mardi 3 mai 2016

2 mai 2016, Paris, Tchad : conférence de presse sur la présidentielle du 10 avril

A la nouvelle conférence de presse sur la présidentielle du 10 avril et du 9 mai au Tchad, à la Fondation Gabriel Péri à Pantin, les journalistes sont venus moins nombreux qu’à celle du 3 mars 2016, bien que le leader de l’opposition tchadienne, Saleh Kebzabo, intervienne de nouveau. Les media français semblent être déjà passés à la suite sans s’être méfiés que la crise électorale s’enracinait à un autre rythme qu’à Djibouti ou au Congo Brazzaville.
Dire que tout est terminé parce que le dictateur s’impose par la voie officielle, en sous-entendant que les mascarades électorales sont inévitables en Afrique, ne correspond pas la réalité tchadienne. En enquêtant, en se renseignant auprès des opposants, on peut comprendre que l’enjeu n’est pas situé là où la version officielle a essayé de le placer.
La technique des processus électoraux en Afrique ne passionne pas les lecteurs et auditeurs français, sans doute parce que cela demande une attention à une complexité. Mais cette complexité n’est pas si grande, ce sont surtout des habitudes qui sont prises, au travers de préjugés, qui renvoient à un certain mépris pour la démocratie en Afrique, et sont maintenant intégrées dans des mécanismes inconscients, un suivisme des positions officielles et de l’autocensure.
Pourtant, ce n’est pas si dur de voir que Denis Sassou Nguesso, Ismaël Omar Guelleh puis Idriss Déby ont inversé le résultat du premier tour avec des méthodes très proches. La constatation des techniques de fraudes le jour du scrutin et de compilation des résultats permet de constater la similitude de la méthode. Les dictateurs n’organisent pas les scrutins pour les perdre et ne veulent pas se confronter aux seconds tours. Malheureusement beaucoup de media préfèrent privilégier la version officielle, puis remplacer l’enquête sur le scrutin, par une dialectique qui met en scène les efforts des opposants face à un ennemi invincible, sans remettre en cause la version officielle. En effet pourquoi commencer par dire qu’un chef d’Etat est élu quand il n’est pas élu et quand il n’a jamais été élu depuis 20 ou 30 ans, et qu’il se maintient au pouvoir par la force et la fraude électorale.
La réalité tchadienne est tout autre. Les diplomates et militaires peuvent être inquiets de l’après Déby, si la démocratie ne s’est pas installée avant sa mort. Derrière la puissance militaire se cache un état encore mal structuré, parce que le clan au pouvoir a monopolisé l’essentiel de l’appareil de l’Etat. Idriss Déby est contesté dans la rue depuis peu. La société civile et les partis arrivent à mieux s’organiser et à capter le mécontentement de la population. Une nouvelle inversion du résultat au premier tour s’inscrit dans un historique électoral depuis 1990 et le bilan d’Idriss Déby qui s’aggrave lui sera reproché ardemment. Le rapport de force va continuer de se durcir. Il y avait déjà des « villes mortes » et cela va continuer autant que faire se peut.
M. Saleh Kebzabo, le candidat de l’Union nationale pour le renouveau et le développement (UNDR) qui intervient par téléphone depuis Ndjaména, et M. Abdel-aziz Koullamallah, directeur adjoint de campagne de M. Laokein Medard Kourayo, le Maire de Moundou, leader de la Convention Tchadienne pour la Paix et le Développement (CTDP) sont en mesure de bien décrire le processus électoral à l’étape actuelle. Makaila Nguebla et Mahamat Zang animent la conférence.
Les fraudes se sont déroulées surtout dans les régions du Nord: bourrage de centaines d’urnes et trucage de milliers de procès-verbaux. Dans les régions du Nord, les délégués de l’opposition ont été chassés et, dans les procès verbaux, le score de Déby a été arbitrairement fixé à plus de 90%, malgré l’évidence de la défaite d’Idriss Déby dans certaines villes et régions. Au Sud, la population et les partis ont, en partie, réussi à empêcher les fraudes. Même si Idriss Déby avait 100% dans les 13 régions du Nord, alors en fonction des Procès verbaux au Sud, son score serait au maximum de 42%, soit 35,62% + 10,1%(1-0,3562) = 42,12%, où 35,62% est le pourcentage d’électorat du Nord et 10,1% le pourcentage de votes de Déby au Sud. Il ne pourrait en aucun cas être élu au premier tour. Si les résultats réels apparaissaient, il pourrait même arriver en 4e position et ne pas être retenu au second.
Dans ces conditions, que vont dire les acteurs de la communauté internationale concernés par les processus électoraux en Afrique et par la présidentielle tchadienne ? Une vision à plus long terme du Tchad exigerait de renforcer la démocratie et l’Etat de droit dès maintenant pour prévenir un conflit dans les années qui viennent. Alors que le Conseil constitutionnel tchadien s’apprête sans doute à mentir sur la valeur du processus électoral en validant un résultat inversé, un discours honnête sur la technique des processus électoraux serait la manière la plus simple de soutenir les démocrates tchadiens.
Entre autres, la réaction internationale immédiate déterminera l’Etat du Tchad dans les années à venir dans une région, l’Afrique centrale, qui sera soumise à la pression de la volonté populaire pour arriver aux départs des dictateurs. Les puissances étrangères ne sont pas si bien perçues en Afrique, qu’elles puissent faire l’impasse sur l’opinion publique qui émerge, par les nouvelles technologies et le caractère inexorable de la démocratisation de l’Afrique centrale. Le passif est déjà tellement important que toutes nouvelles erreurs de posture viendront aggraver un bilan déjà très lourd. Une vision à court terme est dangereuse.
Régis Marzin, article écrit et publié le 3.5.16

1 commentaire:

  1. Excellente synthèse de la conférence de presse du 02 avril 2016, sur la crise électorale au Tchad; et rappel du contexte.

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