dimanche 9 octobre 2016

8 octobre 2016, Plaine St-Denis, Iran : le chant des femmes contre l’obscurantisme

A la Belle Etoile à la Plaine Saint-Denis, dans le cadre du festival ‘Plaine cinéma’organisé par l’association Cinémanifeste, sur le thème de la peur, est projeté le documentaire ‘No land’s song’, d’Ayat Najafi, réalisé entre 2012 et 2014, sorti en mars 2016. Le film retrace l’organisation d’un concert de musique, surtout persane, à Téhéran en 2013. La compositrice iranienne Sara Najafi a l’idée de faire chanter en soliste deux artistes iraniennes, Parvin Namazi et Sayeh Sodeyfi, deux françaises, Lise Caron et Jeanne Cherhal, et une tunisienne, Emel Mathlouthi, avec des musiciens iraniens et français. Son frère l’accompagne comme documentariste. Le problème, c’est que les Mollahs ont interdit depuis 1979 le chant en solo de femme devant un public d’homme.
Un passage du film résume le problème de fond. Un vieux théologien nous explique la raison de cette loi. Les femmes sont très douces mais les hommes ne le sont pas. Une femme peut se permettre d’être excitée physiquement par un homme, elle saura se tenir, mais un homme lui peut faire des bêtises, et on ne pourra l’empêcher. Donc, il ne faut pas qu’il soit excitée par une femme, donc une femme ne peut pas chanter seule devant des hommes. Une des artistes, un moment en colère, propose qu’on débarrasse la terre des femmes.
Sur cette base, organiser ce concert ne pouvait être qu’une aventure pleine de rebondissements. Quelques compromis sont acceptés dès le départ, par exemple sur la présence d’un chanteur homme ou sur les tenues. La musicienne voyage entre Paris et Téhéran, se rend régulièrement au ‘Ministère de la culture et de la guidance islamique’ et est interrogée par des fonctionnaires mystérieux. Plusieurs fois, les artistes sont pris de doutes sur la possibilité d’y arriver.
La présidentielle d’août 2013, lors de la quelle Hassan Rohani remplace Mahmoud Ahmadinejad, semble un moment arranger les choses. Le concert est finalement autorisé et les visas accordés pour les français-es et la tunisienne, mais juste avant la date, une ultime menace est portée contre les artistes pour leur faire enlever toute portée symbolique à l’événement : un concert dans la salle de répétition au lieu de la salle de concert, un contrôle de l’identité du public, entre autres. Sara Najafi résiste et joue de la relation entre la France et l’Iran pour gagner son pari, puisque le pouvoir gère son image dans une période d’ouverture où interviennent des enjeux économiques.
Le concert a lieu dans une salle devant 300 personnes environ. Les paroles des chansons sont très fortes : la chanteuse Emel Mathlouthi très engagée fait référence à la révolte de 2011 en Tunisie. Une ancienne chanson persane écrite pour une femme, qui n’a plus été chanté que par des hommes depuis des décennies, est enfin rechantée par une femme.
Cela me rappelle Tiken Jah Fakoly qui a chanté « quitte le pouvoir » au Togo au milieu des militaires armés, et qui s’est fait expulsé de Kinshasa en 2015, Joseph Kabila ayant interdit son concert. En interview, je lui avais demandé s’il pouvait aller faire ses concerts dans les dictatures d’Afrique centrale, il m’avait répondu que cela devait être possible. C’était possible, mais ce n’était pas facile !
En Iran, qui a le plus peur ? Les tenants du système dictatorial ou la population victime des atteintes aux droits humains ? Il y a une peur réciproque et des efforts pour la vaincre réciproque. Au Gabon, l’activiste Marc Ona disait fréquemment « la peur a changé de camp », un slogan maintenant célèbre. Ayant moi-même longuement étudié les dictatures contemporaines en Afrique, je comprends qu’un système mis en place à une époque en fonction des données de cette époque perdure, s’use intérieurement mais ne tombe pas, même si le sens et l’équilibre de départ a disparu. Il faut une énergie très forte pour qu’un système illégitime, non démocratique disparaisse. En 2009, 4 millions de personnes étaient dans les rues de Téhéran espérant le respect de la vérité des urnes, en vain. Le résultat a été inversé. En 2013, un léger mieux a été obtenu, quand les mollahs ont accepté un début d’ouverture, mais les institutions de la ‘république’ reste soumises aux desiderata de l’institution religieuse.
Le film révèle une mise en abîme. Des artistes se battent pour leur liberté et réalisent ainsi un acte politique. Le film lui-même en témoignant cherche une nouvelle limite dans l’expression de la liberté. C’est ainsi un film sur la relation entre art et politique, à deux niveaux, limpide et éclairant.
Irène Ansari, la coordinatrice de la Ligue des Femmes Iraniennes pour la Démocratie (LFID) – sur la photo – intervient avant après le film, auprès d’Antonia Naim de Cinémanifeste. Elle replace l’histoire dans son contexte historique : la dictature du Shah, une modernité sans démocratie et sans partage des richesses, la ‘révolution’ de 1979, 8 ans de guerre contre l’Irak, pendant la quelle la cause des femmes était inaudible, l’élection au résultat inversée en 2009, la période moderne où les religieux se sont adaptés aux technologies modernes. Elle décrit l’état du pays et la situation des femmes. Celles-ci sont très bien formées, mais réduites à vivre dans des conditions sociales très dures. Irène Ansari se bat pour leur droit, « un droit universel ».

Régis Marzin, article écrit et publié le 9.10.16

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