mercredi 31 mai 2017

31 mai 2017, Aubervilliers, les balles du 14 juillet 1953

Daniel Kupferstein, également auteur de 2 documentaires sur le 17 octobre 1961 et sur le massacre de la station de métro Charonne le 8 février 1962, vient à Aubervilliers pour présenter son livre et son documentaire sur un massacre méconnu à Paris, celui du 14 juillet 1953 lors d’une manifestation du Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques, parti politique du leader algérien Messali Hadj. J’arrive après le débat à la librairie, pour voir le film « Les balles du 14 juillet 1953 » et je ne peux pas faire de photos.
Le 14 juillet 1953, la manifestation est organisée avec le soutien du PCF et de quelques associations comme le Mouvement de la paix. Les revendications concernent la guerre en Indochine, les arrestations de membres du PCF en France, et, pour l’Algérie, la libération de Messali Hadj, l’égalité entre français et algériens, les élections en Algérie. Elle rassemble essentiellement des algériens, des syndicalistes et des communistes. Quand la partie algérienne du cortège est arrivée Place de la Nation, les CRS ont ouvert le feu, avec des pistolets, faisant 7 mort et 50 blessés. Un des morts était un ouvrier de la CGT, Maurice Lurot, dont la famille s’est battue, en vain pour obtenir justice. Le documentaire présente longuement les 6 victimes algériennes.
Le préfet de police responsable est Jean Baylot, un ancien résistant, qui « a réintégré de nombreux policiers révoqués en 1945 » et a reconstitué la Brigade nord-africaine. Le Ministre de l'Intérieur des gouvernements Joseph Laniel, du 28 juin 1953 au 18 juin 1954, Léon Martinaud-Déplat, du Parti radical-socialiste, a défendu les CRS en parlant de légitime défense. Le reportage de Daniel Kupferstein rappelle les faits sans aucun rapport avec de la légitime défense. La justice mène ensuite une fausse investigation sur une prétendue « rébellion ». Un procès a lieu en 1957, reprenant uniquement la version policière.
Suite à ce massacre, les cortèges ouvriers seront interdits à Paris. Les manifestations du 1er mai ont disparu entre 1954 et 1968. Le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques en sortira affaibli et une partie supplémentaire des militants algériens pour l’indépendance se tournera vers la lutte armée. La désillusion sur l’obtention de l’indépendance par la voie pacifique avait commencé après les massacres de Sétif, Guelma et Kherrata en mai 1945, et s’accélérera alors en 1953. Le MTLD se scindera en deux fin 1953 et définitivement en août 1954.
Une banderole attire mon attention. Ce 14 juillet les manifestants avait écrit « Assez de trucages électoraux ». Le 11 avril 1948, ont eu lieu des élections pour le deuxième collège de l'Assemblée algérienne, 60 députés sur 120 élus par 1 300 000 citoyens « de statut musulman». Les fraudes électorales, des bourrages d’urnes surtout, et 8 personnes tuées par les forces de l’ordre ont fait scandale. Les partis algériens, le MTLD n’a eu que neuf députés et l'UDMA de Ferhat Abbas huit, alors que les « deux mouvements avaient obtenu un très grand nombre de voix aux élections municipales de 1947 ». L’assemblée en était ressortie dominée par les « béni-oui-oui ». Les fraudes continueront en 1954.
Ainsi l’expérimentation des fraudes électorales par les français en Afrique a commencé le 11 avril 1948 en Algérie. Daniel Kupferstein me précise que « la démocratie était intolérable pour les colons ». Le janvier 1948, en Inde mourrait Gandhi qui lui avait exigé à la fois l’indépendance et la démocratie, ce qu’il avait obtenu le 15 août 1947, mais cela n’a rien à voir…
Régis Marzin, 
écrit et publié le 6.6.17

samedi 27 mai 2017

27 mai 2017, Aubervilliers, il était une fois l’esclavage

Ce samedi 27 mai, à l’Embarcadère, le service de la Vie associative et des Relations internationales d’Aubervilliers organise une journée sur l’esclavage. En arrivant, dans le hall, au milieu d’autres expositions, je discute de Ouidah, et de la mémoire de l’esclavage au Bénin, comme je connais un peu le Bénin.
Une première conférence a pour thème ‘L'esclavage dans le monde aujourd'hui, l'exemple de la Mauritanie’. Le chercheur Daouda Ndiaye reprend la problématique à partir de la structure de la société Soninké, organisée en classes, avec une noblesse de chefs de villages et de savants, des castes de métiers, et des familles dépendantes des familles de noblesses. L’esclavage dans lequel les maîtres avaient tous les droits, a été supprimé en 1970, mais la dépendance est restée après cette étape d’affranchissement. La loi n’est pas bien appliquée. Dans le lien traditionnel, l’entraide est obligatoire, les familles restent proches. Waly Diawara, de l’Association Ensemble pour l'Espoir et le Développement (EED) complète les explications. Dans certains cas, les anciens esclaves et maîtres ne se parlent plus. Il n’y a pas de mariages entre castes. Il y a une division ethnique qui s’ajoute. L’Etat a créé une agence pour lutter contre les séquelles, Tadamoun, qui s’attaque à la pauvreté. Daouda Ndiaye me précise ensuite, qu’il y a des élections locales mais que l’ordre ancien se perpétue, quand les élus sont ‘nobles’ et très rarement des familles d’esclaves. Selon lui, les mentalités n’évoluent pas assez, et il y a un problème de société. Comme j’insiste un peu sur l’absence de démocratie en Mauritanie, il reconnaît que la citoyenneté est aussi mal comprise au niveau national.
Après un court-métrage, et un film de bilan historique parrainé par l’Unesco, le second débat rassemble Marcel Dorigny, historien spécialise de l’esclavage, Huguette Marcelin, originaire d’Haïti, Dominique Sopo de SOS-Racisme, et l’animateur Alphonse Karim, du cinéma le Studio.
Marcel Dorigny est passionné. Il démarre sur la révolte de St-Domingue entre 1891 et 1803 quand 500 000 esclaves ont pris les armes. Il n’y avait alors que 600 000 esclaves aux USA. Les français ont accordé l’abolition pour éviter une conquête anglaise. Ce fût la seule insurrection victorieuse. Cela me rappelle le film « Queimada », ce chef d’œuvre, une fiction dans laquelle on devine que des esclaves libérés transformés en ouvrier agricoles pouvaient ensuite rapporter autant d’argent aux propriétaires et aux investisseurs dans le sucre. En Amérique du sud, l’esclavage est resté après les indépendances. Lors du débat avec la salle, l’historien précise que l’esclavage sous l’empire romain n’était pas « racialisé », alors que « l’esclavage colonial est racialisé ». Il estime à 13 millions le nombre de personnes transportés dans la traite atlantique, en s’appuyant sur des archives des sociétés d’assurances à Londres, en évaluant à 5 ou 6 fois plus le nombre de morts autour du commerce avant les départs, soit 70 millions de morts. Dans son « Atlas des esclavages », bourré de cartes et de graphique, se remarque un graphique des quantités de personnes annuellement transportées sur plusieurs siècles, on remarque les guerres en Europe qui limite le commerce. Il n’y a pas d’archives pour la traite « arabo-musulmane » qui a déporté entre 8 et 13 millions de personnes.
Huguette Marcelin précise quelques faits sur Haïti et remercie Christiane Taubira, dont la loi de 2001 a permis la reconnaissance de l’esclavage en crime contre l'humanité. Dominique Sopo intervient sur le racisme. Selon lui, pour justifier l’utilisation, on a construit une théorie raciale. Il constate qu’en 2017, lors de la cérémonie du 10 mai, il y avait « des blancs dans la tribune et des noirs en bas ». Il regrette que Jean-Marc Ayrault ait été nommé à la tête d’une Fondation sur l’esclavage à la place d’une personne concernée.
Carlos Semedo, le directeur de la Vie associative et des Relations internationale conclut en souhaitant aller plus loin. Il propose de renouveler ce rendez-vous tous les ans.
Régis Marzin
Article écrit et publié le 6 juin 2017