mardi 28 février 2017

25 et 28 février 2017, Paris, Djibouti : manifestations pour la démocratie

25 février 2017, Trocadéro
28 février 2017, Place Madeleine
Dix mois après son coup d'Etat électoral d'avril 2016, l'assassin présumé du juge Borrel est reçu à l'Elysée par François Hollande, le président « normal avec les dictateurs ». La diaspora djiboutienne se battant pour la démocratie à Djibouti condamne cette réception d'Ismaël Omar Guelleh à l'Elysée. La coalition d'opposition Union pour le salut national a appelé à deux manifestations, le samedi 25 février place Trocadéro, puis le mardi 28 février Place Madeleine.
L'Elysée n'a pas communiqué avant le 28 février sur les raisons de son choix de recevoir un chef d'Etat criminel et isolé, au risque de salir son image déjà bien écornée en Afrique. Les journaliste de RFI ou Monde ont été obligés de faire des hypothèses sur la politique militaire ou la réaction à l'influence chinoise à Djibouti.
Finalement, le 28 février, la présidence française a sorti un communiqué sans référence à l'Etat de droit, axé uniquement sur les aspects militaires et économiques, avec une référence imaginaire ou ironique à la démocratie au travers de la francophonie, qui pourra être aussi comprise comme une insulte méprisante à l'égard des démocrates. Le message affiché est celui d'un soutien « normal » à un dictateur alors que celui-ci a maintenant augmenté le niveau de dictature à un niveau très élevé, réprimant maintenant fortement toutes les activités politiques d'opposition.
Les partis sont systématiquement clonés, et les politiciens des vrais partis empêchés d'agir. Ismaël Omar Guelleh est à nouveau décomplexé. Débarrassé d'une surveillance internationale qui s'était installée avant la présidentielle, il peut facilement désorganiser les opposants. A l'ombre des bases militaires, il pourrait même bientôt se payer le luxe de développer un peu le pays – ce qui n'est pas si fréquent dans les pays où les richesses sont détournées par un clan – en faisant comprendre au peuple qu'il ne sert à rien de perdre son temps avec de la politique !
Ce que l'on observe, principalement, c'est que durant tout le quinquennat, François Hollande et son gouvernement auront été incapable de sortir d'une soumission à l'influence militaire dans plusieurs pays d'Afrique, Djibouti en particulier. Dans ce pays, le soutien constaté en 2014 des diplomates occidentaux à la démocratisation s'est effacé en 2015 quand le dictateur a fait progressivement valoir ses arguments, militaires et économiques. François Hollande est dans la continuité de la reculade de début 2016.
En 2012, au moment où les Verts sont entrés au gouvernement et ont accepté le Ministère du développement pour une personnalité de type 'économiste' et très peu 'politique', il était alors question du protocole d'accueil des dictateurs africains, avec ou sans tapis rouge. Ce n'était sans doute pas la bonne question. Les échanges diplomatiques ne s'arrêtent jamais. Un rejet trop marqué des dictateurs par les anti-néocolonialistes alors que ces chefs d'Etat interviennent dans le domaine militaire, a peut-être facilité indirectement le jeu des conseillers militaires français, qui ont trouvé chez des dirigeants socialistes peu compétents et sans programme une écoute attentive, parce que ceux-ci se sentaient dans une obligation de mettre en œuvre une politique réaliste et compatible avec les contraintes sécuritaires. Il y a eu un coup de balancier quand la bonne volonté de départ pour la démocratie a disparu fin 2012 et au premier semestre 2013. Les conseillers militaires étaient alors devenus très présents et les démocrates africains n'ont presque plus été écoutés jusqu'à mi-2014.
Que se serait-il passé si les opposants démocrates avaient développé leurs positions dans une «approche globale» sur le modèle européen ? Est-ce qu'il aurait été possible d'empêcher les militaires français et le gouvernement d'oublier la nécessité de maintenir des exigences fortes sur la démocratisation de l'Afrique, en dehors de la gestion des crises militaires, au Mali et en Centrafrique? La question se repose en 2017. Si un nouveau président très incompétent sur l'Afrique accède à la présidence française, est-ce que la politique française en Afrique peut se rééquilibrer ou pas ? Ce nouveau président va-t-il par défaut se laisser guider par des stratèges du Ministère de la défense sous prétexte de lutte anti-terroriste ?
Les démocrates djiboutiens confrontés à la violence de la répression des dictatures attendent eux et elles de la politique française qu'elle affiche un soutien réel et ferme à la démocratie. Sur RFI, Maki Houmed Gaba, le représentant en France de l’USN, a indiqué: "Nous lui disons : vous allez recevoir Ismaïl Omar Guelleh, ce qui est une mauvaise opération puisque Omar Guelleh a une politique antidémocratique dans son pays. Aucune opposition à Djibouti ne peut fonctionner. La société civile, les opposants… à Djibouti, pratiquement tout le monde est sous surveillance. Djibouti est un pays complètement fermé à la liberté, à la démocratie, aux élections... Ce que nous disons à Monsieur François Hollande c’est que Djibouti, représente, évidemment, un intérêt majeur et stratégique pour la France, avec le passage maritime et... la piraterie [qui] est surveillée. Nous comprenons donc que François Hollande ait besoin que la France – partenaire historique de Djibouti – soit toujours présente et il est normal que la France soit présente. Néanmoins, la France a tout à fait la possibilité de conseiller à son partenaire djiboutien pour qu’il ne favorise pas uniquement son clan et qu’il n’interdise pas la démocratie à Djibouti". 
Pour ce faire, il serait utile que la diplomatie française accepte de mettre en œuvre réellement une «approche globale», qui respecte l'équilibre entre les domaines, Démocratie et Etat de droit, Paix et sécurité, Economie et développement. En ce qui concerne la démocratie, la priorité serait évidemment à mettre sur la qualité des processus électoraux.
Ismaël Omar Guelleh n'a jamais été élu selon une élection démocratique, et à Djibouti, même l'Assemblée nationale n'est pas élue puisque le résultat a été totalement inversé aux législatives en 2013. Des élections municipales viennent d'avoir lieu qui n'ont aucun écho puisque elles n'ont aucun rapport avec la démocratie.
Faut-il encore s’appesantir sur François Hollande ? La question est maintenant de savoir quelle politique mènera son successeur. Le point de l'influence anormale et excessive de l'armée française est en suspens, parce que le soutien à la démocratie en Afrique n'est toujours pas mis en avant par des propositions concrètes incontestables, en particulier dans le domaine électoral. Dans ces conditions, après l'élection de 2017 en France, les décisions seront sans doute de plus en plus prises à Bruxelles, et, dans le domaine de la politique étrangère, les transferts de pouvoir continueront de se faire par défaut, faute de politique française adaptée à l'évolution de l'Afrique.
Régis Marzin,
article écrit et publié le 28 février 2017

lundi 27 février 2017

26 février 2017, Paris, Bobines Sociales, Alice Diop

Je passe dire bonjour aux ami-e-s à la fin du festival Bobines Sociales, à la Belleviloise à Ménilmontant. Lors de la dernière séance sont proposés les films d'Alice Diop, «Vers la tendresse» (2015, 39min), et «La Mort de Danton»
(2011, 64min).
Le premier, que j'ai vu déjà 2 fois en 2016, expose 4 récits de jeunes hommes, sur leur vie sentimentale, sexuelle ou amoureuse. Le second nous retrace l'expérience d'un homme en école de cinéma, originaire d'une cité, originaire d'où...?... peut-être un peu aussi du Cameroun, car un de ses amis intime l'appelle de bamiléké. Il est question un moment de l'hypothèse de voir jouer Danton par cet acteur de peau assez foncée, qui à l'écran est un tout petit peu jaune d'ailleurs ce soir, et des préjugés supposés des professeurs sur la question.
Alice Diop qui vient de recevoir un prix pour le premier des courts-métrages s'est décommandée au dernier moment. Patrick, l'une des 3 personnes filmées, est avec nous. Son point de vue est qu'Alice Diop présente une «universalité» au travers de quelques cas. Les expériences présentées n'ont pas été choisies pour représenter la banlieue et ne correspondent pas à un classement sociologique.
Le film a été projeté récemment à Saint-Denis, devant un public jeune qui a eu des difficultés à discuter d'homosexualité. Cela me rappelle une bande-dessinée que je viens de terminer, «Gouines à suivre», d'Alison Bechdel. J'ai lu ce livre avec un plaisir lié au fait que les histoires, extrêmement bien racontées, pourraient être vécues par des personnes de tous 'genres', la référence à une catégorie n'étant pas la seule chose intéressante. Patrick pense que les histoires racontées dans le court-métrage d'Alice Diop parlent de choses essentielles qui dépassent une quelconque catégorie.
La salle commence un peu à débattre de la question de la référence à ces «catégories». D'ailleurs, existe-t-elles toujours? Garçons de banlieue? Homosexuel-le-s et-ou bisexuel-le-s? «Noirs et arabes» ou de couleur foncée et originaires du Maghreb, d'origine kabyles, etc...? Une personne s'inquiète de l'«instrumentalisation» potentielle de «Vers la tendresse» dans un contexte de montée de l'extrême droite, et, une autre considère, à juste titre sans doute, que le film est suffisamment bien construit et pensé pour empêcher une mauvaise analyse. Il s'attaque aux préjugés.
Il aurait fallu pouvoir débattre un peu plus de la «La Mort de Danton» pour mélanger les réflexions sur plusieurs types de préjugés, de discriminations, de manière et de sentiments d'être, d'adaptations ou d'assimilations, d'histoires vécues... Débat à suivre... peut-être à Bobines Sociale 2018?
Régis Marzin,
article écrit et publié le 27 février 2017

samedi 4 février 2017

4 février 2017, Paris-Pantin, Tchad : 9e Commémoration de l’assassinat Ibni Oumar Mahamat Saleh

Les intervenant-e-s à la 9e Commémoration de la disparition d’Ibni Oumar Mahamat Saleh le 2 février 2008, à la Fondation Gabriel Péri, sont, de gauche à droite, Makaila Nguebla, célèbre journaliste en exil, Delphine Lecoutre, experte sur l’Union africaine et responsable bénévole sur le Tchad à Amnesty International, Thomas Dietrich, écrivain et aventurier, qui a organisé l’événement, Seidik Abba, journaliste au Monde Afrique, Roland Marchal, chercheur au CERI à Sciences Po, auteur d’un rapport édité en 2015, ‘Petites et grandes controverses de la politique française au Tchad’, et, absent de l'image, Brahim Ibni Oumar, fils benjamin du leader de l’opposition tchadienne assassiné par le président tchadien. Le député Gali Gata Ngothé a annulé sa venue. 
Delphine Lecoutre fait le point sur le dossier qui a été très défendu depuis le début par Amnesty. Arrivant en retard, je manque cette intervention, celle de Brahim Ibni Oumar et le début de celle de Roland Marchal.
Roland Marchal parle de la relation entre les états tchadiens et français les dernières années. Il souligne la violence de l’armée tchadienne au Tchad, citant un militaire français, pour qui il ne s’agit pas de soldats mais de guerriers. D’après lui, la lutte contre le terrorisme nécessite des armées qui sachent rassurer la population, ce qu’est incapable de faire l’armée tchadienne.
Il regrette en France : « la survalorisation de l’outil militaire qui signifie une fin de réflexion politique » (lire aussi ‘La politique africaine française sous influence militaire ?’, 7.7.13), posant problème dans la « structure », quand il y a « une incapacité des diplomates à jouer leurs rôles ». La relation entre le ministre de l’Afrique de Hollande, Jean-Yves le Drian, et chef d’Etat tchadien est restée au beau fixe pendant 4 ans 1/2, tandis que l’enquête en France, sur son assassinat n’avançait pas.
Seidik Abba prend un autre exemple qui illustre la proximité du ministre commercial en armement avec le président criminel. Sur l’affaire des votants militaires disparus pendant la présidentielle, alors que le lorientais passait à Ndjaména, le journaliste a pu entendre la conseillère du président français, Hélène le Gall signifier qu’« on avait pris acte » sans donner de suite. Il rappelle que Jean-Yves le Drian a interrompu ses vacances pour venir à l’investiture après le coup d’Etat électoral.
Thomas Dietrich intervient sur les droits humains. Makaila Nguebla continue sur ce sujet en remarquant que les media sont actuellement au plus bas au Tchad. Il constate que les chercheur-se-s français-e-s comme Roland Marchal ou Marielle Debos ne sont pas écouté-e-s comme il se devrait et que le député socialiste Philippe Baumel, qui contestait la relation avec le Tchad a été à cause de cela « ostracisé à l’Assemblée nationale », comme si le gouvernement ne supportait aucune critique à propos de son alliance avec le dictateur qui lui était utile dans sa lutte contre le terrorisme au Mali.
L’activiste Abdelkerim Yacoub ne compte pas sur la France et pense, lui, que l’affaire d’Ibni Oumar Mahamat Saleh est l’affaire du peuple tchadien.
Thomas Dietrich lit un texte en hommage. Une vidéo est aussi projetée qui indique qu’Ibni Oumar Mahamat Saleh était un opposant qui critiquait le pouvoir et les rébellions, s’étant éloigné des deux.
Thomas Dietrich lance le débat en présentant dans le public « son général », Mahamat Nouri, ancien chef des  rebelles de l'Union des forces pour la démocratie et le développement (UFDD), qui réside depuis cinq ans en France et dont des comptes viennent d’être gelés pour 6 mois par le gouvernement français. Paradoxalement, Mahamat Nouri reconnaît qu’Ibni Oumar Mahamat Saleh a été tué alors qu’il était pacifiste et opposé aux violences. Un peu plus tard, une personne du public affirme qu’Idriss Déby pensait que les rebelles « politico-militaires travaillaient pour Ibni Oumar Mahamat Saleh ».
Les questions du public renvoient sur la politique du gouvernement français sous Hollande. Roland Marchal voit « une continuité historique » sur plusieurs dizaines d’années avec des « changements de raisons » : d’abord, une alliance avec Déby « contre l’islamisation face à Khartoum », avec les rebelles au Soudan considérés comme des mercenaires d’El Beshir, puis un « containment de Khadafi », puis la lutte contre le terrorisme au Mali, le gouvernement français utilisant son « imagination pour justifier un soutien ».
A cela, il serait possible de répliquer que le fait que les raisons se succèdent ne fait pas qu’elles ne soient pas d’une certaine pertinence. L’argument ne sous-estime-t-il pas les qualités ‘logiques’, sans être éthiques, des raisonnements des 'stratèges' militaires et politiques français ? Ne faudrait-il pas insister sur le fait que l’armée française ne tient a priori pas du tout compte du fléau des dictatures en Afrique et de la nécessité d’une démocratisation ? Le leader actuel de l’opposition, Saleh Kebzabo, souhaiterait, lui, que le gouvernement français fasse la différence entre Déby et l’armée tchadienne>, sachant que l’opposition démocratique est, elle-aussi, très sensible aux arguments de Paix et sécurité en Afrique. Pendant le quinquennat d’Hollande, l’armée française et le gouvernement français n’ont pas montré qu’elle et il faisaient autre chose que de favoriser le maintien d’une dictature au Tchad. Le niveau de répression des libertés a pendant ce temps un peu baissé, alors qu’il remontait violemment à Djibouti, au Gabon et au Congo Brazzaville en 2015 et 2016.
Le chercheur se souvient que mi-2012, « Hollande a commencé par ne pas vouloir rencontrer le président tchadien, puis que les militaires ont influencé, et qu’il y a eu un enchainement rapide avec Serval au Mali et une logistique installée en 2 semaines, et que Déby s’est retrouvé au centre du jeu ». Seidik Abba indique que fin 2012, « alors que Déby n’était pas allé à Kinshasa, la DGSE et les miliaires l’ont persuadé d’envoyer un contingent au Mali », pour finir par avoir « open bar » à Paris.
Enfin, une rebelle exilée fait l’éloge du parti d’Ibni Oumar Mahamat Saleh, le Parti pour les Libertés et le Développement (PLD). Puis un homme en colère se disant appartenir à la rébellion le Front pour l'alternance et la concorde au Tchad (FACT), bombardée en décembre par le Général libyen Haftar, attaque verbalement violemment la France. Le général Nouri en profite dans signaler à l’auditoire qui se lève alors ,qu’il n’a pas de comptes en banque en France. La commémoration s’achève ensuite rapidement…
Régis Marzin
Compte-rendu écrit et publié le 12 février 2017