Le
mardi 19 septembre au matin, la Direction générale de la sécurité intérieure
(DGSI) a perquisitionné pendant plus de 10 heures le domicile de la journaliste
d’investigation de Disclose, Ariane Lavrilleux, et l’a mise en garde
à vue 48 heures « pour compromission
du secret de la Défense nationale et divulgations d'identité de militaires »
en raison de ses articles
sur l’armée française en Egypte et l’opération française “Sirli”.
Un rassemblement
en soutien à Ariane Lavrilleux, organisé par Disclose et RSF, est organisé
ce mercredi 20 septembre à 18h30, place de la République à Paris. La DGSI s’attaque
« au principe du secret des sources » selon RSF.
Le scandale monte rapidement. Plusieurs partis
politiques sont présents au rassemblement, EELV, LFI et le PS.
Que signifie collaborer avec la
dictature égyptienne de Sissi ? Est-ce une dictature comme une autre ?
Dans un classement
africain du niveau de dictature, deux dictatures sont au niveau le plus élevé
de répression de toutes les libertés, l’Erythrée totalitaire et sans élection,
et l’Egypte généralement observé dans le cadre du Moyen-Orient. Les révélations
sur l’opération française “Sirli” ont rappelé à ceux et celles qui faisaient
semblant de ne pas le savoir à quel point il est problématique de collaborer avec
une dictature de très haut niveau. L’attaque actuelle de la liberté de la
presse en France en est une nouvelle démonstration.
Quels sont les ministres concernés ?
Les ministres de la justice et de l’intérieur, bien sûr. Le 15 septembre, la
ministre des Affaires étrangères, Catherine Colonna, était au Caire. Au
micro de LCI, parlant de l’Egypte, la ministre a dit : « C'est
surtout pour la France un partenaire de longue date, un pays ami et un
partenaire stratégique, et qui l'est encore plus dans ce monde en pleine
recomposition que vous évoquez, en effet. L'Egypte, pour nous, c'est un pays
clé, c'est une puissance régionale, c'est un partenaire de confiance, et c'est
un pays qui prône la modération, ce qui lui permet d'être à la fois en mission
pour parler au Président Poutine et l'interroger - cela n'est pas sans vertus -
sur la guerre qu'il fait à l'Ukraine, et un pays qui aide l'Ukraine à faire
progresser son plan de paix en allant à la réunion de Djeddah, il y a quelques
semaines, destinée à faire progresser des idées ukrainiennes de paix et de
dialogue. L'Ukraine prônant d'ailleurs la paix, là où la Russie, hélas, ne le
fait pas… L'Egypte est l'un de nos premiers partenaires et nous sommes l'un de
ses premiers partenaires… Son rôle géostratégique n'est plus à démontrer. Et
elle parle à la fois aux Américains, à la fois aux Européens, aux Français de
longue date… Donc nous nous sommes dans un pays ami, je le redis, un pays qui
est un partenaire de confiance et qui parle à tout le monde. Sans comparer avec
la France, je crois que cela a ses vertus de pouvoir aider à traiter les grands
défis du monde, aider à traiter les grandes crises en s'adressant à tout le
monde et en essayant de convaincre tout le monde qu'il faut faire plus, qu'il
faut faire mieux. » Autrement dit, en raison de la guerre en Ukraine et du
climat actuel rappelant la guerre froide, l’Egypte est stratégique. Quatre
jours plus tard, l’état français s’attaque à Ariane Lavrilleux et à la liberté
de la presse.
Depuis les coups d’Etat au Niger
et au Gabon, les critiques de la politique française en Afrique redoublent. La
politique en Egypte est analysée dans le cadre du Moyen-Orient mais cela n’empêche
pas les regards de toute l’Afrique de se porter sur ce pays. Ce qui est souvent
reproché aux dirigeants français, c’est d’être incapable de réformer profondément
une politique encore trop imprégnée du fonctionnement du néocolonialisme, de
continuer à se compromettre dans des dictatures, de ne jamais être clair dans
ses relations avec des régimes détestés par les populations et se maintenant
par de fausses élections sans démocratie. L’Union européenne est capable de
dire pourquoi les coups d’état du Niger et du Gabon sont pour elle très
différents. Elle est en mesure de parler sans être gênée des inversions de
résultats des présidentielles au Gabon en 2009, en 2016 et peut-être
en 2023, mais les gouvernements français se sont trop compromis avec Ali Bongo
depuis 2009 pour adopter une position transparente. Le message de soutien
français à Sissi arrive juste au moment où une clarification des positions
françaises sur les dictatures en Afrique serait utile, une clarification sur la
légitimité issu des élections pour certains régimes serait utile. Une fois de
plus il sera compris, que les dirigeants français sont prisonniers du passé et
incapable de réformer une politique obsolète et dangereuse.
Quand le porte-parole du
gouvernement, Olivier Véran, est incapable de répondre aux questions de Médiapart
sur l’atteinte de la liberté de la presse, cela n’est une surprise pour
personne. Il ne sera pas aisé pour le gouvernement de sortir de l’impasse dans
son conflit avec l’ensemble des journalistes d’investigation, aujourd’hui très remonté-e-s
contre lui et plus que jamais motivé à continuer les enquêtes.
Régis Marzin
Paris, 20 septembre 2023
NB : Aucune photo prise au
rassemblement où je suis présent.