dimanche 10 décembre 2017

8 et 10 décembre 2017, Bobigny et Aubervilliers : musique et film soudanais-e à Africolor

Après une première soirée sur des musiciens engagés de Kinshasa, le festival Africolor s’intéresse aux artistes soudanais sous deux angles, tous les deux politiques, en mettant à l’honneur des « artistes en exil, réfugiés, migrants » puis en présentant la musique en contexte de conflit armé.
Le vendredi 8 décembre, la soirée « Hospitalités » est organisée à la salle MC93 de Bobigny. La première partie « Refugees for Refugees » regroupe des musicien-ne-s de de diverses régions du monde.
Pendant, la seconde partie, l’orchestre Lamma Orchestra invite la chanteuse soudanaise Alsarah et six autres chanteurs et choristes. Le spectacle est une création du festival.
 Des liens entre artistes et festivalier-ère-s semblent s’être créés autour de cette soirée. Quand Alsarah arrive avec ses trois musiciens et une autre chanteuse, les « Nubatones », l’ambiance monte. C’est aussitôt chaleureux. Cela danse sur les côtés de cette très grande salle en gradin. Je n’étais pas à la Table ronde en amont des concerts sur le thème « Quel statut pour les artistes en exil ? », mais je me doute que quelque chose s’est passé qui a créé cette atmosphère.
Depuis quelques semaines, la question des migrants est dans toute les têtes. Les soudanais-e-s passent par la Libye pour arriver en Italie, en France, en Grande-Bretagne. L’Europe a bloqué les flux à l’été 2017, rationnalise la gestion migratoire et négocie avec les Etats africains ou l’Union africaine. Les décisions s’enchainent à un rythme effréné depuis novembre 2016. Les deux pays en Afrique où ces négociations posent un grave problème ou sont impossibles à mener sont le Soudan et l’Erythrée, des pays où les migrations sont essentiellement politiques et justifiées par les situations extrêmes de guerre et de répression. Il y a quelques semaines éclatait un scandale en Belgique qui a aussi touché la France : « Paris et Bruxelles auraient permis à des agents du renseignement soudanais d’identifier des migrants dissidents dans des centres de rétention en France et en Belgique ».
Dans cette soirée, ce sont les musicien-nes exilé-e-s « qui accueillent ». L’art n’a pas de frontières. On partage un instant et on se rencontre un peu. Demain, la rationalisation de la politique migratoire européenne continuera peut-être par des priorités géographiques plus marquées dans l’accueil des exilés politiques. Elle pourrait aussi continuer par une facilitation des voyages pour les étudiant-e-s, les chefs d’entreprises, les journalistes, les responsables associatifs, les sportifs et aussi les artistes. « Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas » (Blaise Pascal). Qu’est-ce que l’on comprend par la musique en concert de l’exil ou de la situation des pays d’où viennent les artistes ? Peut-être peu de choses, encore. La rationalisation de la politique migratoire européenne touche chaque personne individuellement, dans les sentiments qu’il ou elle éprouve, et remet parfois en cause certaines convictions.
Deux jours plus tard, au cinéma le Studio à Aubervilliers est projeté le film Beats of the Antonov’ du réalisateur soudanais Hajooj Kuka, un documentaire de 2014 tourné au Kordofan du Sud – région aussi appelée ‘Montagnes noubas’ - et le Nil Bleu, deux provinces soudanaises du Sud touchant la frontière du Sud Soudan. Au milieu des images de guerre assez exceptionnelles, combats à terre et bombardements, réapparait la chanteuse Alsarah. Avant de partir vivre aux USA, la chanteuse était chercheuse et étudiait la musique dans les villages des rebelles, en particulier les musiques de filles, des chansons populaires écrites par des filles et chantées au rythme de percussions rudimentaires.
Alsarah ne peut être là à Aubervilliers pour en dire plus parce qu’elle a repris un avion dès le samedi. Jérôme Tubiana, anthropologue et journaliste, spécialiste des deux Soudan intervient après le film. A l’aide de quelques diapositives, le chercheur nous présente les conflits au Darfour, au Sud du Soudan, au Soudan du Sud. Il clarifie quelques points du film : le camp de réfugiés est au Soudan du Sud dans une zone « en sécurité » et les combats entre le SPLM (Sudan People's Liberation Movement) et l’armée soudanaise se passe eux au Soudan. Le SPLM est issu du SPLA (Sudan People's Liberation Army) devenu ensuite l’armé du Soudan du Sud. Les civils sont proches des rebelles. Les Antonovs larguent des barils de méthane. Cela rappelle le Darfour où il y a eu des bombes incendiaires et des armes chimiques. Il explique que la guerre a repris en 2011 après les élections « truquées » de 2011 en particulier celles des gouverneurs. Les accords de paix ne sont pas respectés.
A partir de la musique, le film expose longuement une origine culturelle du conflit entre l’Etat soudanais et des minorités. Au monts Nouba, se croisent 80 ethnies. Pour Jérôme Tubiana, les chansons parlent de la guerre, libèrent la parole, et, la musique n’est pas spécialement pacifique. Il y a des chansons racistes des deux côtés, contre les « noirs » et contre les « arabes ».
En ce qui concerne les religions, il est question au sud de Soufisme, les combattants rebelles sont musulmans, chrétiens ou animistes. Le pouvoir à Khartoum est lié aux Frères musulmans. Jérôme Tubiana explique qu’à la capitale on voit cette guerre comme un « djihad ».
Cependant le chercheur, répondant à une dernière question de la salle, revient sur les causes de la guerre. Selon lui, « quand le Soudan est devenu indépendant, les anglais ont donné le pouvoir à des familles du centre, une une minorité arabe, une élite », ce qui a conduit à un conflit culturel implicite, quand le parti au pouvoir est devenu religieux et s’est associé aux Frères musulmans. « La guerre est faite pour empêcher une majorité démocratique de reprendre le pouvoir », alors que Khartoum n’est pas la partie la plus riche.
En tant que spécialiste des élections et de la démocratisation de l’Afrique, j’en déduis que la nature dictatoriale du régime est une autre cause de la guerre. Au Soudan du Sud, la guerre a repris en 2013. La guerre a sa propre logique, génère un engrenage dont il est difficile de sortir. Au Tchad, sur lequel Jérôme Tubiana sort cette semaine-même un brillant rapport cosigné par Marielle Debos, l’opposition à la dictature est maintenant pacifiste dans le pays, et, les rebellions sont contenues au Soudan et en Libye. Cet exemple éclaire à contrario sur le Soudan, sur le fait que la paix pourrait être un préalable à une démocratisation.
Aux monts Nouba et au Nil bleu, les conflits culturels et religieux, que le réalisateur du film, Hajooj Kuka a mis en exergue, forment une autre partie des causes mais pas toutes les causes. Le film est très bien réalisé, la thèse sur la culture et la guerre est alléchante, elle brise certains tabous, mais simplifie aussi la réalité du conflit.
Peu importe ! Grâce à la musique et au chant, du spectacle festif du vendredi aux réflexions sur la culture et l’art dans la guerre du dimanche, le festival Africolor a permis aux spectateur-trice-s de découvrir des aspects peu connus du Soudan et de réfléchir sur la place de la musique dans des circonstances historiques difficiles.
Régis Marzin
Article écrit et publié le 14 décembre 2017

mardi 5 décembre 2017

4 décembre 2017, Aubervilliers, culture : la mairie sous le feu des critiques des habitants

Les grandes villes de la petite couronne en Seine-Saint-Denis ont des cultures de ville. Montreuil est la ville de l’hyperactivité militante très marquée par l’influence libertaire. A Saint-Ouen ou Saint-Denis s’expriment au niveau politique des divergences marquées : à Saint Ouen, il y a des écologistes énervé-e-s, à Saint-Denis, il y a une « forte animation libertaire autour de l'Université populaire qui existe depuis plus de 10 ans » et plus rarement l’expression du style « Indigènes de la République ». Aubervilliers semble être la ville du consensus, une ville un peu morne sans conflits majeurs exprimés. Aux élections, les alternances ne peuvent se faire qu’entre des gestionnaires issu-e-s du « communisme » et des gestionnaires socio-démocrates à tendance très sociale. L’écologie gagne du terrain en pratique. Les conflits et divergences semblent être vécus sans bruits, la gestion sociale dominant.
Pourquoi ce vieux et solide consensus a-t-il soudainement éclaté hier au Conseil municipal extraordinaire ouvert à un large public dans la salle de l’Embarcadère ? Car ce lundi 4 décembre, il s’est passé quelque chose de marquant derrière l’apparence anodine des faits.
Le Conseil a commencé par une longue présentation de plus d’une heure sur Aubervilliers en 2030, de l’architecte et urbaniste Catherine Tricot. Celle-ci a d’abord rappelé l’histoire de la ville, sa désindustrialisation à partir de la fin des années 60 qui lui a fait perdre 14% de sa population entre 1968 et 1999. La Plaine-Saint-Denis est devenu la plus grande friche industrielle d’Europe. Elle a ensuite décrit la ville actuelle, qui a seulement 1,3m2 d’espace vert par habitant contre 2,4 à Paris et un déficit d’espace public. Elle a mentionné le passage futur de 85 000 à 100 000 habitants. L’urbaniste a ensuite évoqué des axes, une rue des jardins, une rue de la culture et des savoirs, le raccord au Canal. Elle propose à la fois d’« unifier la ville, d’élargir le Centre-ville », de se baser « partout » sur des « micro-centralités » des « écoles, squares, lieu de jeux, de recyclage, d’agriculture urbaine ». Elle a continué sur le renchérissement du foncier à éviter, les espaces à aménager Porte de la Villette, où se trouvent 44ha libres, à Fort d’Aubervilliers.
Ensuite, la maire Meriem Derkaoui a rapidement donné la parole a la salle. Il y a alors un plus de 200 personnes dans le public, une moitié sur le plancher et une moitié sur les couloirs extérieurs. Alors qu’elle faisait son introduction au débat, soudain se lèvent une cinquantaine d’affiches en noir et blanc. On peut y lire : « Notre café à tous et toutes doit vivre », « Non à la fermeture de notre café », « Qui a une dette ? », « Nous ne sommes pas dupes », « Où étiez-vous ? », « Non au vol de notre café », « Nous sommes Avec », « Je soutiens Avec », « Economie sociale et solidaire vous connaissez ? », « Où est la culture ? ».
Le Collectif de soutien au Grand Bouillon prend rapidement la parole. Une habitante lit alors le courrier qui a été envoyé à la maire par l’association Avec, gestionnaire du Grand Bouillon.
C’est Emmanuel Macron et son gouvernement qui sont à l’origine du problème. La suppression de nombreux emplois aidés de l’Etat pendant l’été 2017, - après la suppression d’emplois tremplins par la région en 2016, met en difficulté plusieurs associations d’Aubervilliers -, et surtout le Café associatif et culturel le Grand bouillon qui vient de fêter ses trois ans. Le 10 novembre 2017 avait eu lieu une manifestation de protestation devant la mairie contre la suppression des emplois aidés. La possibilité ou non de continuer pour le Grand Bouillon était le principal sujet de préoccupation.
Depuis 3 ans, mairie et café associatif sont à première vue des partenaires, l’association Avec louant ses locaux à la mairie, mais la tension est montée ses dernières semaines. Le café malgré tous ses efforts de gestion a constaté qu’il ne pouvait se rétablir financièrement et depuis l’été est en grande difficulté. L’association dit vouloir parler avec les élus mais sans recevoir les réponses à ses demandes de rendez-vous.
Le 2 novembre, cela commençait mal : Anthony Daguet, le premier adjoint, a dit dans le Parisien : « Il y a un gros problème de gestion dans cet établissement, c’est quand même le seul café qui ne marche pas dans le centre-ville alors que le public est au rendez-vous ». Partout en France, il y a des lieux associatifs et culturels, le premier adjoint ne semblait pas bien savoir comment sont gérés ces lieux non-commerciaux, dont l’apparence commerciale permet de faire venir gratuitement le public vers la culture. Malgré un certain mépris, il y avait cependant encore possibilité de reprise du dialogue facile.
La situation s’est envenimée le 10 novembre à 11 heures, juste avant la manifestation, lorsque la mairie a envoyé un communiqué : « Les difficultés financières de l’association, aggravées par la suppression d’un emploi aidé, l’ont contrainte à nous annoncer hier sa dissolution. La Municipalité regrette cette décision d’autant qu’elle avait investi dans ce projet plus de 330 000 euros… Parce que ‘Le Grand Bouillon’ est reconnu comme un lieu incontournable du centre-ville et que les nombreux évènements qui y sont proposés participent au dynamisme culturel d’Aubervilliers, la Municipalité souhaite aujourd’hui réaffirmer son engagement à maintenir, ouvert, ce café culturel. » Le problème, c’est que l’association Avec n’a jamais annoncé sa dissolution.
Est-ce alors une erreur ou un mensonge ? Quelle que puisse être l’importance de l’affaire, cela interpelle sur la méthode. Les mensonges dans des communiqués écrits sont rares et se remarquent. Comme journaliste en politique africaine, je les rencontre dans des pays sans presse indépendante pour vérifier les faits. Blogueur dans mes loisirs, ne me doutant de rien, je me suis fait piéger le 10 novembre quand j’ai repris sans vérifier la fausse information sur mon blog.
Marie Audoux a démenti et explique avoir envoyé un mail à la maire où elle parlait d’épuisement à force de travailler surtout bénévolement, ce qui pouvait conduire à un arrêt des activités. Il s’agissait d’un appel au secours et aucune décision n’était prise. Le 25 novembre, à la Fête du Savoir Faire d'Aubervilliers, Marie Audoux et Julien Bonnet l’ont expliqué de vive voix à Meriem Derkaoui. Depuis, un comité de soutien s’est monté apportant une nouvelle énergie. Les habitant-e-s viennent au secours de leur café. Cela change les choses.
A ce stade, ce qui dérange le plus dans ce mensonge, cette erreur ou ce malentendu, c’est l’affirmation qui suit de vouloir garder ouvert le café associatif. Comment la maire pouvait-elle s’avancer sur ce point ? Voulait-elle remplacer une équipe par une autre ? Dans le doute, plein d’hypothèses ont commencé à être émises : est-ce une volonté de contrôle politique au-delà d’un contrôle budgétaire ? Ou de vieux réflexes de travail entre copains ? Est-ce une histoire de territoire entre PS et PC ? Est-ce de mystérieux préjugés sur la culture à Aubervilliers ? Ou est-ce juste de la méconnaissance criante sur le monde de la culture actuelle ?
Un projet culturel est d’abord un travail intellectuel qui a été conçu en amont par des personnes. Ensuite ce projet est testé dans la pratique par une équipe de salarié-e-s et de bénévoles, qui en acquièrent une expérience. Il se trouve que l’expérience dans les cafés associatifs est rare et précieuse. Des cafés associatifs il y en a beaucoup, c’est à la mode, mais chacun a un style, un caractère lié aux spécificités du projet et aux passions et motivations des personnes responsables. En outre, on ne peut pas « investir 330 000 euros » dans un projet culturel, car un projet culturel n’est pas un investissement boursier avec des retours sur investissement. Faudrait-il maintenant parler de l’Embarcadère, le « projet de 33 millions d’euros, dont 23 pris en charge par la Ville » ? Sans doute pas, car ce n’est pas comparable, heureusement. Les logiques sont différentes et complémentaires.
Information importante, le fonds de commerce (250 000 €) a été acheté avec des fonds privés, négociés avec l’ICADE « au titre de la charte de co-développement commercial », et prévus pour la dynamisation du commerce du centre-ville, avec obligation de les utiliser avant 5 ans. Ce fonds de commerce n’a pas été acheté avec les impôts locaux. La mairie pourra par ailleurs revendre un jour ce fonds de commerce. Pourquoi la maire ne précise-t-elle pas cela ?
Cette décision unilatérale mais non confirmée par écrit, ne tenait pas compte, qu’en lien avec d’autres fonctionnaires de la mairie, Avec avait rédigé une note de 5 pages « Etat et perspectives ». Cette note précise : « L’association AVEC réfute toute présomption de mauvaise gestion ... Le Grand Bouillon est un projet expérimental et innovant avant d’être une entreprise classique ... L’association AVEC a valorisé un fonds de commerce et contribué au dynamisme du centre-ville ... L’association a besoin d’interlocuteurs clairement identifiés au niveau de sa première tutelle ... L’action de l’association AVEC nécessite une révision du modèle économique et un recentrage de la structure sur son cœur de projet ... La perspective d’un renouvellement de l’équipe d’animation du café culturel est à l’œuvre. »
Il a alors aussi été question d’un appel d’offre aux associations concernant le lieu. L’énergie et la passion en bénévolat ne se voient pas dans des réponses à des appels d’offre. La motivation, les carnets d’adresses, la connaissance de la musique, le goût en musique, le professionnalisme en bénévolat, ne se décrivent pas dans des réponses à des appels d’offres. Toutes les propositions sont spécifiques et incomparables. Dire que l’on peut parler d’un petit lieu culturel faisant appel au bénévolat puisse être construit sur des critères rationnels simples, c’est le condamner à une fin rapide, et au mieux à une usure dans les malentendus.
Ce 4 décembre, au Conseil extraordinaire, le Comité de soutien a juste lu la lettre qui avait été envoyé à la mairie précédemment. L’idée est de rénover le projet dans la concertation avec les élu-e-s et de trouver un nouveau modèle économique. Avec demande d’annuler la fin du bail et l’appel à projet.
La maire répond. Elle essaye d’atténuer le problème en parlant d’un « élément de la culture seulement », reparle des emplois aidés supprimés. Elle propose que les 4 élu-e-s concernés, premier adjoint, culture, commerce, économie sociale et solidaire, rencontrent l’association Avec rapidement. Elle redit que « le Café ne fermera pas » pour continuer avec Avec ou avec Avec et un partenaire, qu’il y aura « une concertation et un dialogue dans la transparence ». Elle évoque l’héritage de Jack Ralite comme gage de qualité.
Dans ce conseil, comme souvent, des gens sont là pour se plaindre de la sécurité et de la propreté, mais leur message est noyé au milieu du débat sur la culture. Celui-ci rebondit sur la fermeture de l’Entremondes, sur sa double expulsion, sur l’impossibilité de récupérer le matériel. La mairie est accusée d’inaction et répond sur les plaintes des riverains. Un musicien, Michel Pichon demande une plus grande attention tous les lieux culturels de proximité qui maillent la ville, qui sont eux-aussi une part de « l’héritage de Jack Ralite ».
De nouveau, à propos des emplois aidés, la directrice de la Fripouille, Diana Drljacic, interpelle sur la fin d’une longue collaboration avec la municipalité sur le recyclage et la propreté dans une absence d’échange et de concertation. Juste avant, le recyclage avait beaucoup évoqué par Catherine Tricot. Meriem Derkaoui rappelle les difficultés budgétaires.
L’attention revient finalement sur le sujet du jour prévu, Aubervilliers 2030. Où seront les espaces verts ? C’est un peu la pagaille. Un homme a une question, La question, Sa question, depuis 10 ans : est-ce que la mairie va enfin faire un équipement pour les jeunes de la Villette ? Il ne comprend pas qu’on lui a répondu positivement en parlant du rachat de la CPAM pour en faire « une maison de la culture et des langues, pour les jeunes, avec un café associatif ». Là aussi, quelque chose cloche, une mairie ne peut décider à l’avance de l’arrivée de projets qui ne dépendent pas d’elle, en claquant des doigts. L’effet d’annonce sur la volonté d’avoir 2 cafés associatifs ne peut pas cacher la difficulté actuelle sur la conservation du Grand Bouillon, le projet d’Avec.
L’élu à l’urbanisme parle d’une « pensée sur l’avenir et sur le quotidien ». La conclusion de certains élu-e-s est que le débat prévu n’a pas eu lieu et qu’il devra être refait. Il a peut-être eu lieu cependant. La mairie et son architecte-conseil ont proposé une vision et des habitants ont répondu par une autre vision un peu décalée mais tout à fait conciliable. Car il y a débat sur la relation entre élu-e-s, fonctionnaires de la ville, associations et habitant-e-s motivé-e-s à faire vivre la ville. Ces habitant-e-s motivé-e-s ne peuvent être qu’une minorité agissante mais ils et elles comptent. Le dynamisme de la ville dépend d’eux et elles, le lien correct avec l’arrivée du Campus Condorcet et du métro au centre-ville en 2019 dépend aussi des habitant-e-s.
Surtout, un débat est amorcé sur la culture. Il y a eu autrefois une culture ouvrière marquée, une influence syndicale, avant que la ville ne devienne ce qu’elle aujourd’hui, cosmopolite, inter-culturelle. La musique actuelle reflète la diversité des pensées, des origines culturelles, aide à une politisation au quotidien, désamorce les conflits identitaires dans le partage et la joie de danser. C’est dans leur discours sur la culture de la ville, que les élu-e-s ont paru pris en défaut. Le manque d’idées est visible. Les habitant-e-s peuvent comprendre que la gestion de cette ville est difficile et complexe et se base sur une gestion des priorités. Ils et elles demandent de la concertation basée sur un vrai partage de responsabilité dans les domaines où les compétences sont dispersées. L’enjeu est aussi de sortir de la spirale de l’échec pour entrer dans un cercle vertueux entre gestion rationnelle et animation dynamique et heureuse.
Mais la soirée n’est pas finie ! Car à la sortie vers 23h, les gens parlent de l’article que le Parisien vient de publier sur le Grand Bouillon à 20h44. Le journaliste, Romain Chiron, qui avait parlé à Meriem Derkaoui et à Marie Audoux et Julien Bonnet ressort le fameux mail du malentendu et le cite: « Nous sommes au regret de vous annoncer que, face à une situation d’épuisement du collectif et d’arrêt de travail d’un de deux salariés de l’association, le Grand Bouillon ne peut plus poursuivre son activité ». La maire vient de dire au Parisien : « Nous avons pris acte de cette décision … La commune étant en responsabilité sur le fonds de commerce, elle va lancer un nouvel appel à projets. Nous voulons un nouveau café culturel … Un second (Café culturel) ouvrira dans les locaux de la CPAM. … Le constat, ce sont les 80 000 € de dettes. La ville n’a pas vocation à subventionner des dettes mais des projets ».
Ainsi, la maire a tenté avant 19h d’empêcher toute concertation sur le Grand Bouillon et le journaliste a écrit et publié son article sans attendre la fin des débats du Conseil, il n’a ni parlé de l’effet de la mobilisation des habitants sur le conseil, ni écrit que Mériem Derkaoui a finalement accepté l’idée qu’Avec puise rester gestionnaire du lieu. Le 4 décembre avant 19h, Mériem Derkaoui a insisté sur le mail du 10 novembre, comme si le ce point n’avait pas ensuite été clarifié, comme si depuis les choses n’avaient pas changé. Elle a tenté de simplifier la question au maximum. Elle a espéré pouvoir imposer une décision, acter « sa » décision alors que sa prétendue solution était bancale et inadaptée. En public, elle a déjà fait un peu machine arrière.
Toujours sur les escaliers de sortie, une jeune femme qui vient d’avoir un enfant veut que le lieu reste tel quel parce qu’il est ouvert aux femmes. Arrivée il y a quelques années, elle se demande si la ville arrive à accueillir les nouveaux arrivants et en doute vraiment. Le Conseiller municipal délégué à la Coopération internationale, la Vie universitaire et au Campus Condorcet, de la Majorité municipale et du PRG, Abderrahim Hafidi qui discute avec des habitant-e-s lâche le mot « petits-bourgeois », provoque la colère - « comparons nos salaires ! », lui lance-t-on - et doit quitter les lieux. A priori, le « politologue, islamologue et journaliste » Abderrahim Hafidi ne parle pas sans réfléchir à ses éléments de langage.
A côté, Anthony Daguet prend lui rendez-vous avec le président de l’association Avec dans la semaine. La mairie a maladroitement tenté d’enterrer un projet encore vivant, mais la discussion ne fait peut-être que commencer. En attendant, pour les habitant-e-s, comme disait Thomas Sankara : « seule la lutte libère », y compris et surtout face à de la « condescendance suspecte ». Hier, était-ce l’expression d’un simple malentendu à résoudre, la première secousse avant l’arrivée du Métro et du campus Condorcet, un mystérieux épiphénomène ou le début de la fin du consensus albertivillarien ?
Régis Marzin
Journaliste et chercheur indépendant
Article écrit et publié le 5 décembre 2017
PS : ajout du 9.12.17 : Chambre régionales des Comptes - Ile-de-France - RAPPORT D’OBSERVATIONS DÉFINITIVES ET SA RÉPONSE COMMUNE D’AUBERVILLIERS (93), Exercices 2007 et suivants Observations définitives, délibérées le 8 décembre 2016