vendredi 2 octobre 2015

2 octobre 2015, Paris, Un homme est mort à Brest en 1950

Un homme est mort à Brest en 1950 et on en parle encore. Un homme est mort le 4 janvier 2015 et le film qui était projeté à Paris, ce 2 octobre, devant une cinquantaine de personne, était un hommage en sa mémoire. 
Le 17 avril 1950, les gendarmes tiraient sur les ouvriers de l'arsenal et du bâtiment qui reconstruisaient Brest après la guerre. Le militant CGT, Edouard Mazé, était tué et un autre ouvrier, Pierre Cauzien, se retrouvait amputé d'une jambe.
René Vautier, arrivé rapidement sur place, en a fait un film en 16mn. Il a été projeté dans les semaines suivantes à Brest et autour de Brest pour témoigner du crime. Le cinéaste voulait faire du documentaire d'intervention sociale, qui agissait dans la réalité, interférait, mobilisait. Le film s'est autodétruit après un trop grand nombre de projections. Il avait bien vécu.
La justice a enterré l'affaire, l'administration a couvert le commissaire. L'Etat a bidonné avec des histoires inventées. Aucun avocat sérieux ne s'est lancé pour aider les ouvriers.
Je me dis aussi  que Brest était isolé dans une campagne conservatrice, que, comme me le disait mon père, la campagne n'aimait pas beaucoup les brestois et encore moins les communistes. Je me dis surtout que la guerre d'Algérie, quelques années plus tard, effacerait de la mémoire collective ce drame moins prégnant que ce que verrait les appelés: bientôt arriverait des traumatismes bien plus violents, une censure et une autocensure bien plus terrifiante.
En 2006, Kris, scénariste, et Etienne Davodeau, dessinateur, ont fait de cette histoire de crime d'Etat et de film, une bande dessinée. Gallimard, éditeur peu courageux, a réussi à censurer une planche: il ne fallait pas d'images des gendarmes qui tirent sur les ouvriers. L'homme le plus censuré de France avait encore le droit a un peu de piment.
En 2010, après 60 ans, les archives du dossier sont devenus accessibles, sauf le dossier du juge interdit pour 75 ans. La vérité était accessible et discutable publiquement sans censure : le commissaire aurait fait tirer en l'air dans un moment de panique, version des comptes-rendus administratifs.
"Histoires d'images, Image d'histoire" projeté au Ciné-Léon, à la MJC Mercoeur près du métro Charonne, est un documentaire de Moïra Chappedelaine-Vautier sur l'histoire du film de de son père, terminé quelques semaines avant sa mort. Le film nous parle de Brest, des ouvriers, des syndicats, du cinéma documentaire, et de René Vautier.
Dans ma jeunesse, en Bretagne, je voyais peu de contestation radicale, au-delà de la forte solidarité collective. René Vautier, parce qu'il s'était engagé toute sa vie dans des luttes sociales et politiques, sans réserves, ressortait de manière contrastée. Il était très impressionnant et donnait envie d'agir. Un jour, au début des années 2000, je l'avais croisé par hasard à la Fête de l'Humanité. En ce début d'année 2015, son décès était une triste nouvelle.
Aujourd'hui, je viens d'apprendre qu'un autre homme est mort, à Ougadougou, au Burkina Faso, Issaka Traoré, un ami engagé dans le mouvement sankariste et dans sa révolution, qui continue, maintenant sans lui... La vie continue...
Régis Marzin, article Rédigé le 4 octobre

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