mercredi 17 mai 2023

16 mai 2023, Paris, La démocratisation de l’Afrique au colloque de Sciences Po

Le colloque « Afrique 2023 : Mouvements citoyens, restaurations prétoriennes et nouvelles configurations internationales » des 16 et 17 mai 2023 à Sciences Po Paris est organisé par l’Université de Cornell à New-york, l’université Northwestern  (d’Evanston dans l’Illinois) et  à Sciences Po, en partenariat avec Tournons La Page et la revue Politique africaine. Une partie des discours étant en anglais, nous avons droit à une traduction simultanée à l’écran en direct.

Il n’y a pas eu ce type d’événement à Paris depuis le début de la Covid ce qui provoque pour certain-e-s de très agréables retrouvailles avec des amis et des connaissances. Il était temps de retrouver des discussions collectives sur Paris et de voir qui fait quoi en ce moment. Par exemple, il se comprend assez vite que le mouvement Tournons la Page, qui regroupe maintenant 242 organisations en 10 coalitions a pris de l’ampleur ces dernières années. Je ne viens qu’à la partie qui concerne le plus mon travail, la démocratisation de l’Afrique la matinée du 16, laissant de côté d’autres thèmes comme les coups d’état, les transitions associées et la Russie.

Le discours d’ouverture est assuré par Roland Marchal, spécialiste du Tchad, du Soudan et de la Centrafrique au Centre d'études internationales de Sciences Po. Il évoque les évolutions actuelles en Afrique, la « critique de l’ancienne puissance coloniale » qui correspond à une « appréciation » qui n’est pas « sur le court terme » et renvoi aux thèmes de la colonisation et des Etats post-coloniaux. Les questions du rejet de la France reviendra ensuite fréquemment dans les interventions et dans les débats. Le chercheur choisit ses mots pour parler de la démocratie depuis 1990, entre « déception » et « désillusion ». Il termine sur la perception de l’évolution de la politique internationale, qui ne va « pas vers une nouvelle guerre froide » ni « un retour du non-alignement » mais vers « une dissolution des camps » et une recherche de « souveraineté ».

 De gauche à droite, Marc Ona, Roland Marchal, Mohammed Tozy et Nic Van de Walle

 Le principal intervenant du premier panel sur les « Acquis et limites de la démocratisation en Afrique 1990-2023 » est Nic van de Walle de l’université de Cornell qui intervient sur le sujet « Progrès démocratique en Afrique, 1990-2023 : Faits stylisés et hypothèses pour l’avenir », un sujet proche de mon domaine de recherche. L’intervention est basée sur des graphiques. Le plus intéressant est peut-être celui qui compare la démocratisation des différentes parties du monde depuis 1990.

On y voit à peu près l’arrêt du processus de démocratisation en Afrique en 2005, une date qui correspond à l’arrêt de la démocratisation plus rapide dans les anciennes colonies britanniques. Le chercheur souligne l’augmentation quantitative de la protestation depuis 2015. Pour le futur, il suppose que le pouvoir judiciaire prendra de l’importance sauf sans doute dans les pays francophones.

Deux discutants complètent le panel, Mohammed Tozy, de l'IREMAM à Aix en Provence et Marc Ona Essangui, l’illustre président de Tournons la Page. Mohammed Tozy pense en parlant de l’Afrique du Nord, que les « régulateurs » qui sont en place sur les droits humains, la presse la concurrence, « adossés aux référentiels internationaux » peuvent être des « contre-pouvoirs sérieux » et évoque l’influence du Qatar, de l’Arabie saoudite et des Emirats arabes unis.

Pendant le débat, Nic van de Walle répond à une question sur les inégalités sociales. Il explique qu’il n’y a pas de lien entre les inégalités et l’absence de démocratie, puisque le maximum d’inégalités se trouvent dans la partie la plus démocratique de l’Afrique, l’Afrique australe. Evidemment, cela fait se poser des questions sur les partis politiques en particulier en Afrique du Sud.

Je questionne Nic van de Walle sur les perspectives de déblocage de certains pays, puisque beaucoup de pays sont ‘bloqués’. Je pense à des surprises récentes, les progrès en Mauritanie et en Tanzanie, sachant qu’il y a beaucoup de régressions ailleurs, bien documentée, mais que cette régression pourrait cacher de nouveaux types d’évolution encore peu étudiés. Cela m’oblige à préciser qu’il existe des états anti-démocratiques avec alternance de chef de l’état en cas de limitation du nombre de mandats, un type de régime dont le modèle peut-être involontaire a été la Tanzanie et que ces régimes se sont multipliés à partir de 2016 sans être comptabilisés. Je fais l’hypothèse que les Etats-Unis et la Grande-Bretagne peuvent aider la Tanzanie à se démocratiser correctement. Le chercheur américain pense que la Tanzanie ne veut pas être en retard par rapport à des voisins comme le Kenya et souligne l’importance d’un « parti fort » d’opposition. Il parle de « parti fort » en parlant d’un seuil de 25% des voix. Il remonte à Napoléon pour analyser la soumission du pouvoir judiciaire à l’exécutif côté français.

A la pause, Nic van de Walle et moi parlons de l’écart qui se creuse dramatiquement entre les anciennes colonies françaises et britanniques. Quelles sont les causes de cette évolution ? Dans la liste des causes possibles, il y a la différence de structure et d’indépendance des commissions électorales, la gestion du contentieux, avec d’un côté un pouvoir judiciaire qui se renforce et de l’autre des cours constitutionnelles soumises aux chefs d’état, la conception plus solide des constitutions comme devant être respectées côté anglophone et Common Law, un effet d’entrainement collectif et de solidarité entre pays dans un espace linguistique soit en négatif soit en positif. Je rajoute les calendriers électoraux avec les élections regroupées qui permettent d’améliorer plus facilement les processus électoraux côté anglophone et la qualité supérieure de la recherche en langue anglaise, qui est aussi plus pragmatique pour viser à trouver des solutions à des problèmes. Actuellement, c’est presque comme si 80% des données sur les détournements des processus électoraux étaient du côté francophone et 80% des recherches sur les solutions du côté anglophone.

Le second panel présidé par Sandrine Perrot de Sciences Po s’intitule « La démocratie a-t-elle réussie ? ». Rachel Riedl de l’université de Cornell propose un exposé « Recul démocratique et résilience : Ouvrir l'espace démocratique par de nouvelles stratégies d'opposition ». En anglais, on parle de « reverse democratic backsliding ». Il est question, entre autres des alliances entre société civile et partis d’opposition. 

De gauche à droite, Marc Ona, Elhadji Idi Abdou, Rachel Riedl, Sandrine Perrot et Richard Banégas

Marc Ona Essangui intervient sur « 2013-2023 : La dégradation de l'espace civique en Afrique ». Il rappelle la répression par exemple en Guinée actuellement, ou l’on fait des mois de prison pour une manifestation. Actuellement, le leader gabonais voit du populisme qui fait pression sur les associations : « des éléments de langage sont imposés par la rue, contre le colonialisme ». Il précise que la rue ne tient pas compte du fait que la Chine et la Russie ne soutiennent jamais la démocratie. Pour lui, les rapports d’associations comme Amnistie sont moins efficaces aujourd’hui, alors que les pays occidentaux sont très frileux, « trainent le pas » pour réagir. Il souhaite que la France ait moins peur de développer sa communication.

Richard Banégas, de Sciences Po, a intitulé son exposé « “Cabri mort n’a pas peur de couteau”. Les impasses de la révolution démocratique passive des années 1990 et les promesses non tenues des insurrections civiques des années 2010 ». Les mouvements sociaux avaient pris de l’importance après la révolution burkinabée de 2014, dans la suite du « dégagisme » de 2011. Puis, alors que les printemps arabes ont participé à propager des guerres, la guerre contre le djihadisme a mis au centre du jeu les armées au sahel. On passe des « processus de transitions » des années 90 aux « restaurations autoritaires ». Au-delà d’un « regard désabusé », on peut voir, selon lui, des avancés au niveau de « la libéralisation de la parole publique », la « gestion locale », des « progrès du contrôle citoyens ». Il y a maintenant de nouvelles mobilisations. Il y a aussi des mobilisations différentes en particulier religieuses, qui ont un lien avec le rejet de l’occident. Il termine sur un clip d’une chanson qui parle des conséquences de ne plus rien avoir à perdre : « On est assis par terre, est-ce qu’on peut tomber encore ? »

Elhadji Idi Abdou, de Tournons la Page Niger est noté « discutant » au programme mais fait une intervention comme les autres. Au Niger, pour la société civile, manifester reste interdit. Je note qu’il rappelle l’alliance de la société civile avec Issoufou avant son arrivée au pouvoir.

Au cours du rapide débat final de la matinée, Marc Ona revient sur la perception de la France. Ayant constamment lutté contre la Françafrique, il a toujours souhaité que la France ne soit pas considérée comme le « bouc émissaire » responsable de tous les maux.

Le débat doit s’approfondir dans de nombreuses directions dans les deux demi-journées suivantes. Ce colloque montre des intérêts communs entre des associations et des chercheur-se-s de part et d’autre de l’Atlantique. La collaboration ne peut être que fructueuse. Les approches sont sans doute complémentaires puisque que beaucoup de difficultés que rencontrent l’Afrique prennent place dans un espace francophone, avec des données surtout disponibles en français et que la question du soutien de la démocratie se pose d’une autre manière sans doute plus large et plus pragmatique aux Etats-Unis.

Régis Marzin

Paris, 17 mai 2023

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