A l’Hôtel de
l’Industrie, place Saint-Germain-des-Près, du 25 octobre au 13 novembre 2016, est
exposé le travail du photojournaliste Narciso
Contreras sur le trafic d’êtres humains en Libye. La Fondation Carmignac lui
a décerné le Prix
Carmignac du photojournalisme. Sont exposé-e-s les photographies et une
présentation de l’enquête.
Ce vendredi,
en fin d’après-midi, a lieu un débat improvisé avec le reporter et le
responsable du prix à la Fondation Carmignac, qui traduit pour lui la
discussion en anglais. Après avoir lu les explications accompagnant les photos,
ce court débat d’une demi-heure permet de mieux comprendre « la réalité du
trafic d’êtres humains en Libye ».
Comme
Narciso Contreras l’a indiqué au
journal Télérama, « le prix Carmignac (lui) a offert les moyens
de pouvoir faire un pas de côté, de (s)’échapper des canaux officiels ». Le
Prix Carmignac l’a choisi en 2015 sur le thème de l’édition de 2016, la
Libye et les migrants, l’a financé d’une bourse de 50 000 euros, et, il
parti en février 2016. Seul photographe sur le terrain, il a travaillé avec une dizaine de personnes en
Libye. D’autres personnes en France, en lien avec l’AFP, ont vérifié certaines
données de l’enquête.
Les migrants
arrivent en Libye par deux villes, par Koufra à l’Est, du Soudan et de l’Erythrée,
et par les villes de l’Ouest de la Libye, du Niger ou du sud de l’Algérie, en
provenance du Nigéria, de la Gambie,
de la Guinée Conakry, etc.. Ils et elles traversent ensuite des zones
contrôlées par des milices et ont peu de chance de leur échapper. Maintenant,
les personnes qui arrivent ‘libres’ au Nord de la Libye et peuvent chercher à
passer la Méditerranée en payant des passeurs sont peu nombreuses. Piégé-e-s par les milices, les migrants
restent prisonniers dans des ‘centres de transit’, puis sont vendus bateau par bateau
à des trafiquants, comme des esclaves. Les migrant-e-s ne payent plus, car ils
sont vendu-e-s.
Le trafic se
fait sous le vol des avions de l’Otan. Parfois, si le bateau de Médecins sans
frontière est dans les parages, les miliciens envoient le bateau vers celui de
MSF. Dans de nombreux cas, les personnes vendues reçoivent un numéro de
téléphone à appeler en Italie, sans savoir qu’il s’agit de celui des trafiquants.
Selon le
photographe, les migrants savent qu’il y a ces trafics mais acceptent le
risque. Sans doute, que les proportions des pays d’origines changent, que plus
cela empire, plus la proportion d’Erythréens augmente. Il y a toujours de l’extorsion
d’agent des familles. Il y a quelques années, les miliciens demandaient 300
euros et demandent maintenant 700 euros.
Entre juin
2014 et mars 2016, deux gouvernements, l'un se revendiquant du Congrès général national installé à
Tripoli et l'autre de la Chambre des représentants basé à
Tobrouk dans l’Est se sont disputés le pouvoir. En 2016, pour tenter de sortir
de la guerre civile, un gouvernement d'union nationale (GNA),
basé à Tripoli, dirigé par Fayez
el-Sarraj et soutenu par l'ONU, essaye de reprendre le contrôle du
territoire. Avec le soutien d’une partie des milices, il se bat pour reprendre
Syrte à l’Etat islamique. A l’Est, soutenu entre autres par l'Égypte, le général
Khalifa Haftar et l'armée nationale libyenne (ANL) se sont, en septembre
« emparés des principaux terminaux pétroliers »,
‘défiant’ le GNA.
Selon le reporter, il existe des
Centres de rétention ‘officiels’ gouvernementaux, « les mieux
entretenus et seulement dans le but de documenter la crise des migrants en
Libye afin d’obtenir une aide internationale » (Télérama),
qui sont cependant difficiles à bien visiter. En
2016, près de 1200 personnes ont été rapatriées
vers le Sénégal par l'Organisation
internationale pour les migrations (OIM), l'« agence
de la migration des Nations unies » depuis le 19 septembre 2016. L’OIM
rapatrie aussi des gens au
Niger. Il y a donc un espace officiel des ‘migrants’ accessible à l’OIM et
à l’ONU.
Narciso
Contreras n’a pas eu d’information que le GNA ait prévu de prendre le contrôle
de Centres de transit des milices pour arrêter les trafics. Quelles sont
exactement les milices qui trafiquent et quelles sont leurs relations avec
le GNA ? Selon le photographe, dans
Télérama, « les centres de rétention, notamment dans le
Nord-Ouest, servent en réalité de points de distribution ou de ravitaillement
pour les trafiquants ». Les panneaux de l’exposition indiquent « trafic
d’êtres humains et commerce d’esclaves organisés par les milices au pouvoir et liés au réseaux mafieux ».
Le GNA, suite aux accords de Skhirat du 17
décembre 2015 entre le Congrès général national et la Chambre des représentants
n’a pas eu le soutien de la Chambre des représentants. Il s’est appuyé sur des « alliés » pour arriver à
contrôler
la partie Nord-Ouest de la Libye, « plusieurs
brigades de la capitale et de Misrata », dont « des
katibas (unités combattantes) de Misrata ».
Il y a un discours « officiel » sur la Libye
« victime des migrations » que conteste le photographe, qui parle lui
de « profit » dans les trafics.
Le trafic se poursuit en Europe. L’OIM a confirmé
l’existence d’un trafic de prostitution depuis le Nigéria vers l’Italie, la France, l’Espagne, l’Autriche,
etc.., alors que 3600
femmes sont arrivées de ces pays en Italie au premier semestre 2016, 80% d’entre
elles pour devenir prostituées. Luca Pianese, expert de l’OIM a expliqué
à Jeune Afrique ce 11 novembre que « le trafic a explosé : 433 Nigérianes sont arrivées sur les côtes
italiennes en 2013, 1454 en 2014, 5653 en 2015, 7768 au 30 septembre de cette
année. Sans compter depuis deux ans des centaines de mineures, parfois âgées de
12-14 ans. »
Ces femmes
se sont engagées à rembourser une soi-disant ‘dette’ « le plus souvent
entre 20 000 et 50 000 euros » selon le procureur adjoint à
Palerme, Maurizio Scalia, cité par l’AFP. Que deviennent les hommes plus
nombreux ? Sont-ils aussi victimes d’un endettement forcé ? Vers
quelles activités économiques lucratives sont-ils dirigés pour payer les
trafiquants, dans quels pays ? Comment va évoluer la relation entre les
milices et le GNA ? Que prévoit de faire l’ONU et l’OIM ? Beaucoup d’informations
manquent encore et Narciso Contreras n’a pour
l’instant travaillé que sur un bout de la chaîne.
Régis Marzin
Article écrit et publié le 13 novembre 2016 à partir
de données de l’exposition et du débat comme de données extraites d’articles de
presse.
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