dimanche 8 janvier 2017

7 janvier 2017, Nancy, Gabon : en attendant le parlement européen…

La conférence s’intitule "De Nairobi à Strasbourg : quelles perspectives et quels acteurs (nationaux et internationaux) pour la paix et la démocratie au Gabon?". Elle a lieu à Vandœuvre-lès-Nancy, ville universitaire de 35000 habitants accolée à Nancy, entre Paris et Strasbourg, pas très loin du Parlement européen. Dans quelques jours, au Parlement européen, aura lieu, enfin !, le débat et le vote d’une résolution sur le coup d’Etat électoral dont a été témoin la Mission d’Observation européenne (MOE-Ue) dirigée et contrôlée par des parlementaires.
Les intervenant-e-s sont, de gauche à droite, Scheena Donia, du bureau du Conseil des Gabonais de la Résistance (CGR), El Ali Ibrahim, activiste à Paris, Laurence Ndong, auteure du livre « Gabon, pourquoi j’accuse », Séraphin Moundounga ex ministre de la Justice gabonais, qui a démissionné du gouvernement le 5 septembre 2016, et moi, journaliste-chercheur auteur d’un bilan 2016 des élections en Afrique.
La conférence a été organisée par Laurence Ndong. Le conteur Chyc Polhit l’anime. Deux musicien-ne-s introduisent l’après-midi par un court spectacle. La mairie de Vandœuvre-lès-Nancy accueille chaleureusement l’événement, et, est représentée par le maire-adjoint, Jean-Paul Bernard.
Je commence par le bilan de l’année 2016, pic électoral avec 14 présidentielles, dont 7 en dictatures, et 10 législatives, contextualisé dans l’historique de la démocratisation du continent africain depuis 1990. Le coup d’Etat électoral gabonais a eu lieu après les coups d’Etats électoraux du premier semestre au Congo Brazzaville, au Tchad et à Djibouti.
En 2017, trois dictatures changent d’état et passent en statut ‘instable’ : la RDC arrive dans une vraie transition vers la démocratie, la Gambie va vers une chute possible de son dictateur ubuesque, la Gabon reste en crise électorale de haute intensité. Le Tchad, en banqueroute, avance d’une autre manière, vers l’inconnu. L’année 2017, sera donc une année de gestion des crises électorales, alors que 2016 avait d’abord montré l’indifférence et l’hypocrisie de la communauté internationale et africaine face aux coups de forces des dictateurs.
L’enjeu augmente en Afrique centrale, dans laquelle, l’absence de dates pour les législatives au Congo Brazzaville, au Tchad, et au Gabon, est la preuve d’une crise électorale régionale dont la logique dépasse celle de chaque crise nationale. Cette crise régionale met la communauté internationale et africaine devant ses responsabilités : prévenir vaudrait mieux que d’agir a posteriori. Le levier d’action est connu : exiger la qualité technique des processus électoraux par un une pression politique ferme.
Puisque l’Union africaine en reste toujours à soutenir les dictateurs, il est recommandé de ne pas appliquer les principes de complémentarité et de subsidiarité entre Onu, Ue et Ua, au profit des dictateurs. Le coup d’Etat électoral au Gabon met l’accent sur la relation Ue-Ua à réformer à plus long terme. La Mission d’observation européenne au Gabon a mis en évidence que les missions d’observations européennes étaient instrumentalisées par les dictatures, alors que les missions de l’Ua ne servent pour l’instant à rien si ce n’est à soutenir les régimes. La politique européenne de soutien à la démocratie est en jeu, y compris au niveau de l’Accord de Cotonou.
Le revirement de la communauté internationale et africaine au Gabon, face à Ali Bongo et à Idriss Déby venu le soutenir, s’est en grande partie fait, quand, pendant l’Assemblée générale de l’Onu, les acteurs influents au Gabon ont mis la priorité sur la RDC en enlevant la pression sur la Cour constitutionnelle gabonaise. Aujourd’hui, l’influence démocratique en RDC a tendance à jouer négativement au Gabon, il serait sans doute possible d’agir à ce niveau.
Scheena Donia présente le Conseil des Gabonais de la Résistance (CGR) qui les derniers mois a mené la lutte sur Paris, en coordonnant les activités de la diaspora. Elle insiste sur la non-violence et sur la multiplicité des actions possibles. En ce moment, celle-ci se mobilise autour de la résolution du parlement européen et de la Coupe d’Afrique des nations (Can) qui va commencer au Gabon. Une manifestation aura lieu à Strasbourg le mercredi 18 janvier, la veille du débat au parlement le jeudi 19. Le CGR invite les diasporas des autres pays à se joindre à cette manifestation. Au Gabon, la lutte va s’intensifier pendant la période des matchs de foots.
El Ali Ibrahim parle lui aussi des méthodes d’actions. Il évoque à la fois Gene Sharp, Gandhi et Mao Tsé Dong trouvant des actions stratégiques alternatives. Au Gabon, cela revient par exemple à dialoguer avec les militaires, comme Sams’K le Jah, du Balai citoyen au Burkina parlait constamment aux policiers, qui, ensuite, n’ont pas tiré sur les manifestants pendant la révolution. Il souligne la culture légaliste de Jean Ping, issu du milieu diplomatique, et pense qu’Ali Bongo craint la CPI en cas de violence face à une manifestation dans la rue. Il signale que pour la CAN, Ali Bongo voudrait remplir les stades d’enfants emmené-e-s des écoles. Il craint que pour se bouger, « chacun attende quelque chose de l’autre ».
Laurence Ndong explique ce qui s’est passé à Nairobi, quand les parlementaires européens ont voulu mettre dans une résolution sur le Gabon l’exigence d’un recomptage. Il y avait peu d’espoir que cela passe. Elle présente ensuite la ‘gouvernance au Gabon’ : « la kleptocratie, le clientélisme, le népotisme, la déperdition des valeurs, la paupérisation de la population, l’éducation négligée, avec 18,5% de bacheliers en 2015 et 14,7% en 2016 ». Elle cite le chanteur camerounais Valséro parlant de « régime de conservation du pouvoir, d’immobilisme, de zombification, d’endoctrinement » quand le régime veut faire croire à la « population qu’elle ne peut rien faire ». Elle remarque que les églises contribuent aussi à rendre des gens passifs.
Séraphin Moundounga revient sur le thème de la conférence « quelles perspectives et quels acteurs (nationaux et internationaux) », en soulignant, comme il l’avait fait le 16 décembre à Paris, que « l’action internationale se déroule en appui des actions des gabonais », et « en fonction des évolutions ». Il rappelle avoir été victime de plusieurs tentatives d'assassinat début septembre, qui l’ont poussé à l’exil. Il explique son parcours, en évoquant les prisons et les crimes rituels. Il signale que des réformes, dont « la prescription après la majorité pour les viols », ont été bloquées. Surtout, il indique que « le code pénal protège les militaires des crimes », au travers d’une procédure inapplicable basée sur les 2 uniques « magistrats du 7e groupe », « sans différence entre siège et parquet ». Cette procédure permettaient que les crimes de la présidentielle de 2016 soient possibles.
Il précise les faits à ‘Nairobi’. Il y avait 77 parlementaires européens et 77 des ACP. Les européens posaient deux questions : celle du recomptage et celle d’une mission d’enquête internationale. La réponse au deux propositions a été négative. Les députés gabonais ont fait le maximum pour l’empêcher. Les parlementaires européens pourraient maintenant rédiger une résolution demandant des sanctions, sans doute ciblées comme en RDC, à l’exécutif européen et au Conseil européen. Cela suivrait logiquement les rapports des missions d’observation, celui très dur de l’Ue, publié le 12 décembre (rapport pdf 66p), et même celui de l’Ua, pour lequel il n’y a pas eu de communication officielle. Il rappelle également la Responsabilité de protéger de l’Onu.
Il conclut sur le « droit de désobéir », par exemple si « les enfants sont envoyés à la CAN », puis par une citation d’Etienne de la Boëtie issue du ‘Discours de la servitude volontaire’ de 1574 : « … tous ces peuples qui se laissent promptement allécher à la servitude, pour la moindre douceur qu'on leur fait goûter. C'est chose merveilleuse qu'ils se laissent aller si promptement, pour peu qu'on les chatouille. Le théâtre, les jeux, les farces, les spectacles, les gladiateurs, les bêtes curieuses, les médailles, les tableaux et autres drogues de cette espèce étaient pour les peuples anciens les appâts de la servitude, le prix de leur liberté ravie, les outils de la tyrannie. Ce moyen, cette pratique, ces allèchements étaient ceux qu'employaient les anciens tyrans pour endormir leurs sujets sous le joug. » Je traduis : Ali Bongo pense y arriver à l’ancienne, avec un vieux logiciel périmé.
Le débat est réduit au minimum faute de temps. Un activiste revient sur les modes d’actions, sur un mélange possible des méthodes. Un autre présente les « marches numériques » qui ont déjà du succès. Séraphin Moundounga a le mot de la fin. Il invite à « solliciter le soutien européen » en argumentant sur la « paix assise sur la démocratie » en Afrique.
Régis Marzin
Article compte-rendu écrit et publié le 8.1.17

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