L’actualité africaine ne s’arrête jamais, et, durant les
périodes de chaleur estivale et de congés des salarié-e-s, l’Afrique se croise
aussi au bord des plages, dans le port breton de Douarnenez en particulier. Les
2 Congos sont au programme de la 41ème édition du festival
de cinéma de Douarnenez. 47 films, courts ou longs, surtout des
documentaires et quelques fictions, sont proposés aux spectateur-rice-s,
finistérien-ne-s, touristes, militant-e-s venu-e-s de Paris ou de Nantes. Tous
les jours, le matin à 10h et en fin d’après-midi à 18h, des
débats réunissent également des intervenant-e-s sur ces deux pays,
dont plusieurs sont arrivé-e-s de Brazzaville, Kinshasa ou Goma.
Le mardi à 18h, sur la scène du chapiteau de la place
centrale du festival, sont rassemblé-e-s – de gauche à droite –, pour un débat
sur la RDC, Colette Braeckman,
journaliste belge spécialiste des Grands lacs, Bienvenu Matumo de la Lucha
à Paris, Marc Antoine Vumilia, auteur,
comédien et metteur en scène, Rebecca Kavugho, militante de la Lucha, et un
modérateur, Chris Elongo, rédacteur en chef du site cas-info.ca. Le titre de l’échange
reprend celui d’un livre de Colette Braeckman « Les
nouveaux prédateurs ».
La journaliste du Soir introduit le débat par une
présentation historique qui repart du génocide des Tutsis du Rwanda de 1994. Elle
précise qu’à la fin du génocide, pendant l’opération Turquoise, les
français ont « organisé le transfert » de forces armées génocidaires
du Rwanda vers le Kivu, dans l’idée d’une « revanche militaire ».
Selon elle, pendant la première guerre de 1996-1997,
les rwandais voulaient « sécuriser leur frontière », les congolais
voulaient « chasser Mobutu », et, l’objectif a été aussi
d’« ouvrir le pays aux multinationales » au-delà des belges et
européens, pour l’exploitation des « nouveaux minerais ». La seconde
guerre de 1998-2001 a conduit à « chasser un pouvoir pas assez favorable
aux multinationales ». Puis, les USA ont voulu « traiter avec des
gouvernements locaux » des provinces dans une « balkanisation ».
Les nouveaux ‘prédateurs’ africains sont arrivés : 6 armées des pays
voisins étaient, un moment, présentes sur le territoire d’où sortaient le
Coltan ou la Cassitérite. Sont arrivés aussi les chinois et des acteurs d’autres
pays non européens.
Chris Elongo souligne la fortune estimée à 15
milliards de dollars de Joseph Kabila. Marc Antoine Vumilia voit, lui, des
« nouveaux futurs prédateurs », soulignant que sous Mobutu les
entreprises ont été mal gérées. Il insiste sur les morts dues à Jean-Pierre Bemba,
candidat actuel à la présidentielle après sa libération par la Cour pénale
internationale, dont le père a été l’un des hommes les plus
riches sous Mobutu. Il estime aussi que certains leaders
« utilisent le langage de la démocratie » hypocritement ou veulent « faire
des congolais un peuple ouvrier soumis au FMI et aux multinationales ».
Bienvenu Matumo évoque le Rapport
mapping de l’Onu sur les crimes entre 1993 et 2003 et ses
recommandations bloquées, puis un ‘tribunal pour le Congo’, parce que « la
justice est nécessaire ». Rebecca Kavugho explique les actions
de la Lucha et son principe de non-violence, un premier exemple au Congo Kinshasa.
Elle a, elle-même, été 7 fois en prison, condamné une fois à 2 ans de prison et
libérée contre sa volonté par Kabila.
Le débat avec le public démarre sur la liberté de la
presse en Europe. Colette Braeckman reconnaît que « la liberté
d’expression ne se renforce que si l’on s’en sert » et parle de sa « ténacité ».
Une deuxième question porte sur la « démocratie
conçue ici ». Chris Elongo rappelle que « la démocratie n’est pas
spécialement occidentale ». Bienvenu Matumo voudrait
« inventer la démocratie » et pense que « son rôle est de se
débarrasser des dictateurs installés par le néocolonialisme », puis de
« surveiller » en « allant vers le développement » par la
« jouissance des ressources naturelles ». Il souhaite aussi exprimer un
« positionnement sur les enjeux futurs mondiaux ». L'artiste Marc Antoine
Vumilia doute du « système représentatif » à la vue des
« oligarchies en Europe », souligne que « les
élections n’égalent pas la démocratie » puis évoque quelques
« formes anciennes de démocratie précoloniales ».
Les échanges se poursuivent sur l’éducation et la
place des femmes. Bienvenu Matumo y voit un enjeu post-électoral. Rebecca Kavugho
invite « les femmes à prendre conscience et à se révolter ». Elle ne
se mobilise pas parce qu’elle est femme mais parce qu’elle est humaine. Marc
Antoine Vumilia dénonce des féministes opportunistes prêtes à entrer au
gouvernement de Kabila.
Le récent forum des mouvements
citoyens à Dakar, l’Université de
l'engagement citoyen, est également cité.
Sur les « prédateurs », Colette Braeckman
précise que pendant la première guerre de 1996-1997, il s’agissait d’un
« hold-up pur et simple », qu’ensuite, les rwandais, zambiens,
ougandais possédaient des « sociétés de creuseurs » qui exportaient, dans
une « chaîne » d’acteurs tous « irresponsables », vers les
USA, l’Europe, et surtout la Chine, devenue le lieu principal de fabrication du
matériel électronique.
Alors que la présidentielle et les législatives sont prévues
le 23 décembre, le Congo Kinshasa est depuis 3 ans au centre de l’actualité politique africaine.
Après que le pays ait fortement attiré les attentions sur la
question du respect des constitutions, depuis deux ans, le suivi de l’organisation
du processus électoral a, lui aussi, fait couler beaucoup d’encre :
ce processus électoral est le plus complexe qu’ait jamais connu l’Afrique.
Le thème de l’élection n’étant pas prévu dans le débat,
le point de la nature dictatoriale du régime congolais imprègne la discussion.
Paradoxalement, est décrit un système dont les intervenant-e-s congolais-es
présent-e-s souhaitent la fin rapide mais pour lequel ils et elles n’abordent
pas l’hypothèse d’une chute proche au travers du processus électoral allant
vers sa fin. Le journal le Télégramme, le journal plus
lu que le Monde, publie par ailleurs des interviews qui abordent le sujet, dont
celles de Chris
Elongo et Rebecca
Kavugho.
Justement, ce 21 août, la Lucha a organisé un point presse sur le processus électoral à la suite de la renonciation, de Joseph Kabila, en annonçant une marche contre la machine à voter le 3 septembre.
Justement, ce 21 août, la Lucha a organisé un point presse sur le processus électoral à la suite de la renonciation, de Joseph Kabila, en annonçant une marche contre la machine à voter le 3 septembre.
Sur ce point des élections en RDC, une fois le débat public terminé, les discussions
continuent ensuite plus librement. Sur la
place, la convivialité du festival breton reprend le dessus entre bières
locales, moules-frites, et appel au micro et en langue des signes à la mobilisation en faveur de
jeunes sans-papiers à Quimper.
Régis Marzin
Douarnenez 21 août 2018, article écrit et publié à Paris le 25 août 2018
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