lundi 12 décembre 2016

12 décembre 2016, Aubervilliers, modèle d’intégration ?

Ce lundi soir se déroule à Aubervilliers, la 4ème conférence du cycle « Mobilité et migrations dans le monde et l’histoire » du Campus Condorcet. Patrick Simon de l’Institut national d’études démographiques (Ined) intervient sur le thème ‘le modèle d’intégration et la France multiculturelle’. Il a remplacé Cris Beauchemin qui n’a pu venir et avait proposé de parler des ‘Migrations d’Afrique subsaharienne’. Patrick Simon est co-auteur, co-directeur, avec Cris Beauchemin et Christelle Hamel en 2010 de ‘Trajectoires et Origines. Enquête sur la diversité des populations en France’, dont il présentera des données et des conclusions.
En introduction, le chercheur indique que « la France est devenu une société multiculturelle, et que ce n’est plus une question ». Il retrace ensuite l’histoire de l’immigration, pour arriver aux années 80, pendant lesquelles l’intégration est conçue comme une synthèse entre assimilation et insertion, entre assimilation et société multiculturelle, dans un compromis après négociation. Ensuite les débats iront sur les questions de ségrégation, de communautarisme, de reconnaissance du pluralisme, pour arriver en 2016 à nouvel équilibre de questions autour  de l’assimilation, de l’identité nationale, de la laïcité et des valeurs républicaines, avec des discours tels que ceux autour de la « théorie du grand remplacement ». Il explique que cela est passé d’un discours sur les difficultés, la pauvreté, à un discours sur des « minorités menaçantes » avec un débat sur l’Islam.
Viennent ensuite des chiffres importants tirés de l’enquête de l’Ined de 2008-2009 précitée. Elle distingue « immigrés, descendants d’immigrés, originaires des DOM, et population majoritaire » : France : immigrés 10%, descendants d’immigrés12%, originaires des DOM 2%, et population majoritaire 76% ; Ile-de-France : immigrés 21%, descendants d’immigrés 18%, originaires des DOM 3%, et population majoritaire 58% ; Seine-st-Denis : immigrés 39%, descendants d’immigrés 28%, originaires des DOM 8%, et population majoritaire 25%. Pour la France, il indique aussi d’autres chiffres : 5,7 millions d’immigrés soit 8,7% et 6,7% de descendants soit 10%. Sur l’origine, il donne : Maghreb 4% pour la France, 14% pour l’Ile de France et 28% dans le 93, Afrique subsaharienne 2% pour la France, 7% pour l’Ile de France et 12% pour le 93.
Il continue sur la ségrégation au travers de la concentration dans des quartiers défavorisés, les taux de chômage. Puis il est question du sentiment d’être discriminé. Une autre enquête a eu lieu en 2015 en Ile-de-France, qui montre une forte augmentation du sentiment d’être discriminé.
Patrick Simon embraye ensuite sur quelques points : l’apprentissage de la langue fonctionne assez bien selon lui, les relations sociales aussi, le mélange dans les couples aussi. Au niveau de la couleur de la peau, cela se mélange plus qu’aux USA. Cela se mélange beaucoup moins entre religions, y compris pour les athé-e-s. Il considère que le sentiment d’appartenances multiples augmente. Je remarque qu’il oublie alors de parler du sentiment d’être d’une province, d’un pays, d’une ville, et surtout d’être européen ou citoyen du monde. Les questions ont aussi portés sur l’« altérisation », au niveau de la reconnaissance par les autres. Les musulmans sont à 54% immigrés, 39% descendants, 5% de la population majoritaire, et 30% se définissent par la religion. La religiosité est plus importante pour les musulmans et juifs. Il évoque le chômage maximum pour les femmes avec voile.
En conclusion, le chercheur constate la « singularité française d’une frontière invisible », qui touche « l’emploi, le logement, le pouvoir », dans « une ouverture en apparence, et, un blocage en pratique ».
Le débat, avant un peu de musique, est très court. L’élu local Abderrahim Hafidi prend en premier la parole, constate qu’il y a eu 3500 rapports depuis 30 ans, pose la question du rôle de l’Etat, dénonce « la tromperie sur l’intégration », puis évoque un « conflit de mémoire, un passé qui ne passe pas ». Quelqu’un demande ensuite le droit de vote des « immigrés ».  
Patrick Simon termine en signalant qu’il ne produit pas de préconisation pour les politiques. Il regrette  que beaucoup d’entre eux se basent sur des « suppositions sur l’opinion publique » fausses. Il rappelle la distinction entre immigrés et étrangers. Il remarque enfin que s’il y a spécificité française au niveau de la laïcité, il y a dans le reste de l’Europe des partis politiques équivalent du Front national qui tournent aussi autour de 20%.
La conférence et le débat ont été assez consensuels, comme souvent à Aubervilliers, ville à culture locale consensuelle, comme chacun sait, au contraire de Saint-Denis ou de Montreuil. Je remarque à la fin dans les transparents des éléments de langage qui n’ont pas été employés et qui auraient pu faire débat, en particulier « division ethno-raciales » et « racialisation », un peu plus dans le style de Saint-Denis branché sur les universités américaines.
Il y a eu beaucoup de données mais il pourrait y en avoir beaucoup plus encore. Les questions des enquêtes comportent déjà un point de vue, et, par exemple, ne laissent-elles pas croire que la culture multipolaire et diversifiée mais aussi assez ‘pauvre’ d’une ville globalement discriminée n’est pas porteuse d’une identité valorisée par des individus ? Certes, l’époque est à l’inquiétude dépressive française et tous les événements ne se terminent pas une danse avec le public, comme le 12 novembre, lors de la journée «Port Refuge», très bien organisée par les services de la ville. Pour finir, la musique classique était ce soir un peu tristounette.
Article écrit et publié le 18 décembre 2016

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