jeudi 29 mai 2014

25 mai 2014, Paris, colloque sur le génocide des Tutsi du Rwanda

Le mois d’avril 2014 a montré une « bascule »du côté de la vérité contre le négationnisme surtout grâce à l’expression et au travail des journalistes qui se sont majoritairement placé-e-s du côté d’une dénonciation des acteurs français. Le Mémorial de la Shoah participe activement à la 20e commémoration du génocide des Tutsi du Rwanda.L’enjeu se porte plus que jamais sur la vérité et la justice sur la participation française dans le génocide, aussi, la collaboration avec l’association des rescapés Ibuka France permet d’aborder très largement l’implication française. Après un colloque en mai 2013, le colloque du 25 mai 2014 "1994 : Le génocide des Tutsi au Rwanda. Les grands témoinsrassemble une grande partie des meilleurs spécialistes du dossier.
Panel 1: de gauche à droite: Richard Mugenzi, Jean-François Dupaquier, Florent Geel, et sur la photo, Bernard Kouchner et Patrick de Saint-Exupéry.
Quand j’arrive à 11h10, Bernard Kouchner vient de prendre la parole : j’ai manqué les interventions de Patrick de Saint-Exupéry et de Richard Mugenzy. René Degni-Segui, ex rapporteur de l’ONU, indiqué ‘sous-réserves’ au programme n’est pas à la tribune. A cette tribune, auprès de Patrick de Saint-Exupéry et Bernard Kouchner, se trouvent aussi Jean-François Dupaquier et, l’animateur, Florent Geel de la FIDH.
L’ancien président de Médecins Sans Frontières et ministre raconte son expérience sur le terrain, sa volonté d’une intervention humanitaire. Il explique ses discussions avec Roméo Dallaire, dont les 400 hommes au service de l’ONU auraient pu arrêter une grande partie des massacres. Bernard Kouchner aurait voulu que les massacres soient empêchés aux barrages : « il fallait tirer ». Il relate ses divergences avec Kagamé sur le sauvetage de l’hôtel des 1000 collines, sur les priorités dans les groupes à sauver. Il explique avoir voulu impliquer Mandela, fraichement libéré et arrivé au pouvoir, d’où son voyage avec Mitterrand en Afrique du sud (juillet), un échec. Avant Turquoise, il a vu à Juppé et l’a poussé à intervenir, il a vu deux fois Mitterrand, lui demandant aussi d’intervenir. « On ne nous croyait pas, il y avait une propagande avec une inversion des rôles », précise-t-il. Mitterrand lui a dit : « vous exagérez ». Selon lui, « Balladur et Léotard ne voulaient pas d’une intervention ». Il dit être allé parler sur la Radio 1000 collines, la voix des génocidaires, « parler au milieu des assassins ». Il explique qu’avec l’ambassadeur Gérard Larome, il a essayé de convaincre Kagamé d’accepter Turquoise. Il n’avait pas prévu que Turquoise aiderait la fuite des génocidaires : « J’en ai reparlé à François Mitterrand » souligne-t-il, d’un air désabusé. Un moment, il dit aussi : « j’ai marché dans la bouilli », évoquant les cadavres sur le sol.
Bernard Kouchner parle de la suite, des 20 ans, depuis. Il y avait un « bloc incessible », avec la procédure du juge Bruguière, une « cécité sinon complicité ». Ensuite, ministre, il a « créé le pôle du TGI ». « Le quai d’Orsay était prudent, avec Bruguière, il y avait déjà les mandats ». Par Rose Kabuye, il y a eu l’accès au dossier, et on comprend pour le MAE aussi : « nous n’avions pas accès au dossier ». Le MAE « négociait », puis il y a eu la rencontre Sarkozy – Kagamé. Pour lui, « la justice change plus ou moins, et le pôle génocide était la seule manière d’avancer ». Il évoque la séparation judiciaire, exécutif, législatif qui empêche de parler : « on se tait ». Alors, un journaliste dans la salle, Alain Frilet, l’interrompt, et lui dit que certains parlaient mais qu’il n’y avait pas d’ « écoute ». Alors, l’homme politique se met en colère : « J’ai pas parlé… c’est pas assez tôt ! », et il se calme aussitôt, dit qu’il ne faut « pas confondre » (les périodes ?). Puis, il revient sur les 20 ans, sur l’accusation de Kagamé de « participation » pendant l’ « organisation ». Il indique « on l’a démontré, la participation dans l’organisation ». Il reste nerveux, parle vite, ma prise de note peut comporter un décalage avec les mots exacts. Ensuite, il indique «  Taubira devait y aller ». Parlant des « erreurs politiques de François Mitterrand », selon lui, « il ne se rendait pas compte » de la situation réelle, telle que l’on l’a comprend maintenant. « L’honneur de l’armée n’est pas attaqué » car il y avait « des ordres ». Mitterrand était focalisé sur « Fachoda », « l’erreur est politique et pas militaire ». « Les belges ont fait un débat au parlement » alors que rien n’a été fait en France. Il y a des « documents ». Il insiste sur un point : « Il faut que l’on révèle qui a donné les ordres à Bisesero ». Il rappelle qu’il « a proposé un Tribunal Russel », précise qu’il y a des « ordres auxquels des militaires ont participé aussi ».
Quelques personnes du public, se sont permis de l’interrompre, avec un ton ou des sous-entendus accusateurs. Par exemple, quelqu’un lui parle des « protections » au niveau des ministères, et il réplique « le MAE n’a pas fait grand-chose, mais il s’est protégé aussi ». Il a répondu chaque fois, et il conclut par « je suis prêt à me faire engueuler une autre fois ». Est-ce que le niveau de colère instantané ne correspond pas au niveau de son « curseur » dans les révélations ? Un peu de colère signifie qu’il ne dira que ce qu’il pense être bon de dire. Par rapport au colloque il y a un an, il y a un chemin de parcouru. Au colloque du 26 janvier 2014, déjà, il avait commencé à être plus précis. Il reste dans la salle, cette fois.
Panel 2: de gauche à droite :Alain Verhaagen, Alain Frilet, Wolfgang Blam, Boubacar Boris Diop.
Les « grands témoins » suivants s’installent ensuite autour de l’animateur : Alain Frilet, ancien grand reporter, de Libération : Wolfgang Blam, médecin de coopération allemande, Alain Verhaagen, ancien de MSF Belgique au Rwanda en 1994, et l’écrivain sénégalais Boubacar Boris Diop.
Je viens quelques jours avant de voir un documentaire dans lequel Wolfgang Blam témoignait sur un génocidaire en France. L’homme n’a pas beaucoup témoigné, encore, il parle avec un peu d’émotions des 6 semaines de génocide qu’il a vécu. Il présente d’abord le contexte, évoque les années précédentes : « il y avait des attentats et massacres tous les ans. Au niveau de la communauté internationale, avec les accords d’Arusha, on nous faisait entrer dans un piège. »
Il raconte le début du génocide. Sur le coup d’état, il explique que les membres de l’opposition était visé, par exemple, un de ses collègues médecin, qu’il a été obligé de cacher. Ce n’est qu’après une semaine qu’il a comprit que les Tutsis était visés et que ce n’était pas seulement un coup d’Etat. A Kibuyé, les Tutsi ont été rassemblés dans un stade, il fallait leur fournir de l’eau et des toilettes. Il a commencé à reconnaître une manière de faire un bouc émissaire comme les nazis. Après une semaine, le vendredi, il y a eu un premier massacre dans une école, il est allé avec une ambulance : les morts étaient tués par machette, massue, grenade ou fusils. Il a compris que d’être médecin pouvait être compris comme être « complice », donc « dangereux ». Puis le samedi, il y a eu un massacre à l’église, et le mardi après-midi et le mercredi matin, le grand massacre du stade. L’aide humanitaire ne suffisait plus, il fallait « analyser pourquoi la situation ». Wolfgang Blam résume ainsi les 3 premières semaines : 1 semaine de regroupement, entassement, 1 semaine de grands massacres, puis 1 semaine de petits massacres. Pour les petits massacres, il donne les exemples de la famille d’un de ses collègues et de la famille de sa femme. Il est parti quand il n’y avait plus personne qu’il connaissait à protéger. Il dit « J’ai vu des enfants qui tuent des enfants, des femmes qui tuent des femmes ». Il s’interroge sur la mémoire, et l’oubli, le lien aux émotions.
Alain Verhaagen était pour Médecin sans frontière Belgique au Rwanda pendant le génocide. Lui a au contraire énormément témoigné déjà, en particulier dans des procès en Belgique. Il a voulu montré que le génocide était prémédité et pas né d’une colère spontanée. Il raconte le négationnisme en Belgique, surtout des universitaires, mais aussi d’un lobby religieux parce que les politiciens chrétiens belges étaient proche d’Habyarimana. Heureusement, à partir de 1990 le gouvernement belge avait changé de position et des journalistes ont travaillé sérieusement sur le génocide.
Il raconte comment, au moment de Turquoise, des hélicoptères ont tirés sur le campement de MSF Belgique, malgré les drapeaux. Comme je suis assis derrière Bernard Kouchner, je le vois et l’entends réagir négativement à cette histoire.
Alain Verhaagen souhaite montrer des photos des massacres, des corps, il insiste sur les corps tétanisés, morts de peur. Il montre les corps dans une église tués par des grenades à fragmentation lancé par un trou dans le mur. Il dit qu’il a compris qu’ « édulcorer les images », c’était aussi par « intérêt ». Bernard Kouchner quitte vers ce moment son siège et sans doute la salle. Alain Verhaagen décrit l’organisation des Interhamwés, de la garde présidentielle, et des gendarmes. Il évoque un « caractère ‘pilleux’ », un « conditionnement » lié à la religion, le principe d’obéissance à l’autorité. Selon lui, une autre preuve du caractère « non spontané », s’observe dans un choix laissé à des femmes par les Interhamwés, celui d’être violée (un enfant ‘Hutu’ naitrait d’un père ‘Hutu’ et une mère ‘Tutsi’) ou d’être mutilée (ne plus pouvoir avoir d’enfant (‘Tutsi’)).
Boubacar Boris Diop parle de la difficulté en Afrique de s’informer sur le génocide. Lui, a compris pendant un voyage au Rwanda en 1998. Selon lui, « un poids néocolonial pèse toujours sur la presse africaine ». L’arrivée au pouvoir de Mandela attirait toutes les intentions. Réagissant à une question d’Alain Frilet, il lâche « la Françafrique est plus complexe : la gestion des élites est une des composantes, avec des ONG, des écrivains, des journalistes, il y a une gestion de proximité ». .. Il y a aussi «l’auto-racisme, dans la légitimation de ce qui a servi à vous soumettre».
 Panel 3 : de gauche à droite : Jean-Pierre Chrétien, Stéphane Audouin-Rouzeau, Marie-France Cros.
Après une courte pause pour le repas, le colloque reprend sur le racisme. Aussitôt, je doute de la pertinence du terme ‘racisme’ : le mot n’est-il pas employé en ce moment exagérément ? S’il n’est pas question de ‘races’, s’il est question d’ ‘ethnies’ artificiellement créés à partir de classes sociales, figées par des cartes d’identité, pourquoi parler de ‘racisme’ ?
Jean-Pierre Chrétien parle de la « cristallisation d’un racisme », d’un « génocide résultat d’un projet raciste, projet résistible, pas inévitable. » Il préfère, plutôt qu’un exposé, un récit personnel de sa lutte sur le sujet. Entre 1990 et 1993, il a vu venir le génocide, il y a eu des alertes : après le massacre de Bugesora, il y a eu une forte réaction au Rwanda, et une mission d’enquête associative, le passage à la télévision de Jean Carbonare. Il a contacté par courrier Kofi Yamgnane et Jean Auroux, qui n’ont jamais répondu. La MIP de 1998 a parlé d’une « course contre la montre entre la logique de démocratisation et la logique du racisme ». D’ailleurs, le 16 avril, Hubert Védrine a réutilisé l’expression « course contre la montre ». Pendant le génocide, l’information était surtout « comme un disque rayé », les « media reprenant des éléments de langages », comme « guerre interethnique ou reprise de la guerre civile ». On parle de 100 jours, mais « la grande masse des morts, c’est avril ». Libération a parlé de génocide de 26 avril et le Monde le 30 juin. Il a lui-même inventé l’expression de « nazisme tropical ».
Avec la MIP de 1998, il y a eu des « auditions sans assez d’enquêtes », et un « rapport négocié ». Ensuite, est venu l’occultation avec Péan et Bruguière, avec une « volonté de disqualifier les chercheurs, qui continue aujourd’hui ». En 2014, c’est « une nouvelle vague de déni », en atteste le rapport du 6 avril 2014 sur le site de la fondation Mitterrand (6 avril, Le rôle de la France au Rwanda en 1990-1994: des accusations infondées) ou un texte de la Fondation Jean Jaurès (13 mars, Rwanda: Bisesero, étude de cas)
Marie-France Cros a couvert le Rwanda avant le génocide pour la Libre Belgique. Après un article critique, le régime rwandais l’a invité pour la pousser vers sa propagande. La répression était forte, et les témoins devaient prendre des précautions pour parler de la dictature. Des opposants mourraient parfois dans des accidents de voiture. Les déplacements étaient contrôlés, ce qui est resté encore un peu. Les avocats n’existaient pas, il y avait des personnes avec des licences de l’Etat qui pouvaient perdre leur licence.Selon elle « le racisme le plus visible était celui des missionnaires ». Il y avait un « paternalisme belge », pas d’impérialisme comme pour les français. La société était très hiérarchisée. « Une mise en scène du régime se faisait dans le sens de la simplicité, ce qui plaisait au milieu catholique. Habyarimana était soutenu en Belgique par les partis chrétiens, surtout par les flamands. Elle a failli perdre le dossier sous la pression de « chrétiens ».
Selon elle « le racisme le plus visible était celui des missionnaires ». Il y avait un « paternalisme belge », pas d’impérialisme comme pour les français. La société était très hiérarchisée. « Une mise en scène du régime se faisait dans le sens de la simplicité, ce qui plaisait au milieu catholique. Habyarimana était soutenu en Belgique par les partis chrétiens, surtout par les flamands. Elle a failli perdre le dossier sous la pression de « chrétiens »
 Panel 4 : de gauche à droite : Philibert Gakwenzire, Marcel Kabanda, Hélène Dumas
Un deuxième panel intervient sur le ‘racisme’.
L’historienne Hélène Dumas propose son analyse très bien ancrée dans la culture et la langue rwandaise. Selon elle, il y avait une « puissance performative des discours », les paroles étaient en eux-mêmes des actes forts. Le registre religieux a été utilisé. Les lieux ont été pensés, des lieux de cultes ont été choisis. « 40% des victimes » sont décédées dans des lieux de cultes, et le clergé a aussi participé. « Les Tutsi étaient renvoyés vers un monde non-chrétien, vers une « bestialité diabolique ». Dans les villages, existaient des lieux nommés CND (Conseil National pour le Développement), où se regroupaient des Tutsi pour se protéger, alors, ces regroupements étaient interprétés comme des signes d’alliance avec le FPR. Des cadavres ont été jetés dans des latrines. Le vocabulaire de la chasse et de l’élevage a été employé pour animaliser, cependant le terme Inyenzi (cafards) avait pris un sens plus guerrier comme synonyme de soldat du FPR. Une langue du génocide est apparue. Le corps a aussi été décrit pour justifier la cruauté puis des violences. Sans doute, que l’hypothèse théorique de violences d’autant plus fortes que la différence physique est faible pour créer une différence et justifier des actes est à considérer. « L’ennemi est créé par la souffrance, le corps de l’ennemi est créé par la cruauté. » Elle prend des exemples : un cœur de femme ou un cerveau d’étudiante en médecine montrés ! Il y avait « une exhortation à retrouver une langue ‘Hutu’ », « une séparation des ‘histoires’ », un mythe de « retour à la pureté originelle ». Elle évoque aussi le pillage.
Philibert Gakwenzire est un jeune historien rwandais. Il a étudié sur une région la genèse du génocide depuis 1959, dans les massacres du début de l’indépendance. Il parle d’ « exportation des massacres », des « viols vus comme des faits mineurs ».
Panel 5 : de gauche à droite : Richard Mugenzi, Raphaëlle Maison, Jean-François Dupaquier, Yves Ternon.
Pour commencer, Jean-François Dupaquier commence par rectifier ou compléter le titre de cette partie du colloque : la France… on parle « une trentaine de personnes » en réalité. Ce correctif n’est pas anodin, et je suis d’accord.
Yves Ternon présente le rôle de la France, dans un résumé d’une efficacité et d’une précision de métronome. Depuis des années, j’ai été à beaucoup de débats, et je n’ai jamais entendu une synthèse aussi claire. Travaillant moi-même sur des textes de synthèses, j’ai remarqué que la commémoration a provoqué ce besoin de sortir des détails et des affaires pour récapituler l’ensemble de la participation française à partir des points essentiels. Quand c’est Yves Ternon qui le fait, c’est un historien de renom, reconnu, qui le fait, et l’auteur de ‘L’État criminel. Les génocides au XXe siècle’, le fait au Memorial de la Shoah.
Yves Ternon fixe le cadre : les indépendances, puis la Françafrique. Dès 1981, François Mitterrand est sensible à ‘Fachoda’. Habyarimana devient un bon élève de la Françafrique et en parallèle, la politique française commence à ignorer la politique du dictateur rwandais concernant les 340 000 réfugiés Tutsi hors du Rwanda. Avec le discours de la Baule, du 20 juin 1990, le discours officiel devient  « le soutien des régimes qui développe la démocratie », et c’est exactement l’inverse qui se fait au Rwanda, et surtout à partir de l’attaque du FPR du 1er octobre 1990.
Avec Noroît, le 8 décembre 1990, la désinformation est déjà là. 30 personnes représentent la France, surtout l’Elysée et le MAE avec les ambassades. Les « techniques de la guerre révolutionnaire » (de Trinquier, à Muchielli) sont reprises, et la collaboration avec les services secrets rwandais démarre. Le FPR est vu comme terroriste. FerdinandNahimana intoxique avec sa « théorie du complot ».
« Les dirigeants français sont convaincus des théories racistes ». Malgré les alertes, comme celle de la publication des ‘10 commandements’, « l’armée française, l’Elysée, l’ambassadeur Martre, sont incapables de prévoir l’extermination » (erreur sur Martre et Galinié). Il y a une « accélération de la désinformation, et cette désinformation est acceptée par les dirigeants français, puis développée. » « Le colonel Galinié commandant Noroît est inquiet et il est remplacé par le Cussac, qui lui adhère » à la désinformation. Avec la « propagande noire », les accusations en miroir, la désinformation augmente encore, mais l’officier français adhère. Il y a les « messages imaginaires » du FPR que raconte Richard Mugenzi. « Hubert Vedrine est le principal manipulateur » avec comme autre décideurs « l’amiral Lanxade, Bruno Delaye, et François Mitterrand malade ». Il y a « une aide militaire en même temps que l’acceptation de la menace du génocide ». Après le « Le rapport de Bagosora sur l’Ennemi intérieur », « militaires et politiciens le considère comme possible ».
En 1992, c’est la création des Interhamwés et de la coalition extrémiste CDR, de l’Akazu, du rezo 0, puis arrive le massacre de Bugesera. L’autre versant, avec la fatigue et le refus de la guerre, ce sont les négociations à Arusha. Le CDR, essaye de détruire le processus. « A des barrages, des soldats français livrent des Tutsi », « les militaires apprécient l’expérimentation ». En Juin 92, le COS et la DRM sont créés, puis les DAMI sont renforcés. « Fin 92, début 93, la mission Fidh, Eric Gillet, HRW, Alison Desforges, Survie, Jean Carbonare dénonce la désinformation et les massacres ». Jean Carbonare passe sur France 2. En février 93, il y a 250 morts à Gisenyi et l’offensive du FPR. C’est l’époque où « Stefen Smith est ‘retourné’, avec plein d’autres ». Le 29 mars 1993, le PS perd les élections législatives, Balladur, Juppé, Léotard arrivent au pouvoir. En août 93, les accords d’Arusha sont signés. Les 21 octobre au Burundi, l’assassinat du Président Melchior Ndadaye provoque des massacres de Tutsi. L’armée française quitte en décembre 93.
Yves Ternon en arrive au génocide. Il retrace les faits : Bruno Delaye accuse le FPR. L’ambassadeur Marlaud réunit des génocidaires juste avant la formation du gouvernement (GIR), alors que « des négociations auraient pu avoir lieu avec des opposants ». « A l’ONU, la France demande le retrait de la MINUAR ». Le 27 avril, des membres du GIR sont reçus à L’Elysée, venant pour « recevoir des armes ». « L’achat des armes est maquillable facilement ». La désinformation continue. Il y a une peur d’une intervention de l’Afrique du Sud. Le colonel Rosier qui prépare Turquoise est aussi en contact avec un génocidaire, le lieutenant-Colonel Anatole Nsengiyumva (à vérifier). Le 23 juin, arrive des forces pour une guerre. Puis à Bisesero, « Marin-Gillier découvre les survivants », et « l’appel à l’aide est ignoré par le colonel Rosier ».
« La responsabilité est écrasante » conclut l’historien.
Une remarque se glisse sur la naïveté de Bernard Kouchner par rapport à Mandela …
Raphaëlle Maison, juriste, intervient sur les progrès de la recherche et l’état des connaissances. Elle souhaite que les universitaires travaillent ensemble. Elle commence par dresser la liste des universitaires écrivant sur le sujet, remarquant qu’il y a plus de travail sur les suites du génocide et le négationnisme, et que les progrès sont venus des journalistes, et des associations, dont elle dresse aussi une liste. Il est d’abord question des universitaires et de la volonté, en tant que tel-le-s, de faire face à la participation des acteurs français dans le génocide. Selon Raphaëlle Maison, le risque actuel est que les universitaires ne remplissent jamais leur rôle dans l’élucidation. Elle ajoute, que le manque de lien entre les différents domaines est un frein : « étude de l’histoire politique, étude coloniale, étude des doctrines militaires, de l’espionnage, de la Françafrique », devraient être entrepris, et, pour l’instant le manque de  travail dans l’ensemble des disciplines fait blocage. Selon elle, les universitaires ne produiront pas la même chose que la justice. Le rapport au savoir est en jeu comme avec la guerre d’Algérie et Vichy.
Elle aborde ensuite la « complicité de génocide ». Elle rappelle un passage du livre de David Servenay et Gabriel Périès, « Une guerre noire », le fait que Quilès et la MIP ont permis d’éviter le TPIR. Il y a un risque de « disculpation pénale ».
Elle résume à son tour les faits :
-        90-93 : le soutien politico-militaire dans la guerre civile, sous les formes de la formation des FAR et des forces de l’ordre, les livraisons d’armes (et un 4e point). Dans les négociations d’Arusha, en parallèle, un engagement  militaire, qui fait que la neutralité n’est pas présente.
-        les questions de l’attentat de l’avion et du meurtre de deux gendarmes
-        la formation du GIR
-        pendant Amaryllis, les abandons, la non-intervention, les livraisons d’armes
-        pendant la suite du génocide : le soutien diplomatique au GIR, la tendance à ‘rétablir un équilibre’ selon le g.al Quesnot, le rôle de Paul Barril et le rôle d’éventuels mercenaires
-        pendant Turquoise : les 27-30 à Bisesero et la fuite des génocidaires aux Zaïre, les exactions donnant lieu à enquêtes pénales
-        les positions par rapport au TPIR
-        les suites de la relation France-Rwanda
-        le négationnisme
Pour elle, « la collaboration » est plus à relier à la « politique coloniale », aux « massacres coloniaux », à une « politique africaine secrète, en petit cercle ». Elle propose pour l’ouverture des archives, un « groupe de recherche pluridisciplinaire. », qui puisse « identifier les sources, les travaux » et viser une « première évaluation universitaire ».
Jean-François Dupaquier souligne que beaucoup de documents sont déjà disponibles chez les journalistes, et que c’est la classe politique qui est dans « un refus et une incapacité », il demande s’il faut « une nouvelle initiative citoyenne, ou un tribunal Russel  pour dépasser le refus de la classe politique ».
Raphaëlle Maison, « partagée », répond qu’en théorie, une « enquête parlementaire » serait adaptée.  Elle insiste sur la nécessité pour les universitaires d’ « imposer la thématique ».
Jean-François Dupaquier préfère ensuite revenir sur le témoignage de Richard Mugenzi, qui a déjà parlé le matin. Il le questionne alors en direct.
JFD : « Est-ce que vous avez-vu Paul Barril et ses mercenaires ? » RM : « Paul barril était à Gisenyi en 94 et un peu partout au Rwanda. Il avait pris la relève de Noroît » (à partir du 15 décembre 93, 23 coopérant était aussi restés) « J’ai vu Barril avec Nsengiyumva dans le camp de Gisenyi » (Nsengiyumva commandant la région de Gisenyi, près de Goma) « Les mercenaires sont restés ». « Je l’ai vu déjà en 91 avec un petit groupe de mercenaires, c’était un ami de l’Alliance » «  Je l’ai vu 2 fois, une première fois avec des mercenaires en 91, pas des soldats français, une 2e fois en 94, avec une trentaine de mercenaires. Au camp de Butotori (?), les mercenaires faisaient de la formation commando, amphibie, du zodiac. C’était des mercenaires, car ils ne portaient pas de bérets rouges, avaient des bérets noirs et des uniformes sans insignes ».
JFD : « (Quelle était la relation entre) Nsengiyumva, le chef du renseignement militaire et les gradés de Turquoise ? » RM : « La relation était très rapprochée ». « Il y avait un français avec le chef des FAR » (phrase à vérifier) « Nsengiyumva est parti à Goma en Juin, et a été nommé responsable de la coordination avec Turquoise, puis il est revenu à Gisenyi. »
JFD : « … les fausses interceptions (du FPR) ? » (de mémoire, à vérifier,  JFDupaquier demandait si les fausses interceptions avaient pour objectif d’intoxiquer l’armée française) : « … pour l’armée française, je ne sais pas. On a continué l’intoxication jusqu’à la fin. Les militaires français n’étaient pas tellement manipulés, plutôt complice. Ce sont les français qui nous ont appris, le quadrillage et le contrôle, les accusations. Ils sont complices et pas manipulés ».
Panel 6 : de gauche à droite : Yann Jurovics et Marcel Kabanda.
Yann Jurovics, universitaire, a été juriste au TPIR. Il intervient sur la justice. Il parle d’un « TPIR prioritaire sur la juridiction nationale, pas comme pour la CPI ». Il évoque l’inertie de la justice, les organisations criminelles selon le tribunal de Nuremberg (article 9). Comme le TPIR a prouvé l’existence d’un plan génocidaire, seul le lien avec le plan est à démontrer. Ainsi, pour Simbikangwa, le juge s’est basé sur le TPIR avant de fixer les responsabilités individuelles. Il existe un « enjeu de qualification », « le génocide en droit français étant différent du génocide selon la convention de 1948. » Ce qui compte c’est « l’intention criminelle et pas le nombre de morts». Le racisme en droit se définit par « une négation de la singularité et de l’égalité ». Au racisme, s’ajoute « la politique discriminatoire, et la politique de crime génocidaire ». Il signale que les massacres des juifs avaient commencés en Allemagne avant le génocide lui-même. Selon lui «  le plan génocidaire, lui-même », est « une organisation criminelle » . Pour la complicité, on distingue « les planificateurs, les bourreaux, et l’ensemble de l’aide, dans un même plan, par une participation à degrés divers », et « le juge qualifie par la peine ». Pour une complicité, « le chef d’accusation, c’est le génocide, et pas la complicité ». Il signale que « Nuremberg n’était pas rétroactif, malgré une appellation nouvelle » (se basant sur des lois allemandes), et il y a eu « cristallisation et pas nouveauté ». Selon lui, a propos de la lenteur, « la justice est en échec face à la réalité criminelle ». Pour les nazis, ont été jugés 22 personnes a Nuremberg et 6000 autres, à Arusha au TPIR, 80 personnes, avec 2 millions de procédure dans les Gacaca pour 1 millions de personnes. Il conclut sur une « justice de symbole », ce qui provoque une réaction négative dans le publique, que je partage.
Et le colloque se termine par une question du public sur les réparations aux rescapés, avant les remerciements.

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