vendredi 24 juin 2016

24 juin 2016, Paris, les fruits du Paradis, nous mangeons

Paris, auditorium du Louvres, vendredi 24 juin, 20h. Je suis ému d'entrer dans le Louvres, pour aller voir un film et écouter un concert. Le responsable de la salle nous explique que les musicien-ne-s arrivent juste maintenant 20 minutes en retard parce que leur train a été bloqué tout l'après-midi. Avec mon voisin, on décode que le train venait de Londres en pleine la sortie de la Grande-Bretagne de l'Union européenne. . 
Le film, c'est "Les fruits du paradis (nous mangeons)" de Vera Chytilova, film tchèque de 1970, sans le son. La musique sur scène, c'est le groupe de Thurston Moore, avec James Sedwards en seconde guitare, Ich Newman à la batterie (et pas Steve Shelley comme je croyais), Debbie Googe à la basse. Thurston Moore a choisi le film, comme il a choisi deux autres films pour deux soirées précédentes
Je suis au troisième rang, au centre, j'ai le son des trois amplis dans les oreilles, assez fort, des amplis massifs avec un son comme j'entends rarement. Ce que je vois et j'entends, c'est ni le film ni le groupe, c'est une œuvre originale, un mélange de 2 choses.
Le film commence par une peinture du paradis des couples, en images superposées, magnifiques, et les musiciens démarrent avec la même intensité. Cela dure 1h40 et un morceau de plus. Je sens le guitariste de Sonic Youth inspiré, peut-être lié à l'histoire par sa propre histoire. C'est impossible à décrire, parce que cela va au delà de la compréhension du scénario du film, des impressions visuelles, du plaisir à écouter une musique. Il y a un effet inédit, multiplicateur du plaisir. Film et musique sont parfois en décalage émotionnel rythmique, mais peu importe. Le mélange des images et de la musique décalées seraient comme la manière de raconter un rêve qui s'éloigne du rêve pour dire autre chose. Il est question d'amour, de couple, de désamour, de connaissance, de flirts, de désir, de mort, et surtout pas de dieu. Les images et les situations à l'écran, sont elles-mêmes très poétiques, symboliques, rêveuses. Elles ne se comprennent pas rationnellement. La musique enfonce dans une perception plus inconsciente encore.
Alors, il n'y a rien à en dire. Chaque spectateur-trice sort avec un changement indescriptible en lui et, sans doute, attendra la nuit, seul-e ou accompagné-e, pour voir si demain matin un rêve lui révélera quelque chose de nouveau.
Merci à Thutston Moore et à son groupe.
Régis Marzin, 24 juin, minuit 55

dimanche 19 juin 2016

Samedi 18, dimanche 19 juin, Montreuil, Ta parole

Dès que j'arrive à Ta Parole, je suis sous le charme de Raphaële Lannadère. Ce seront mes meilleures photos, parce que ce sera ce que je préférerai au niveau musique et chanson. Mais, je ne le sais pas encore ! J'oublie tout de suite mes pérégrinations gabonaises, contre-temps de l'après-midi, et l'orage de début de soirée. A la pause, des ami-e-s me disent que la veille, j'ai manqué un beau concert de Babx.
Ensuite, c'est les 'sages comme des sauvages'...
... puis Féloche with the mandolin orchestra, plein d'humour, de romance décalée. J'aime beaucoup aussi. C'est vrai, la mandoline, c'est joli. Les sérénades post-modernes sont un peu comme les chansons aiguës de Philippe Katerine, cela surprend au début, puis ça passe comme une lettre à la poste.
Le dimanche, je commence par louper toutes mes photos. Jehan et Lionel Suarez sont dans un style assez classique de Ta parole, de la chanson sociale engagée et assez parisienne. 
Chouf est assez rock. J'aime bien le festival Ta parole, parce que je n'ai  pas de bonne connaissance de la chanson française, et que c'est là que j'ai tout appris depuis quelques années. Pour le rock, c'est autre chose...
Comme prévu, il y a foule pour la rue Kétanou. Je galère pour faire quelques photos, parce que je ne veux pas déranger le public. Seuls sont sur scènes Mourad Musset et Florent Vintrigner avec 2 musicien-ne-s. Olivier Leite n'est pas là. Le spectacle est composé de pas mal de chanson des 2 premiers albums que je connais, alors qu'ils ont sortis d'autres albums depuis 2009. Au début, je m'interroge sur l'évolution des textes. Que peuvent bien raconter ces artistes dans une époque comme la notre, bien étrange époque, entre attentats, manifestations agitées, et élections de 2017 ?... mais c'est la fête, et ça danse surtout!
Cette année, je me rends compte que le festival Ta parole est aussi un moment de discussion sur l'actualité sociale parisienne, parce que je suis trop africain maintenant et parfois un peu perdu au milieu des subtilités du militantisme parisien. Il y a des tables de presse. Le festival finit sur une intervention d'un intermittents du spectacle, Loïc, de la Compagnie Jolie Mômes. Très mobilisé contre la loi Khomry, il dénonce le rôle du Medef. Suite à une action au siège du syndicat patronal, il est victime d'une répression judiciaire abusive
Le festival insiste aussi beaucoup sur une autre lutte, celle de la sauvegarde du lieu, la Parole Errante, menacé à la fin de l'année, de fermeture. Beaucoup de gens aiment cette salle indépendante, engagée, qui n'est pas seulement utile à Montreuil mais est utile à tout Paris (pétition) A suivre...

samedi 18 juin 2016

18 juin 2016, Paris, Gabon : Casimir Oyé Mba

L’information avait sans doute circulé dans la diaspora sur facebook mais je n’ai su qu’en début d’après-midi que le leader de l’Union nationale Casimir Oyé Mba était à Paris en conférence. Quand on m’a donné l’adresse, à la Mutualité, je n’imaginais pas qu’il s’agirait de la grande salle, et pourtant si, les spectateur-trice-s étaient accueilli-e-s par des hôtesses souriantes, dans un décor somptueux. Il s’agissait plus d’un show de campagne de la présidentielle du 27 août que d’une conférence- débat. Le show a commencé très en retard, devant 200 personnes environ.
Casimir Oyé Mba sera probablement le candidat du Front uni de l’opposition gabonaise et il l’est déjà pour l’Union national. La question de la primaire du Front est en suspens, mais pour lui la campagne semble déjà lancée. Il y a deux ‘parties’ du Front uni de départ de 2014, puisque Jean Ping en a emporté une partie avec lui, ou deux Fronts, selon comment l’on voit les choses. Trois grands candidats seront sans doute en lisse le 27 août, Casimir Oyé Mba, Jean Ping et Ali Bongo. Quelques candidats sans doute moins importants sont aussi annoncés dont Bruno Ben Moubemba.
Le scénario que tout le monde a en tête, c’est une mascarade électorale de dictature classique, puisqu’en dictature en Afrique, il n’y a eu que trois élections correctes depuis 1990 (Congo B 1992 suivie 5 ans plus tard d’une guerre annulant son effet, Ghana 2000, Kenya 2002). Ali Bongo pourrait gagner en dictateur normal avec 40% au premier tour, par exemple – pure hypothèse de travail –, 15% de votants réels, 10% de votants mineurs et étrangers issus de la fraude au niveau du fichiers électoral, 10% de résultat en plus le jour du vote par bourrages d’urne et falsification des procès verbaux, 5% de résultat supplémentaires ajouté à la compilation des procès verbaux à la CENI, et le tout validé par la Cour constitutionnelle aux ordres. La question que tout le monde se pose, c’est donc de savoir si l’opposition divisée arrivera à éviter ce scénario. Ali Bongo est un dictateur faible, qui fait parfois pitié, mais l’exemple de Faure Gnassingbé au Togo montre que les dictateurs faibles peuvent être très résistant, très créatif, et n’avoir aucune pitié au moment des élections.
Le 16 mai 2016, Jean-Marie Le Guen, Secrétaire d’Etat français auprès du Premier ministre Manuel Valls chargé des Relations avec le Parlement français a rencontré Ali Bongo, et la présidence gabonaise a indiqué après ce rendez-vous qu’il avait « confirmé la bonne marche des institutions politiques Gabonaises et a souligné l’assurance fournie par le Président de la République de la présence d’observateurs étrangers au Gabon pour témoigner de la transparence du scrutin présidentiel. » Derrière la communication, on ne sait pas ce qui s’est dit. Malgré l’historique de la Françafrique et du financement des partis politiques français, la probabilité d’un soutien actif d’Ali Bongo à la manière de Sakozy et Kouchner en 2009 est impossible. Mais on se demande ce qu’est allé faire Jean-Marie Le Guen pour discuter d’un sujet pour lequel il n’a aucune compétence et aucune responsabilité. Rien qu’à ce niveau, on est déjà dans les méthodes de la françafrique classique.
Un autre aspect très françafricain et récent est aussi l’affaire du désastre de la biométrie électorale installée par Gémalto en 2013. Cette histoire n’a jamais été soldée et le fichier électoral actuel ne convient pas à une élection démocratique.
Le journaliste Désiré Ename fait la présentation. Une représentante de des ‘Femmes-commandos’ a d’abord évoqué la stratégie Destitutions-Transitions-Elections (DTE) avec une conviction profonde, en interrogeant Casimir Oyé Mba. Puis elle l’a interrogé sur la transparence du processus électoral, avant de déclarer que le Gabon n’est pas un pays islamique, qu’il est laïc. Ensuite intervenait le coordinateur de la Coordination des Association et Partis Politiques de l'Opposition Gabonaise En Europe (CAPPO), Jean-Jules Mikala Nziengui, qui a insisté lui aussi sur la DTE, puis sur l’acte de naissance d’Ali Bongo. Désiré Ename revient pour parler de Casimir Oyé Mba, son parcours comme cadre de la Banque des Etats de l'Afrique Centrale (BEAC) et de ministre d’Omar Bongo pendant 19 ans jusqu’en 2009, premier ministre après la Conférence nationale, de ministre des hydrocarbures.
Le leader de l’Union nationale commence par une description de l’Etat du pays, parlant de la multiplication des agences court-circuitant le gouvernement, dont l’Agence nationale des grands travaux, de parlement d’enregistrement des ordonnances du président, d’un chef de l’Etat « autiste et dans son univers » « qui ne dialogue avec personne », des libertés publiques bafouées, des détentions arbitraires, des crimes rituels, de l’endettement public entre 45 et 50% du PIB, pour une utilisation inappropriée, du manque d’emploi et des grèves.
Viennent ensuite les propositions : il va « libérer le pays par la première alternance », instaurer le dialogue.
Casimir Oyé Mba parle alors de la situation administrative du chef de l’Etat et des faux actes de naissance, en indiquant que le problème est d’abord l’absence de respect de la constitution. Il indique que le « refus de la candidature d’Ali Bongo » conduira à une « destitution ». Selon moi, cette position pourrait aussi être une manière de désacraliser au maximum le chef de l’Etat sortant pour casser l’idée d’un chef de l’Etat légitime à la manière monarchique, l’idée d’un fils d’une espèce de père de la Nation ou de chef traditionnel suprême, inconsciemment accepté en raison du pouvoir déjà gardé depuis des décennies par sa famille, même dans sa manière de voler le pouvoir, de voler les richesses, une manière aussi de casser un fatalisme face aux élections fraudées. Si cela était perçu ainsi, il s’agirait de casser l’image du dictateur jusqu’au bout, même s'il est probable qu'il participe. Et il est évidemment très improbable qu’il ne participe pas, puisqu’en dictature, un chef d’Etat n’obéit qu’à ses propres règles, à un point tel que les stratégies de contournement des obstacles par les démocrates ont dû se complexifier.
Selon Casimir Oyé Mba, le « dispositif électoral est conçu pour que le PDG gagne ». Il demande « un audit par des étrangers (de la communauté internationale) du dispositif électoral ». Sur la liste électorale, il explique « l’enrôlement des étrangers après distribution de cartes d’identité », « la biométrie tronquée », « sans connexion des bureaux de votes », au minimum « l’interconnexion des centres urbains pour 75% à 80% des électeurs ». Je crois comprendre qu’il parle de l’authentification biométrique le jour du vote qui n’a été mise en place que lors de 3 élections (Ghana lors de la présidentielle et des législatives de 2012 par la société GenKey, Nigéria lors de la présidentielle et des législatives de 2015 mis œuvre par la Ceni) et jamais dans des dictatures où il n’y pas de consensus sur le processus électoral. Il explique que dans la CENAP, des partis satellites ont été introduits pour remplacer la vraie opposition, et que la Cour constitutionnelle est une vraie ‘Tour de pise’ qui penche toujours du même côté. Il souhaite une réforme constitutionnelle : élection présidentielle à 2 tours et limitation à deux mandats.
Il rappelle les Biens Mal Acquis et critique enfin la place de la Holdind Delta Synergie des Bongos.
Il revient sur ses propositions : modifier l’attribution des marchés, diversifier l’économie, améliorer les transports, les écoles. Il se fait fortement applaudir par la salle quand il conclut que « la France ne doit pas intervenir pour choisir les dirigeants ».
Le débat est ensuite très court. La salle n’est pas acquise, certaines personnes sont pour éviter d’aller aux élections sans garantie d’élection correcte. A une question sur la responsabilité d’ancien ministre sur la situation actuelle, le leader de l’UN répond que dans un gouvernement d’Omar Bongo, il y avait des divergences qui n’étaient pas publiques, et que tous les ministres ne se ressemblaient pas. Des craintes s’expriment aussi sur l’absence d’unité de l’opposition, et il répond que les partis reflètent les positions de la population.
L’événement se termine par un rapide cocktail.
Régis Marzin,
écrit et publié le 20 juin 2016

mardi 14 juin 2016

14 juin 2016, Paris, Tchad après l'élection présidentielle ?

A la conférence-débat, « Quel avenir pour le Tchad après l'élection présidentielle ? » organisée par la Fondation Gabriel Péri, au siège du PCF, intervenaient ce soir, de gauche à droite, Marielle Debos, chercheuse et auteure du livre ‘Le métier des armes au Tchad, Le gouvernement de l'entre-guerres’, Makaila Nguebla, le journaliste, blogueur, et Bruno Angsthelm, chargé de mission Afrique au CCFD-Terre solidaire. Je suis arrivé en retard et n’ai pas pu écouter le célèbre activiste tchadien qui a fait un bilan de l’actualité suite au premier tour de la présidentielle du 10 avril et au coup d’Etat électoral. Marielle Debos finissait en concluant sur le lien entre la lutte syndicale en France et les mouvements de contestation au Tchad, sous-estimé par le pouvoir ou la presse.
Bruno Angsthelm, s’appuyant sur l’étude de Roland Marshall d’avril 2015, a souligné la baisse de soutien de la population à Idriss Déby entre 2011 et 2016. Selon lui, en 2011, après le conflit de 2006-2008 et la défaite des rebelles, une partie de la population se satisfaisait encore de Déby. Depuis, le clan au pouvoir s’est isolé, et des satellites se sont marginalisés. Il remarque que le « système féodal est maintenant réduit et sans base sociale », et que la « jeunesse musulmane manifeste », ou que « la société civile musulmane s’organise ».
La fin de son discours sur les élections me fait comprendre qu’il n’est pas un spécialiste des élections en Afrique. Le chargé de mission Afrique du CCFD indique avoir publié une tribune dans La Croix (le 8 avril), et en parle comme s’il avait recommandé à l’opposition de boycotter, parce que l’ «agitation » ne « servait à rien ». C’est un point de vue trop simple, et ce n’est pas le rôle d’un membre d’une ONG française de dire à l’opposition tchadienne ce qu’elle doit faire. Le 11 mai, la coalition animée par le Secours catholique « Tournons La Page » a publié sur le coup d’état électoral d’Idriss Déby un communiqué avec un point de vue plus adapté, pour « soutenir les démocrates tchadiens dans leurs revendications en faveur de l’instauration de processus électoraux crédibles et transparents à tous les niveaux – fichier électoral, CENI, surveillance des bureaux de vote, rédaction des procès-verbaux, compilation des résultats à partir des procès-verbaux – respectueux des principes démocratiques. »
Ce n’est pas parce que les mascarades électorales sont prévisibles en dictatures depuis 1990 et qu’il n’y a eu que deux ou 3 présidentielles correctes en dictature (Congo-B 1992 suivi d’un retour de Denis Sassou Nguesso en 1997, Ghana 2000, Kenya 2002), que les oppositions ne doivent pas participer. Les stratégies de boycott sont également très difficiles et problématiques, car, dans le boycott, la culture démocratique ne progresse pas, l’opposition ne se réorganise pas, le lien entre population et leaders de l’opposition ne se construit pas au travers d’une expérience, le processus électoral ne s’améliore pas techniquement. En conclusion du débat, Bruno Angsthelm distinguera « une alternance par les urnes, d’une d’alternance par le bas », parlant de « société en paix dans son imaginaire », sans avoir le temps de bien expliciter ces propos.
Le 30 mai 2016, dans une conférence de presse, le leader de l’opposition Saleh Kebzabo était venu rendre compte du processus électoral en présentant les choses dans leur complexité. Ce soir, dans la salle était également présent Mahamat-Ahmad Alhabo, le candidat du Parti pour la Liberté et le Développement (PLD) qui fait parti des 6 candidats de l’opposition unie dénonçant l’inversion des résultats du premier tour de la présidentielle. Il décrit le processus électoral de la même manière que Saleh Kebzabo, en parlant de la biométrie.  Il indique en plus que le 22 avril, après la communication des résultats fictifs par la CENI, quand les forces de l’ordre ont tiré massivement toute la nuit pour dissuader la contestation, il y a eu des morts et des blessés. A la fin de la conférence, il me précise, qu’une soixantaine de blessés sont arrivés dans un hôpital de Ndjamena, qu’il a eu connaissance d’au moins 2 mort-e-s, et que ce sont des balles perdues qui ont provoqué morts et blessés. Il conclut que Déby, non élu, « à 10% », sera dans l’impossibilité de gouverner, et reparle d’un Gouvernement de salut public. Le célèbre député Yorongar arrive à la fin du débat mais ne prend pas la parole.
Le débat est ensuite très décevant. Les critiques sur la politique française démarrent sans nuances. Les politico-militaires tchadiens sont venus assez nombreux et embrouillent les discours. L’un d’entre eux, dans une brillante tirade classe « l’opposition dans le même bloc qu’Idriss Déby » et prédit « une radicalisation contre la France ». Un autre embraye en exagérant, me semble-t-il, le « sentiment anti-français ». Puis, le débat en arrive à « la logique impériale » et à la « recolonisation déguisée ». Je me demande s’il n’est pas de plus en plus difficile d’organiser un bon débat à Colonel Fabien, et je me souviens que plus on avancera vers la présidentielles de 2017 en France, plus on entendra des discours critiques énervés et simplifiés.
A la sortie, Makaila Nguebla me tend un communiqué du groupe des 6 candidats sur la répression qui continue avec des « arrestations arbitraires et tortures »  de l’Agence Nationale de Sécurité. Le texte « demande à la communauté internationale de cesser d’observer une indifférence coupable dans la situation actuelle qui peut entrainer le Tchad dans une situation de violence ».
Régis Marzin, Paris, 14 juin 2016

mercredi 8 juin 2016

7 juin 2016, Paris, Conférence IFRI sur Burundi et Congo Kinshasa

Ce mardi 7 juin, à Paris, l’Institut français des relations internationales, assisté par la Direction générale des relations internationales et de la stratégie du ministère de la défense (DGRIS) organise une conférence intitulée « Enjeux politiques et sécuritaires dans les Grands Lacs. Les cas du Burundi et de la RDC ». Le point commun entres les 2 pays est évidemment la limitation du nombre de mandats présidentiels (+ dossier) Je suis arrivé au début du débat de la première partie sur le Burundi.
Pendant ce débat sur le Burundi, Tomas Van Acker, de l’université de Gand, Thierry Vircoulon, chercheur associé à l'Ifri (ex-ICG), et Antoine Kaburahe, directeur du journal Iwacu, répondent surtout aux questions sur l’avenir de l’accord d'Arusha. Une commission pour la révision de la constitution parle déjà d’annuler l’accord. Antoine Kaburahe explique que l’Accord d’Arusha avec ses quotas de Tutsis et Hutus aurait pu vieillir en démocratie et peut-être disparaître un jour, mais que pour l’instant il avait d’abord permis 10 ans de paix.
Le chercheur belge dénonce la communauté internationale qui n’a pas essayé, par le levier de l’aide, de prévenir la crise. La Belgique, par exemple, à accordé 50 millions d’Euros d’aide bilatérale sous conditions mal évaluées, lié au processus électoral de 2010 qui en soi n’était pas mauvais. Thierry Vircoulon, lui, reproche à tous les garants, citant les français, de n’avoir pas joué leurs rôles en « diplomatie préventive », sachant que la justice transitionnelle était enterrée et que la démocratie a été attaqué lors du second mandat, avec la fin de l’alliance du premier mandat. Il constate que la médiation de l’Union européenne entre 2013 et 2015 a échoué.
Ensuite, sur la République démocratique du Congo, les intervenants sont, de gauche à droite, Cyril Musila, chercheur associé à l’Ifri qui parle de la « traçabilité et de la certification de l'artisanat minier », Habibou Bangré, journaliste, qui s’exprime sur « les mouvements citoyens et la jeunesse », et Marc-André Lagrange, consultant évoquant « 17 ans de présence de l’ONU ». Ils sont modéré-e-s par Christoph Vogel.
Habibou Bangré fait un bilan assez élogieux des mouvements citoyens, la Lucha, Filimibi, et le Front citoyen, qui ne peuvent que nous être sympathiques. L’ANR aurait décidé d’infiltrer les mouvements. La Lucha est entrée dans le comité préparatoire du dialogue national. Elle signale des divergences stratégiques dont sur la question du leadership de l’opposition. Cette opposition  se réunit justement à Bruxelles pour en parler.
Cyril Musila, sur la traçabilité et la certification de l'artisanat minier, en particulier dans le Kivu, explique l’Initiative sur les Ressources naturelles qui vise à séparer l’exploitation artisanale des minerais, le Coltan, l’Etain (Cassitérite), le Tungstène, et l’or, des activités des rébellions. Ce sont surtout des notables et militaires des FARDC qui empêchent l’organisation correcte. Il y a eu beaucoup de bonne volonté mais la mise en œuvre est très décevante. Fraude et contrebande sont réalisées par des notables « proches d’une mafia ».
Marc-André Lagrange est très convainquant sur les aspects militaires et l'historique de la Monusco. Il dénonce un grand nombre d’erreurs historiques de la force de maintien de la paix, qui obéit excessivement aux Etats contributeurs, Inde, Pakistan, Afrique du Sud, Tanzanie, Malawi, pour conclure sur une « impasse » présente. Mais, le chercheur est moins convainquant sur le processus électoral actuel de la présidentielle. Sans doute insiste-t-il trop sur un des scénarii possibles, celui où Joseph Kabila resterait maître du jeu jusqu’au bout comme dans n’importe quelle dictature. Il est vrai que, selon mes calculs, seules 2 présidentielles organisées en dictatures ont, depuis 26 ans, permis une alternance. Mais le rapport de force sur le Congo Kinshasa est aussi inédit. Je suis surpris que personne ne rappelle les pressions américaines constantes.
Selon moi, Marc-André Lagrange revient trop sur 2011. Si l'ONU a permis à Kabila de passer en 2011 par « au minimum, une complicité implicite », et que ce qui lui a fait perdre du crédit dans l’opposition, je ne suis pas convaincu que cela ne pèse alors qu’il y a un vrai rejet de Kabila par la "communauté internationale", bien visible depuis plus d’un an. En 2006, comme le précise Cyril Musila, l’ « instrumentalisation des conflits à l’Est pouvaient marcher » et servir d’argument, mais en 2016, « aujourd’hui, Kabila n’est plus la solution ». 
La veille, l'Union africaine (UA), les  Nations  unies,  l'Union  européenne  (UE)  et  l'Organisation  internationale  de  la Francophonie  (OIF) annonçaient qu’elles allaient assister le facilitateur Edem Kodjo, pour  « permettre d'arriver  à  un  consensus  permettant  la  tenue, dans   le   cadre   de   la   Constitution   congolaise,   d'élections   libres,   régulières, transparentes et crédibles », un souhait très important exprimé par l’opposition et la société civile, et encore récemment par l’Eurac. Comme à l’époque de la lutte contre le M23, est-ce que le Conseil de sécurité ne pourrait pas jouer son rôle ? Fédérica Mogherini l’a implicitement proposé, en parlant de travail commun, le 6 juin à New-York. Edem Kodjo, ministre togolais et ami du dictateur Faure Gnassingbé, pourrait donc réussir à faire avancer le processus malgré son pedigree. Cela ne signifie par que l’on surestime le poids des influences externes sur le rapport de force interne.
Le débat ne se conclut sur aucune certitude. Cela me semble normal à ce stade du processus électoral congolais, qui reste pour l’instant très imprévisible. La durée du délai après le 27 novembre n’est-elle pas en train de se « négocier » en même temps que les conditions de réalisation des élections ? Sur RFI, Corneille Nangaa, président de la Commission électorale, dit le jour-même : « le fichier ne sera pas disponible avant la fin de l’année. En milieu de l’année 2017, le fichier sera déjà prêt. Le fichier aujourd’hui est le seul argument, malheureusement, qui justifie la non-tenue de l’élection. » A bien lire, le fichier électoral pourrait donc être prêt entre le 1er janvier et le 30 juin 2017. Au contraire de ce qui s’observent habituellement dans les processus électoraux dans les dictatures, une certaine raison se constate derrière le flou diplomatique, les manœuvres des politiques congolais, et une négociation internationalement suivie et extrêmement serrée.
Régis Marzin,
Article écrit et publié le 8 juin 2016

jeudi 2 juin 2016

2 juin 2016, Paris - Congo B, Djibouti, Tchad, RDC : conférence de l’IPDD

L'Initiative Panafricaine pour la Défense de la Démocratie (IPDD) organisait ce jeudi une conférence de presse à l’Hôtel Crowne Plaza, place de la république à Paris. Les intervenants sont de gauche à droite, Mathias Dzon, président de l’ARD au Congo-Brazzaville, Freddy Kita, Coordonnateur du comité de suivi de l’IPDD et Secrétaire général de la Démocratie chrétienne en RDC, Daher Ahmed Farah, président du MRD, parti de l'opposition djiboutienne, actuellement en retrait de la coalition USN, Saleh Kebzabo, Chef de fil de l'opposition tchadienne, président de l’UNDR et candidat probablement arrivé en tête au 1er tour de la présidentielle tchadienne.
Puisque cette conférence suit les présidentielles au Congo B, à Djibouti et au Tchad, c’est sans surprise que la conférence traite en priorité de ces trois pays. Freddy Kita anime le débat et parle pour l’IPDD. Dans ces 3 pays, le point commun est que le président sortant s’est attribué au premier tour plus de 50% des voix réalisant ainsi un ’coup d’Etat électoral de premier tour’.
Mathias Dzon fait le bilan de la mascarade congolaise du 20 mars, après le « coup d’Etat constitutionnel ». Pour lui, Denis Sassou Nguesso est président « de fait », jamais élu, et donc un problème à résoudre pour le pays. Il ironise : « Mobutu s’était attribué le titre de Président à vie, Bokassa d’Empereur, au moins les choses étaient plus clairs ». Lui-même était en faveur du boycott le 20 mars.
Saleh Kebzabo, très applaudi par la salle comme président du Tchad, commence par démentir : il n’était que premier au premier tour et pas encore élu. Comme toujours, très réaliste, encore, il souligne les difficultés des oppositions africaines à lutter ensemble contre les dictatures en Afrique centrale. Comme lundi où il intervenait seul, il décrit le coup d’Etat électoral d’avril en ajoutant quelques éléments, dont le fait que pendant la campagne, l’armée s’était déjà déployée dans tout le pays pour empêcher un « soulèvement ». Il annonce pour l’investiture en août des « actions pacifiques » contre le pouvoir et « un quinquennat d’enfer ». Il précise, pour ceux ou celles qui n’ont pas compris, que quand l’opposition parle de « Gouvernement de salut national », il ne s’agit pas « de gérer le pays », mais de structurer l’opposition pour « une refondation politique », en lien avec « une jeunesse et une société civile combattive ».
Daher Ahmed Farah retrace également les derniers événements à Djibouti. Son parti, le MRD, a poussé la population au boycott de la présidentielle, puisque qu’ « il n’y avait plus aucune chance après la fin de l’accord cadre ». La participation réelle n’a été selon lui que de 20%.
Saleh Kebzabo ne reste que 15 ou 20 minutes à répondre aux questions des quelques journalistes et de la salle. Sur le procès Habré, il demande surtout d’en « relativiser les conséquences », parce qu’il n’y aura rien d’exemplaire,  la preuve étant que les crimes d’Etat ont continué violemment pendant le procès dans plusieurs pays. A ma question sur les missions d’observation de l’Union africaine et sur l’Union européenne, il redit ce qu’il a dit le lundi sur leur inutilité et leur absence de sérieux. Il rappelle que jusqu’en 2008, le Parlement panafricain menait des observations, et qu’il a participé à une mission en 2008 au Zimbawé qui a eu un effet positif (Mugabe a été obligé d’accepter une alternance au parlement, l’une des 5 alternances en dictature depuis 1990), puis que la commission de l’Ua a ensuite empêché ces missions parlementaires de continuer. Il annonce que sur la présidentielle tchadienne, les experts de l’Ue sont eux resté 55 jours, dont 1 mois avant, et ont écrit un rapport très objectif, pas encore publié. Sur le  terrorisme et la collaboration militaire internationale avec les dictatures, spécialement françaises, il ne doute pas que « la phase amoureuse ne va pas durer plus longtemps ».
Daher Ahmed Farah partage l’avis sur les missions d’observation de l’Union africaine. La dernière à Djibouti a duré, comme au Tchad, moins d’une semaine, avec un regard sur 124 bureaux sur 456. La commission de l’Ua avait été saisie en 2013 après l’inversion du résultat des législatives, mais n’a jamais donné de suite. L’Ue n’a « jamais estimé une élection digne d’être observée à Djibouti », et en 2013 avait envoyé des experts 3 mois qui avaient rédigé un « rapport accablant ». En 2016, Guelleh a refusé les experts.
Mathias Dzon parle de la corruption fréquente au Congo B – les gens disent que quelqu’un est « nguirisé », le nguiri étant un sac noir rempli de billets  –  après avoir évoqué le passage de soi-disant enquêteurs de l’Union africaine à la télé congolaise lors de la présidentielle. Il souhaite une refondation de l’Ua.
Freddy Kita souhaite rapidement avec l’IPDD, « saisir la communauté internationale sur les massacres dans plusieurs pays ». Mathias Dzon remarque qu’après les massacres dans le Pool, Denis Sassou Nguesso a envoyé des membres de Caritas Congo avec des militaires, pour faire un rapport édulcoré, à rejeter complètement. Il souhaite que le Conseil de sécurité s’empare de la question du Pool.
Le débat revient assez longuement sur la stratégie du boycott, deux défenseurs du boycott étant à la tribune. L’alternative évoquée est la « mobilisation de la population » pour Mathias Dzon, et la « conscientisation » de militants pour Daher Ahmed Farah. Puis la fin du débat revient sur l’absolu nécessité d’obtenir des élections correctes et transparentes dans les dictatures. Cependant, revendications plus précises sur les processus électoraux et projets d’actions de plaidoyer ne sont pas directement discutées en conférence publique.
Régis Marzin, article écrit et publié le 2 juin 2016