi que l’opposition devrait avoir un leader. Selon lui, une nouvelle coalition aura à résoudre les questions de la « participation à un scrutin frauduleux » et de la candidature unique. Il ajoute qu’actuellement, les partis sont illégaux et « tout est inconstitutionnel ».
Les deux coups de téléphone permettent à l’assistance de constater que des discussions ont maintenant démarré sur un projet de coalition politique.
Régis Marzin,
Compte-rendu écrit et publié le 2 juillet 2018 + VIDEO intervention RMarzin (NB : Lapsus à 23min : Afrique de l'est => Europe de l'est) + vidéo réponse débat

mardi 12 juin 2018

11 juin 2018, Aubervilliers/St-Denis : le Campus Condorcet questionne le capitalisme

« La fin du capitalisme ? » : le Campus Condorcet n’est pas encore ouvert, que déjà il se montre iconoclaste ? Mais non ! Car nous sommes à Aubervilliers (et Saint-Denis) et que la question iconoclaste serait plutôt ici « la fin du communisme ? ». Peu importe, car le communisme local ayant été depuis longtemps remplacé par la gestion dans la culture du consensus, cette magie du consensus autorise à des acrobaties intellectuelles, dont la symétrie n’est qu’une des avanies. Attention ! En 2019, les chercheur-se-s et étudiant-e-s arrivent en banlieue dans des bâtiments flambant neufs, et ça va bouger ! Alors, pour limiter le choc culturel, les chercheur-se-s devront-ils/elles apprendre à suivre les codes locaux du consensus ?
La conférence est l’occasion de présenter l’avancée du projet du campus universitaire. Jean-Marc Bonnisseau, son président, en rappelle les grandes lignes, une première phase d’ouvertures à l’automne 2019 et début 2020, en particulier, l’EHESS, puis une seconde phase. Le site regroupera des historien-ne-s, sociologues, anthropologues, démographes, des spécialistes des différents continents qui seront ainsi regroupé-e-s, des spécialistes des religions, du genre, des arts, de la santé et de l’économie, etc…
A la Maison des Sciences de l’Homme, Thomas Piketty, Directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS), auteur du livre « Le Capital au XXIe siècle », clôture le cycle des conférences au Campus Condorcet 2017-2018 dont le thème était « Un monde fini ? Environnement, croissance et croyances. » Jean-Claude Schmitt, Président du conseil scientifique du Campus, le présente comme un chercheur qui « rapproche l’économie et l’histoire » dans un « engagement politique ».
Thomas Piketty démarre en précisant le thème : les différentes crises du capitalisme le conduisent-il à sa fin ? et est-ce souhaitable ? En résumé, oui ce serait souhaitable, et non, les crises en vue n’y aboutiront pas en raison de sa « plasticité ». Il insiste, en le répétant deux fois, que c’est « une erreur, de croire à un spontanéisme révolutionnaire ». Selon lui, l’échec du communisme a fourni « ses plus grands alliés du capitalisme », réfractaires aux « croyances universalistes », en Russie et en Chine, les pouvoirs post-communistes, étant, « des freins à la lutte contre les Paradis fiscaux et judiciaires ». Il conclut cette introduction par le fait que « l’échec du communisme pèse très lourd au XXIe siècle », ce qui n’est pas sans rappeler des conséquences politiques de la guerre froide.
L’exposé est ensuite en 3 parties, 3 domaines de propositions : repenser la propriété publique, repenser le partage du pouvoir dans les entreprises, développer la propriété privée temporaire. Revenant sur le communisme, il remarque que l’abolition de la propriété privée avait été pensé comme « hégémonique » sans réflexion préalable sur « le partage du pouvoir ou les élections », dans un marxisme qui se voulait scientifique mais n’avait « rien de préparé sur comment organiser l’Etat ». Ensuite, « les bolcheviques sont allés vers la personnalisation du pouvoir et l’utilisation de boucs émissaires ». Actuellement, après « un effondrement du patrimoine public » depuis les années 70, ce patrimoine est « négatif aux USA, au Royaume Uni, et en Italie », où, « la dette publique dépasse le patrimoine de l’Etat ». En France et en Allemagne, il reste encore positif mais proche de zéro. Les intérêts de la dette sont comme « un loyer au privé ».
Pensant que l’Europe aurait besoin d’une concertation sur ce sujet, et sur la fiscalité européenne, il propose de réorganiser la démocratie européenne au travers d’une « Assemblée des députés nationaux de la zone Euro ».
En vue de repenser le partage du pouvoir dans les entreprises, il s’appuie sur les exemples de l’Allemagne et la Suède où depuis 1950, des postes dans les Conseils d’administration sont attribués aux salariés, la moitié en Allemagne (pour les entreprises de plus de 2000 salariés). Selon lui, la gauche française focalisée historiquement « sur la nationalisation des moyens de production » a « méprisé » cette voie « social-démocrate ». Il propose des « assemblées mixte avant élections des Conseils » pour préparer des élections sur des projets et d’inventer des nouvelles formes de propriétés.
L’universitaire termine sur la propriété temporaire en envisageant des solutions autour de la transmission du patrimoine, au-delà de l’impôt progressif sur les successions, et sur le besoin d’une réforme de la Taxe foncière datant de la révolution française et « profondément injuste ». Pendant le débat qui commence, répondant à Meriem Derkaoui, Maire d’Aubervilliers, dénonçant la politique du gouvernement sur les aides sociales, le chercheur regrette que « la suppression de la taxe d’habitation mette la pression sur les collectivités » et rappelle les « 5 Milliards de cadeaux fiscaux sur l’impôt sur la fortune ».
Une question est posée sur les métaux, l’énergie. Il redit alors que les crises sur les matières premières et le climat ne mèneront pas à la fin du capitalisme, ce qui rappelle le discours tenu sur l’anthropocène à la précédente conférence. Il résume très vite quelques points, les inégalités qui provoquent de la xénophobie, la dette, et revient sur « le capital naturel atteint ». En l’absence de prévision et scénarios assez précis-es sur les ressources naturelles à long terme, ne sous-évalue-t-il pas l’importance du questionnement à ce sujet ?
Le débat se termine sur son regret d’une absence de propositions claires de la part des partis politiques, France insoumise entre autres, sur le fonctionnement de l’Union européenne.
Régis Marzin
Article écrit et publié le 12 juin 2018

vendredi 8 juin 2018

7 juin 2018, Aubervilliers, Artana : l’alerte sera-t-elle entendue ?

Un premier débat sur le dernier livre de Didier Daeninckx a enfin eu lieu à Aubervilliers, ce jeudi à la Libraire les Mots passants. L’habitant le plus connu de la ville est venu parler d’« Artana ! Artana ! » sortie le 17 mai devant une trentaine de lecteur-trices et citoyen-ne-s.
Deux jours avant, le journal Le Parisien écrivait : « Si la démonstration n’était pas assez explicite, à la fin du « roman », il écrit : « En 2014, dans les villes comme Aubervilliers, Saint-Denis, Noisy-le-Sec, Bobigny, des têtes de liste aux municipales ont passé une alliance avec les bandits du secteur pour se faire élire ou se maintenir en place ». Un saut à pieds joints dans la flaque ?
Il y a le roman et il y a la réalité, et, pour une fois la réalité que cache le roman intéresse tout autant que le roman. Il y a la Courvilliers et il y a Aubervilliers. Il y a des personnalités qui se reconnaissent ou se devinent dans des personnages.
A la Libraire les Mots passants, Didier Daeninckx commence par indiquer que « Courvilliers est emblématique d’une dizaine de villes de Seine-Saint-Denis », une ville imaginaire qu’il a déjà utilisée depuis 1986 pour parler de « territoires gorgés d’histoires, de conflits, de meurtres » dans une dizaine de nouvelles. Il évoque très vite deux meurtres d’algérien-ne-s en 1944 et 1961.
Le livre a été pour l’écrivain « douloureux ». C’est un livre de « colère » face à l’« affaissement » dont il voulait parler, d’autant plus qu’il « porte en lui une histoire » positive de personnalités très engagées d’Aubervilliers, sa mère, ancienne résistante à la dictature franquiste ou Henri Martin, résistant anticolonialiste dans les années 50, et plus récemment d’autres « gens qui renversent des montagnes ».
Ses informations de départ, il les a trouvées dans la presse, dans les « sources ouvertes ». C’est par exemple les trafics de drogues découverts dans les garages municipaux à Bagnolet en 2013 puis à Saint-Denis en 2016. A Aubervilliers, en 2014, il y a eu l’histoire incroyable du directeur du service Entretien ménager des bâtiments communaux de la Ville, admirateur de l’Etat islamique, promu après des services rendus dans la campagne électorale. Sur Saint-Denis, il fait ensuite allusion à l’élu Madjid Messaoudène, proche du Parti des Indigènes de la République (PIR) et de Tariq Ramadan, et à la démission du maire Didier Paillard en 2016. Il termine sur Noisy-le-Sec et un règlement de compte visant un élu en 2016. Dans le débat, il se souvient encore d’un bandit intervenu au moment des élections à Bobigny en 2014.
En commentaire sur cette réalité locale elle-même, Didier Daenincks regrette que la « vertu démocratique » laisse place « au clientélisme, au communautarisme et aux bandits », dans un « affaissement des élites politiques ». Il enrage devant le « mépris » qui cause le départ des artistes et les « lieux bouclés », le Grand Bouillon et l’Entremonde dernièrement. Selon lui, les partis n’existent plus et les trafiquants sont « nombreux et organisés » ce qui le pousse à tirer la sonnette d’alarme pour les élections municipales de 2020. 
Il observe l’abstention qui augmente après les manœuvres des élu-e-s, d’anciens maires qui nomment des « marionnettes », « les attaques de l’Etat » auquel « les gens ne croient plus », la « distribution de prébendes », les élections qui peuvent être gagnées avec seulement 4500 voix en s’aidant « du communautarisme et du clientélisme » ou peut-être même de l’achat de vote, sur lesquels il y a des bruits mais pas de preuves.
Le débat revient sur le roman, dans lequel tous ces personnages inquiétants sont hors-champs. Didier Daenincks conclut en invoquant le roman noir américain qui permet de « regarder l’enfer en face » quand les artistes prennent le risque de « sonner le tocsin ».
Entre fiction et réalité, que faut-il en déduire ? Après l’alerte du rapport de la Chambre régionales des Comptes - Ile-de-France de fin 2016, est-ce un nouveau coup de gong qui vient briser le consensus historique albertivillarien ? Pour quel effet ? Qui entendra cette alerte ? Comment sera-t-elle comprise ? Sera-t-elle amortie et rapidement oubliée faute de débat public ? Faute d’informations plus précises ? Quelles sont les solutions et les alternatives au laisser-couler ? Un roman dont on attend la suite…
Régis Marzin
Article écrit et publié le 8 juin 2018