De
2012 à mai 2017, les dirigeants socialistes français, focalisés sur le Mali,
fortement influencés par l’Etat-major de l’armée française, se sont appuyés sur
le dictateur tchadien Idriss Déby, sans faire pression pour obtenir des progrès
sur l’état de droit et le processus de démocratisation. En 2016, Idriss Déby a inversé
le résultat de la présidentielle dans le silence de son allié français et
de l’Union européenne. Le seul acquis depuis début 2016 pourrait être une
légère baisse du niveau de répression alors que les leaders de la société
civile et de
partis politiques continuent pourtant d’être emprisonnés. C’est pourquoi, le
devenir de la relation franco-tchadienne a été, dès le début quinquennat d’Emmanuel
Macron, identifiée comme un marqueur probable de continuité ou de changement de
politique du nouvel exécutif français dans sa relation avec les dictatures
africaines.
En
France comme au Tchad, l’annonce de la conférence des
bailleurs de
fonds des 6, 7 et 8 septembre a été interprété comme une affirmation de
continuité de l’alliance française avec le dictateur. La société civile
tchadienne a dénoncé
l’organisation de la conférence qui risque de conduire à un « surendettement
sans amélioration des conditions de vie de la population tchadienne »,
et a envoyé à Paris, Mahamat Nour Ibedou, secrétaire général de la Convention Tchadienne pour la Défense des Droits de l'Homme (CTDDH) et membre du Mouvement d'Eveil Citoyen (MECI). La diaspora tchadienne
de Paris a organisé un contre-sommet dans un grand hôtel du centre parisien, le
Normandy hôtel. Mais Mahamat Nour Ibedou a été bloqué
sur le trajet en Ethiopie et n’a pu participé.
L’illustre
blogueur Makaila Nguebla a présenté la conférence et les 3 panels, sur
l’économie, la mauvaise gouvernance et les atteintes aux droits humains, et sur
la relation politique entre la France et le Tchad. En introduction, Antoine
Bangui, ministre entre 1962 et 1972, décrit la crise permanente du Tchad,
la replace dans son historique, et rappelle que les efforts sont inutiles, tant
qu’aucune alternance n’est possible, dans le déni sur l’absence de démocratie « avec
des complicités étrangères ».
Lors
du premier panel, l’activiste Thomas Dietrich explique la situation économique
du Tchad, les pires indicateurs, la « manne pétrolière dilapidée »,
la mauvaise gestion, l’agriculture abandonnée, la santé et l’éducation méprisées,
le plan National de Développement (PND) rédigé par un cabinet extérieur
méconnaissant le pays. Françoise Wasservoegel, à partir de l’exemple du Mali,
conclut à l’impossibilité pour la population de surveiller l’emploi des
financements et de lutter contre la corruption. Bessane Darnace accuse les
créanciers de l’Etat tchadien d’être derrière la conférence pour être remboursés
et dénonce la construction des éléphants blancs.
Dans
la 2e partie, Nadjo Kaïna, du mouvement citoyen Iyina, de passage à
Paris, décrit la répression actuelle, revient sur son emprisonnement pendant 21
jours pendant lesquels il a subi le supplice du piment. Delphine Lecoutre, au
nom de la campagne Tournons la page, retrace un historique des atteintes
aux droits humains depuis 1990. Selon elle, Idriss Déby n’a plus d’argent
pour corrompre et a remplacé la corruption par la répression autour la
présidentielle de 2016. Selon Tahirou Hissein Daga, il est impossible de
développer au travers de l’aide, alors que les jeunes ne peuvent participer. Le
5e intervenant, Djibrine Kirarch rappelle qu’il s’agit du 3e
appel à l’aide international.
Je
participe au troisième panel. Le premier intervenant, Laurent Duarte de
Tournons la page parle de la continuité qui s’installe entre Hollande et
Macron, évoque le fait que Déby a menacé de se retirer du G5 Sahel, et
s’inquiète de l’influence grandissante de l’Allemagne dans des buts
économiques. Julien Moisan, salarié de l’association Survie, maintenant très
spécialisée sur l’armée française, pense que « dans la lutte contre le
terrorisme, les dirigeants français, en diabolisant un tiers, priorise les
relations et s’autorise les relations avec les dictatures ». Selon lui,
« l’enjeu est de pouvoir critiquer la lutte contre le terrorisme qui
accompagne un renforcement du régime tchadien ». Delphine Lecoutre évoque
les manœuvres d’Idriss Déby qui a fait du Tchad « une
puissance de circonstance ».
Mon
intervention commence sur les élections au Tchad et en Afrique et termine sur
l’analyse de l’évolution de la politique française. Le coup d’Etat électoral
d’avril 2016 au Tchad a été l’un des 4 de l’année 2016, année
des coups d’Etat électoraux en Afrique, plus précisément année des
inversions de résultats de présidentielle. Le silence international a duré
jusqu’au 4e, celui du Gabon, quand l’Ue a enfin protesté. Ces pays
sont maintenant face à l’organisation des législatives, aux résultats plus
difficiles à inverser.
La
conférence des bailleurs de fonds arrive au moment où le président tchadien,
qui accumule 5 présidentielles au processus électoral détourné depuis 1990, n’a
plus aucune légitimité à gouverner, entre présidentielle au résultat inversé et
report anticonstitutionnel des législatives. Et c’est à ce moment que le
pouvoir français lui fait un cadeau, en le sortant de la banqueroute, comme le
souligne International
Crisis Group, et en lui assurant la poursuite du financement de ses actions
militaires régionales sur le Nigéria ou le Mali, en justifiant ce sauvetage budgétaire
par des discours sur les actions de développement incertaines dans le contexte
politique actuel précaire du Tchad.
Cette
action de sauvetage aurait nécessité une prise en compte globale de l’ensemble
des problèmes du Tchad, dans l’écoute de la société civile et des opposants
démocrates, mais elle est, au contraire, faite sans exigence de progrès, sans
exigence de dialogue inclusif nécessaire au Tchad. Silence et mépris s’accumulent
envers les démocrates, quand le seul interlocuteur reconnu reste le
président actuel qui n’a jamais été élu.
Paris
est soutenu dans cette action par l’Union européenne, qui augmente son aide de 550 Millions
d’Euros sur 5 ans sans exigences de contreparties sur l’Etat de droit, la
gouvernance, les processus électoraux. Emmanuel Macron essaye de gommer les
divergences avec l’exécutif européen en associant les priorités françaises et
européennes au niveau régional autour de Libye et du Mali. Emmanuel Macron et
Jean-Yves Le Drian reprenne la structure de l’alliance sous Hollande en
incluant Idriss Déby dans les opérations de contrôle migratoire avec le HCR au
sud de la Libye, en plus des services rendus au Mali.
Il se
profile une sorte d’échange : après ces services rendus, le dictateur a de
bonne chance d’obtenir de nouveau une absence
de soutien français à la démocratie et un recul européen sur ces mêmes
points. Aucune contrepartie sur le processus de démocratisation n’est discutée ni
lors du sommet des bailleurs, et ne le sera sans doute suite au sommet. La
confusion entre la fonction présidentielle et la personne physique ‘Idriss
Déby’ semble continuer puisque, comme lors de la présidentielle de 2016, il n’y
a pas de critiques des conséquences des alliances militaires et sécuritaires dans
l’impossibilité de démocratiser le Tchad. Il devient ainsi probable qu’en
échange de ses services, Jean-Yves Le Drian et Emmanuel Macron ne demanderont
rien à Idriss Déby concernant la qualité du processus électoral des
législatives. Pire, le doute s’insinue concernant l’Ue.
Pourtant,
l’exemple récent du Kenya, où l’on a observé un certain échec des missions
d’observation, y compris occidentales, montre qu’il devient difficile de parler
de maintien de la paix en Afrique sans envisager le contrôle sérieux des
processus électoraux. Si la position de Macron et Le Drian n’évolue pas, elle
restera obsolète et très critiquée par la jeunesse africaine. Au final, pour
l’instant, avec un soutien qui se renouvèle à Idriss Déby et l’accent mis sur
le développement dans le Sahel, Macron et Le Drian restent dans la
fausse « approche globale » déjà proposée par François Hollande,
une approche à deux domaines, « Paix et sécurité » et
« développement », dans laquelle manque la « démocratie et l’état
de droit » nécessaire à la véritable approche globale.
Régis
Marzin
Ecrit
et publié le 8 septembre 2017
Ajout du 19.9.19 : Par oral, j’ai aussi insisté sur l’anormalité de l’absence de date des législatives. Le MEAE a demandé un calendrier à Déby le 11.9.17. R. Marzin
Ajout du 19.9.19 : Par oral, j’ai aussi insisté sur l’anormalité de l’absence de date des législatives. Le MEAE a demandé un calendrier à Déby le 11.9.17. R. Marzin
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