mardi 12 juin 2018

11 juin 2018, Aubervilliers/St-Denis : le Campus Condorcet questionne le capitalisme

« La fin du capitalisme ? » : le Campus Condorcet n’est pas encore ouvert, que déjà il se montre iconoclaste ? Mais non ! Car nous sommes à Aubervilliers (et Saint-Denis) et que la question iconoclaste serait plutôt ici « la fin du communisme ? ». Peu importe, car le communisme local ayant été depuis longtemps remplacé par la gestion dans la culture du consensus, cette magie du consensus autorise à des acrobaties intellectuelles, dont la symétrie n’est qu’une des avanies. Attention ! En 2019, les chercheur-se-s et étudiant-e-s arrivent en banlieue dans des bâtiments flambant neufs, et ça va bouger ! Alors, pour limiter le choc culturel, les chercheur-se-s devront-ils/elles apprendre à suivre les codes locaux du consensus ?
La conférence est l’occasion de présenter l’avancée du projet du campus universitaire. Jean-Marc Bonnisseau, son président, en rappelle les grandes lignes, une première phase d’ouvertures à l’automne 2019 et début 2020, en particulier, l’EHESS, puis une seconde phase. Le site regroupera des historien-ne-s, sociologues, anthropologues, démographes, des spécialistes des différents continents qui seront ainsi regroupé-e-s, des spécialistes des religions, du genre, des arts, de la santé et de l’économie, etc…
A la Maison des Sciences de l’Homme, Thomas Piketty, Directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS), auteur du livre « Le Capital au XXIe siècle », clôture le cycle des conférences au Campus Condorcet 2017-2018 dont le thème était « Un monde fini ? Environnement, croissance et croyances. » Jean-Claude Schmitt, Président du conseil scientifique du Campus, le présente comme un chercheur qui « rapproche l’économie et l’histoire » dans un « engagement politique ».
Thomas Piketty démarre en précisant le thème : les différentes crises du capitalisme le conduisent-il à sa fin ? et est-ce souhaitable ? En résumé, oui ce serait souhaitable, et non, les crises en vue n’y aboutiront pas en raison de sa « plasticité ». Il insiste, en le répétant deux fois, que c’est « une erreur, de croire à un spontanéisme révolutionnaire ». Selon lui, l’échec du communisme a fourni « ses plus grands alliés du capitalisme », réfractaires aux « croyances universalistes », en Russie et en Chine, les pouvoirs post-communistes, étant, « des freins à la lutte contre les Paradis fiscaux et judiciaires ». Il conclut cette introduction par le fait que « l’échec du communisme pèse très lourd au XXIe siècle », ce qui n’est pas sans rappeler des conséquences politiques de la guerre froide.
L’exposé est ensuite en 3 parties, 3 domaines de propositions : repenser la propriété publique, repenser le partage du pouvoir dans les entreprises, développer la propriété privée temporaire. Revenant sur le communisme, il remarque que l’abolition de la propriété privée avait été pensé comme « hégémonique » sans réflexion préalable sur « le partage du pouvoir ou les élections », dans un marxisme qui se voulait scientifique mais n’avait « rien de préparé sur comment organiser l’Etat ». Ensuite, « les bolcheviques sont allés vers la personnalisation du pouvoir et l’utilisation de boucs émissaires ». Actuellement, après « un effondrement du patrimoine public » depuis les années 70, ce patrimoine est « négatif aux USA, au Royaume Uni, et en Italie », où, « la dette publique dépasse le patrimoine de l’Etat ». En France et en Allemagne, il reste encore positif mais proche de zéro. Les intérêts de la dette sont comme « un loyer au privé ».
Pensant que l’Europe aurait besoin d’une concertation sur ce sujet, et sur la fiscalité européenne, il propose de réorganiser la démocratie européenne au travers d’une « Assemblée des députés nationaux de la zone Euro ».
En vue de repenser le partage du pouvoir dans les entreprises, il s’appuie sur les exemples de l’Allemagne et la Suède où depuis 1950, des postes dans les Conseils d’administration sont attribués aux salariés, la moitié en Allemagne (pour les entreprises de plus de 2000 salariés). Selon lui, la gauche française focalisée historiquement « sur la nationalisation des moyens de production » a « méprisé » cette voie « social-démocrate ». Il propose des « assemblées mixte avant élections des Conseils » pour préparer des élections sur des projets et d’inventer des nouvelles formes de propriétés.
L’universitaire termine sur la propriété temporaire en envisageant des solutions autour de la transmission du patrimoine, au-delà de l’impôt progressif sur les successions, et sur le besoin d’une réforme de la Taxe foncière datant de la révolution française et « profondément injuste ». Pendant le débat qui commence, répondant à Meriem Derkaoui, Maire d’Aubervilliers, dénonçant la politique du gouvernement sur les aides sociales, le chercheur regrette que « la suppression de la taxe d’habitation mette la pression sur les collectivités » et rappelle les « 5 Milliards de cadeaux fiscaux sur l’impôt sur la fortune ».
Une question est posée sur les métaux, l’énergie. Il redit alors que les crises sur les matières premières et le climat ne mèneront pas à la fin du capitalisme, ce qui rappelle le discours tenu sur l’anthropocène à la précédente conférence. Il résume très vite quelques points, les inégalités qui provoquent de la xénophobie, la dette, et revient sur « le capital naturel atteint ». En l’absence de prévision et scénarios assez précis-es sur les ressources naturelles à long terme, ne sous-évalue-t-il pas l’importance du questionnement à ce sujet ?
Le débat se termine sur son regret d’une absence de propositions claires de la part des partis politiques, France insoumise entre autres, sur le fonctionnement de l’Union européenne.
Régis Marzin
Article écrit et publié le 12 juin 2018

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