dimanche 8 février 2015

7 février 2014, Paris, Paix et démocratie en Afrique

Le Forum « Dialogue pour la paix en Afrique-2015 : Lutte contre le terrorisme, stabilité démocratique et paix », le samedi 7 février, à Paris, est organisé par  Paris Global Forum de David Gakunzi et le Cabinet AdhocNego de Yannick Biyong. 
Je suis arrivé pour le second panel, manquant l’intervention de Pierre Buyoya, l’ancien Président du Burundi. Le premier panel dont je n’ai écouté que la fin était intitulé ‘Les défis du terrorisme : à menaces globales, quelles réponses globales?’ avec André Bourgeot, CNRS, Jean-Claude Félix-Tchicaya, IPSE, Jean-Pierre Redjekra, enseignant, RCA, Jacky Mamou, Urgence Soudan, Joan Tilouine, modérateur du Monde-Afrique. Cette partie du forum mélangeait des discussions sur la situation en France, par exemple sur le racisme et les conséquences du terrorisme et de l’expertise sur l’Afrique. Par exemple, j’ai retenu juste une dernière idée de Jean-Claude Félix-Tchicaya, à peine esquissée, qu’il peut y avoir des problèmes d’intégration de migrants qui n’auraient pas rencontré suffisamment la culture démocratique dans des dictatures en Afrique, proposition qui n’a pas été discutée. 
Le deuxième panel rassemble, de gauche à droite : Amadou Sylla, politologue, SOS Casamances, Jean-Pierre Vettovaglia, ancien ambassadeur suisse, éditeur du livre ‘Prévention des crises et promotion de la paix’ en 3 tomes et 3000 pages, dont "Démocratie et élections dans l'espace francophone " (vol. 2, 2010), Alira Adissa, modératrice, Christophe Guilhou, Directeur paix, démocratie et droits de l’homme à l’OIF, Emmanuel Dupuy, Président de Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE), Nestor Bidadanure, philosophe franco–burundais
L’introduction de la conférence autour de multiples questions générales qui demanderaient au moins 10 heures de débat au lieu d’un peu plus d’une heure, indique que les propos ne pourront qu’être très généraux. Jean-Pierre Vettovaglia commence par dire que la réalité est pour l’instant très décevante. Il délimite 3 périodes : 1960-1991, le règne des partis uniques en Afrique contenant les pays occidentaux; 1991-2001, une période post guerre-froide d’exigence démocratique imposée et « politiquement correct », qu’il pense exagérée pour une période trop courte, parce qu’ « En Afrique les chefs ne partagent pas le pouvoir » (Il cite Albert Bourgi), puis 2001-2015, période de focalisation sur la sécurité après l’attentat du 11 septembre. 
Je ne suis absolument pas d’accord avec ce phasage, parce que je propose plutôt, d’après mon schéma ‘Démocratisation et nature des régimes des anciennes colonies françaises: évolution entre 1990 et 2015’: 1960-1990, néocolonialisme français en ce qui concerne les 20 ex-colonies, 1990-1993, période d’instauration du multipartisme par les luttes des peuples, les Conférences nationales souveraines, la modification des constitutions, 1994-1998 période de paroxysme de la Françafrique et de contre-attaque des dictateurs, 1998-2010 stabilisation et usure systémique complexe, avec progrès lent de la démocratie et augmentation de la résistance des régimes dictatoriaux, 2010-2015 augmentation du nombre de pays en transition démocratique, en crise, ou complexes, lutte d’équilibrage entre les focalisation sur la ‘Paix et la sécurité’ et ‘démocratie et Etat de droit’. 
Emmanuel Dupuy fait un exploit en exprimant un maximum d’idées et de connaissances en 10 minutes. Selon moi, il rejoint Jean-Pierre Vettovaglia dans un certain pessimisme, qui pourrait montrer en réalité une mauvaise analyse des équilibres géopolitiques depuis 2010 et surtout 2012. Il ne s’agit pas d’être « optimiste » sur la démocratisation en Afrique comme le serait Pierre Buyoya, mais de mieux d’observer une grande quantité de changements récents qui interfèrent les uns les autres, et de réfléchir sur les modalités pratiques. 
Le philosophe Nestor Bidadanure apporte un point de vue plus un peu plus équilibré, tenant compte d’une expérience traumatisante des Grands Lacs, en exprimant l’idée d’un mélange constant de progrès et d’insuffisances. Il dénonce « l’insécurité à la base quand règne la sécurité au sommet ». Il s’inquiète fortement de la montée d’un « populisme identitaire radical ». 
Amadou Sylla, lui, considère que l’Afrique dans un monde qui change aussi, en particulier en raison de l’économie et des technologies nouvelles, les « destins étant liés », particulièrement ceux de l’Afrique et de l’Europe. 
Christophe Guilhou est Directeur Paix, démocratie et droits de l’homme à l’Organisation Internationale de la Francophonie, la direction « bras armé politique ». En présentant le rôle de la Francophonie sur la démocratie en Afrique, il exprime de loin le point de vue le plus pertinent et le plus actuel. Je suis agréablement surpris parce que je m’attendais à un langage diplomatique moins moderne, moins dans un esprit ‘anglophone’, et piégé par les mauvaises expériences dans les dictatures. 
Il rappelle que l’OIF constitués de 80 Etats membres, travaille autour de textes de références, la déclaration de Bamako de 2000, et la déclaration de Saint Boniface sur la prévention des conflits. Sa particularité est de fonctionner autour de réseaux, par exemple son réseau d’experts électoraux, qui fournit de l’expertise aux Etats. Il s’agit d’une « organisation de coopération intergouvernementale », et elle n’est « pas faite par les oppositions ». Je comprends positivement : sous-entendu, même si les oppositions seraient dans certains pays plus légitimes. 
Le non respect des règles constitutionnelles peut conduire à une exclusion, comme actuellement la Centrafrique et la Thaïlande, mais la Direction Paix, démocratie et droits de l’homme continue de travailler avec ces pays. En Centrafrique, la Francophonie aide sur le processus électoral en préparation pour l’été ou un peu plus tard et la remise en place des institutions. De même Madagascar avait été suspendu 5 ans, et l’OIF y a fait, selon lui, le maximum, pour « mettre sur pied les institutions de la transition ». 
Il indique que l’OIF est intervenu au Togo il y a quelques mois pour que les législatives aient lieu. Et il ne précise rien d’autre, ce qui créerait presque un contresens politique : ces législatives de juillet 2013 étaient organisées après une répression féroce autour de la mascarade judiciaire des incendies, et le résultat global a été inversé en raison de découpage électoral complètement déséquilibré, accentuant l’incohérence entre processus électoraux instrumentalisés par la dictature depuis 2005 et volonté des électeurs. Etait-ce aussi sous-entendu ? Il ajoute aussitôt « L’OIF ne cherche pas la lumière », ce qui est soudain un langage codé bien mystérieux. 
L’OIF a fait 200 missions d’observations, à la demande des Etats, pour un renforcement technique des capacités de ces Etats, par exemple sur les Cours électorales indépendantes. Les observations sont de moins en moins le jour J, parce que selon Christophe Guilhou, les sociétés civiles sont plus à même de se disperser sur un territoire. Là, il ne dit pas évidemment que les observations trop courtes, les choses étant déjà très fraudées en amont puis au niveau du résultat final, étaient à la base de l’instrumentalisation par des dictatures de mission d’observation. Ainsi, en 2009 au Gabon, l’OIF n’a pu que s’avouer vaincue devant le coup d’Etat électoral et que conclure qu’il faudrait « Faire en sorte que les missions électorales de l’OIF puissent participer à toutes les phases de l’élection, en amont et en aval, notamment à la phase de centralisation et de traitement des résultats. » En quittant trop tôt, l’OIF n’avait rien suivi de la gestion du contentieux électoral par la Cour constitutionnelle, le principal point du coup d’Etat électoral qui avait pour complice Nicolas Sarkozy. 
Christophe Guilhou insiste sur la question des nombreuses élections en 2015 et 2016, et sur la question de la limitation du nombre de mandats présidentiels au Burkina Faso et en RDC. Par ailleurs, concernant la ‘gouvernance’, l’OIF soutient la CPI, la construction d’un droits des affaires, participe aux Examen Périodique Universel (EPU) de l’ONU sur les droits humains à Genève, soutient la liberté de la presse, la régulation des media, et l’accès au media pour les oppositions. Il conclut sur la nécessité d’être plus performant, de se renouveler, surtout sur la ‘gouvernance’, parce que le domaine de la démocratie est difficile, et que le travail avec les Etats interdit de « favoriser les oppositions ». Une autre priorité de l’OIF est de favoriser l’expertise africaine. 
Je trouve cette approche pragmatique et a priori plus technique que politique autour des actions de l’OIF intéressante parce que ce type de discours est rarissime en France, même s’il faut décoder les sous-entendus. 
Le retard s’étant accumulé dans la première partie du Forum, il n’est pas possible de débattre, et cette conférence très riche en reste au stade d’introduction à de futurs autres débats. A suivre… puisque de nombreuses élections sont prévues en Afrique en 2015 et 2016.

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