Un premier débat sur le dernier livre de Didier Daeninckx a
enfin eu lieu à Aubervilliers, ce jeudi à la Libraire les Mots passants. L’habitant
le plus connu de la ville est venu parler d’« Artana ! Artana ! » sortie le 17
mai devant une trentaine de lecteur-trices et citoyen-ne-s.
Deux jours avant, le journal Le Parisien écrivait : « Si la
démonstration n’était pas assez explicite, à la fin du « roman », il écrit : «
En 2014, dans les villes comme Aubervilliers, Saint-Denis, Noisy-le-Sec,
Bobigny, des têtes de liste aux municipales ont passé une alliance avec les
bandits du secteur pour se faire élire ou se maintenir en place ». Un saut à pieds
joints dans la flaque ?
Il y a le roman et il y a la réalité, et, pour une fois la
réalité que cache le roman intéresse tout autant que le roman. Il y a la Courvilliers
et il y a Aubervilliers. Il y a des personnalités qui se reconnaissent ou se
devinent dans des personnages.
A la Libraire les Mots passants, Didier Daeninckx commence
par indiquer que « Courvilliers est emblématique d’une dizaine de villes
de Seine-Saint-Denis », une ville imaginaire qu’il a déjà utilisée depuis
1986 pour parler de « territoires gorgés d’histoires, de conflits, de meurtres »
dans une dizaine de nouvelles. Il évoque très vite deux meurtres d’algérien-ne-s
en 1944 et 1961.
Le livre a été pour l’écrivain « douloureux ». C’est
un livre de « colère » face à l’« affaissement » dont il
voulait parler, d’autant plus qu’il « porte en lui une histoire »
positive de personnalités très engagées d’Aubervilliers, sa mère, ancienne
résistante à la dictature franquiste ou Henri Martin, résistant anticolonialiste dans
les années 50, et plus récemment d’autres « gens qui renversent des
montagnes ».
Ses informations de départ, il les a trouvées dans la presse,
dans les « sources ouvertes ». C’est par exemple les trafics de
drogues découverts dans les garages municipaux à Bagnolet en 2013 puis à Saint-Denis en 2016. A Aubervilliers, en
2014, il y a eu l’histoire incroyable du directeur du service Entretien ménager des bâtiments
communaux de la Ville, admirateur de l’Etat islamique, promu après
des services rendus dans la campagne électorale. Sur Saint-Denis, il fait
ensuite allusion à l’élu Madjid Messaoudène, proche du Parti des Indigènes
de la République (PIR) et de Tariq Ramadan, et à la démission du
maire Didier Paillard en 2016. Il termine sur Noisy-le-Sec et un règlement de compte visant un élu en 2016.
Dans le débat, il se souvient encore d’un bandit intervenu au moment des
élections à Bobigny en 2014.
En commentaire sur cette réalité locale elle-même, Didier
Daenincks regrette que la « vertu démocratique » laisse place « au
clientélisme, au communautarisme et aux bandits », dans un « affaissement
des élites politiques ». Il enrage devant le « mépris » qui
cause le départ des artistes et les « lieux bouclés », le Grand Bouillon et l’Entremonde dernièrement.
Selon lui, les partis n’existent plus et les trafiquants sont « nombreux et
organisés » ce qui le pousse à tirer la sonnette d’alarme pour les
élections municipales de 2020.
Il observe l’abstention qui augmente après les manœuvres
des élu-e-s, d’anciens maires qui nomment des « marionnettes », « les
attaques de l’Etat » auquel « les gens ne croient plus », la « distribution
de prébendes », les élections qui peuvent être gagnées avec seulement 4500
voix en s’aidant « du communautarisme et du clientélisme » ou peut-être
même de l’achat de vote, sur lesquels il y a des bruits mais pas de preuves.
Le débat revient sur le roman, dans lequel tous ces
personnages inquiétants sont hors-champs. Didier Daenincks conclut en invoquant
le roman noir américain qui permet de « regarder l’enfer en face »
quand les artistes prennent le risque de « sonner le tocsin ».
Entre fiction et réalité, que faut-il en déduire ? Après
l’alerte du rapport de la Chambre régionales des Comptes - Ile-de-France
de fin 2016, est-ce un nouveau coup de gong qui vient briser le consensus historique
albertivillarien ? Pour quel effet ? Qui entendra cette alerte ?
Comment sera-t-elle comprise ? Sera-t-elle amortie et rapidement oubliée
faute de débat public ? Faute d’informations plus précises ? Quelles
sont les solutions et les alternatives au laisser-couler ? Un roman dont
on attend la suite…
Régis MarzinArticle écrit et publié le 8 juin 2018
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