dimanche 26 janvier 2014

26 janvier 2014, Paris, génocide des Tutsi du Rwanda, 20 ans déjà

20 ans déjà que la justice piétine et les acteurs français complices du génocide des Tutsi du Rwanda ne sont toujours pas jugés. Les commémorations de 2014 commencent avec plusieurs événements organisés et parrainés par les rescapés d'Ibuka. Ce dimanche, des assises de la lutte contre le négationnisme "20 ans après : dire le génocide des Tutsi", composés de 4 panels a lieu toute la journée à l'ESG, un lieu surprenant pour ce thème, et je viens l'après-midi pour les 2 derniers panels. Ce genre de colloque demande, si l'on connait déjà le sujet, un bon sens de la diplomatie et de la dialectique, car il s'agit de se satisfaire des quelques éléments de progrès sur le dossier. Depuis 2008, cela avance, doucement, constamment, pas à pas, et en 2014 se pose surtout la question de la tenue des premiers procès. Ce n'est pas la peine de s'étendre sur le spectacle, la mise en scène qui permet à certains retardataires de prendre le train en marche avant qu'il ne soit trop tard, à quelques usurpateurs, non-cités dans cet article, de jouer leur rôle, et à Bernard Kouchner de venir se faire applaudir bruyamment pour son apport personnel au progrès de l'humanité, au niveau ingérence et devoir de protéger. Il y a 300 personnes dans la salles dont 250 étudiant-e-s, qui ont été poussé-e-s par leur école à rester jusqu'à la fin. Certes, il y a mise en scène, mais les paroles, c'est autre chose, plus important.
Le thème du négationnisme, alors que les négationnistes sont déjà à la dérive, est aussi une manière d'aborder l'implication des acteurs français sans ne faire que cela, et donc c'est aussi un compromis dans la communication. Une manière plus franche aurait été d'évoquer aussi plus longtemps des acteurs impliqués dans l'obstruction de la justice, le négationnisme ayant surtout permis de cacher cette obstruction et de la justifier a posteriori.
Heureusement, Patrick de Saint-Exupéry, dernier à gauche, et Jean-François Dupaquier, dernier à droite, sont là pour aller à l'essentiel. Patrick de Saint Exupéry indique que la thèse du double génocide a été lancée par François Mitterrand lui-même. Il évoque les 30 procédures contre son livre 'Complice de l'inavouable, la France au Rwanda' annonce qu'un juge a prononcé en même temps un 'attendu' qui sera publié prochainement et aborde l'implication des acteurs en cause. C'est une première, et l'information devrait sortir prochainement. Il précise aussi que tous les plaignants officiers de l'armée française ont eu leurs frais de justice payés par le ministre de la défense sans limite. Ils ont perdu quand même. Il ne faudra pas oublier de leur demander de rembourser cet argent aux contribuables si jamais la justice s'intéresse un jour pour de bon à leur cas.
Jean-François Dupaquier rapporte les propos de M Paul Dijoud directeur Afrique au Quai d'Orsay en 1991-1992 lors d'une rencontre avec le FPR: "Si vous ne déposez pas les armes, vous trouverez tous les vôtres déjà exterminés à votre arrivée à Kigali", ce qui constitue pour Jean-François Dupaquier un "consentement préalable à un génocide éventuel". Il résume aussi l'enfumage du juge Bruguière auquel ont collaboré des universitaires comme André Guichaoua ou Claudine Vidal (en plus de Charles Onana).
Dans la dernière partie du colloque, Hélène Dumas aborde les tribunaux Gacaca, Stéphane Audoin-Rouzeau explique comment les sciences sociales doivent s'impliquer, corriger des erreurs, et que, lui, dirige une équipe de thésard sur le génocide.
Alain Gauthier du Collectif des Parties civiles rwandaises (CPCR) fait le point sur les 20 procédures contre les présumés génocidaires en France. Le procès de Pascal Simbikangwa, premier procès, enfin!, est imminent, il commence le 4 février. Il explique que le CPCR a fait depuis dix ans le travail d'enquête et de plainte à la place du Parquet, et comment la justice a freiné le plus souvent toutes les actions. 3 présumés génocidaires seulement ont été mis en détention préventive. Agathe Habyarimana, personnellement impliquée dans l'organisation du génocide, a été protégée. Cela avance enfin depuis 2012, grâce à la création du Pôle génocide et crime contre l'humanité au TGI de Paris.
A la fin du colloque, arrive enfin Bernard Kouchner, qui a écouté aussi une grande partie des interventions. Dialectique aidant, il y a un peu de suspens. A quel niveau va-t-il placer le curseur? Le 26 mai 2013, il s'était montré très réservé. Lui qui en sait tellement, va-t-il parler un peu? Mais une analyse purement subjective et morale ne permettrait pas de se placer au niveau du style diplomatique internationalement historique. Non, ce n'est pas cela...
Bernard Kouchner parle de la Centrafrique, et de la nécessité d'intervenir en amont, assez tôt. Il dit que les Etats n'interviennent pas que pour des raisons égoïstes. Il demande que l'Union Européenne adopte des "mécanismes d'intervention" comme ceux de l'ONU, "Early Warning System". Il regrette le désintérêt actuel en occident, celui des électeur-trice-s, pour la protection des populations en danger.
Il dit quelque chose de personnel, que pendant 8 ans, il était incapable de parler du génocide des Tutsi, que l'opacité était telle que cela désespérait. Il raconte comment il avait essayé pendant le génocide d'alerter Mandéla qui n'avait réagi que 3 mois plus tard. Il explique que l'opinion était influencée par les politiques, alors que "des erreurs politiques massives avaient précédées". Il dit qu'il faudrait reconnaître cette erreur politique. Il dit qu'il n'a même pas été interrogé par la Mission d'information parlementaire de Quilès en 1998. Il dit une phrase, vite, que je n'ai pas comprise, sur la participation française et les génocidaires. Il critique les auteurs de livres qui ne sont jamais allés au Rwanda. Il dit qu'il n'a pas lu Péan, et que sinon, il aurait eu un infarctus. Il reparle d'erreur politique. Il dit "l'armée française n'a fait que suivre les ordres". Il explique, que dans un contexte de Françafrique, il s'agissait de prendre la place des belges, au Rwanda et en RDC, de s'opposer à l'influence des anglophones, et de l'Ouganda en particulier. Il raconte qu'il a beaucoup parlé à Alain Juppé, qui avait fait accepter Turquoise à Balladur. Il dédouane Turquoise en acceptant qu'on ait reproché à Turquoise d'avoir laissé fuir le gouvernement génocidaire. Il dit "J'ai parlé à Mitterrand", et je n'ai eu que de "l'incompréhension". Il dit que Mitterrand a dit "C'était des africains, c'est pas votre affaire!". Répondant à une question du public, il dit, qu'une Commission d'enquête parlementaire, ce n'est ce qu'il faut parce que les députés ne sont ni objectifs, ni compétents, ni intéressés. Il dit qu'il faut des personnes"plus spécialistes" que les députés. Il dit "oui, il faut ré-ouvrir le dossier", que nous en savons plus maintenant, par exemple, sur l'entourage de Mitterrand. Il dit que la vérité arrive petit à petit. Il dit "Oui oui oui, l'armée française a joué un rôle politique", mais que ce n'est pas Turquoise qui est en cause. Il dit que la fin de la procédure du juge Bruguière est importante et qu'il faut ré-ouvrir le dossier.
J'espère ne pas m'être trompé dans mes notes, une vidéo a enregistré sa parole. A-t-il dit quelque chose d'important ? Sans doute, oui parce qu'il s'agit d'un responsable politique qui a été ensuite ministre des affaires étrangères et a fait bougé la relation entre les Etats français et rwandais. Les paroles ne se comprennent et ne se comprendront que par rapport aux faits et aux actes, qui précédent, et qui suivront.

samedi 11 janvier 2014

11 janvier 2014, Paris, Centrafrique : "Urgence d’agir !

Ce samedi, la Maison de l'Afrique et et l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE) organise un colloque sur la Centrafrique intitulé "Urgence d'agir!". La première table ronde est assez diplomatique:  faut-il parler des deux généraux français en retraite ? Ils était sans doute là pour s'informer car ils ont fait le classique remplissage des conseillés: faire semblant d'être originaux en répétant le discours officiel avec une goutte de critique. Globalement les militaires français cherchent à rester influents et présents en Afrique en formant les armées africaines sur la paix et la sécurité sans se mêler de politique, et donc, sans que l'on touche aux dictateurs (La question de la démocratie ne concerne pas les militaires français tant les dirigeants politiques français ne leurs ont pas dit de s'en préoccuper). Les intervenants centrafricains, Vincent Mambachaka (au chapeau) et Serge Singha (au micro), ont été plus pertinents et percutants pour évoquer l'analyse de la situation, le rôle de certains acteurs, les élections potentielles, l'impunité actuelle. Le rôle de Déby revient constamment dans le débat sans que l'historique ne soit explicité. La dictature tchadienne semble suffisamment solide pour que plus personne ne songe à penser à sa disparition. Si un jour la démocratie devait arriver en Centrafrique ne devrait-elle pas arriver aussi au Tchad ? Serge Singha pense que "le Tchad fait partie du problème": que vient faire l'armée tchadienne dans la MISCA ? Imagine-t-on l'armée rwandaise dans une force d'interposition au Congo Kinshasa? 
Dans la deuxième partie, les discussions ont précisé de nombreux points. Suite au départ de Djotodia, qui devrait partir en exil au Bénin, que fera le Conseil National de Transition pour choisir un nouveau président de transition ? Le CNT est très contesté, parce que sur 135 membres, 18 sont des membres de la Séléka maintenant dissoute, et parce que sa légitimité est minimale comme il a été mis en place sous pression de Déby, et parce que les accords de Libreville, correspondant à un cessez-le-feu, ne sont plus valables. Tous les intervenants ne sont pas d'accords, mais il y a des tendances assez fortes. Les conclusions du sommet de Ndjaména ne sont pas acceptables parce que les chefs d'Etat de la région n'ont pas de légitimité pour décider à la place des centrafricains. Surtout Idriss Déby ne doit pas imposer son candidat. Une conférence nationale souveraine, qui pourrait s'appeler d'un autre nom comme 'assises nationales', est proposée par Marie-Reine Hassen, pour rétablir le dialogue en Centrafrique. Certains intervenants et personnes du public pensent que la dissolution du Conseil National de Transition est indispensable, alors que d'autres, minoritaires à ce qu'il m'a semblé, voit le CNT comme un dernier pôle de stabilité à conserver. Le désarmement est la priorité. Les crimes ne peuvent pas rester impunis, et la CPI, un tribunal spécialisé, ou la justice centrafricaines sont envisagés. Les élections ne pourront pas avoir lieu en 2014, et beaucoup de choses devraient être faites avant ces élections, surtout renforcer l'Etat, remettre en place les services nécessaires à la population. La démocratie et l'Etat de droit qui n'ont jamais existé en RCA pourrait se construire à partir de maintenant. Certains pensent aussi qu'il faudrait redonner une place aux Forces Armées centrafricaines (FACA), actuellement hors-jeu.