dimanche 23 novembre 2014

22 novembre 2014, Saint-Denis, pendant l'élection tunisienne

Faire un blog de photographe, çà peut s'avérer compliqué certains jours, si, au retour, les photos ne correspondent pas aux sujets intéressants. Ce samedi, alors que les tunisien-ne-s votaient ici et là-bas, j'ai démarré à l'Embarcadère, la splendide salle d'Aubervilliers, pour la Semaine de Solidarité Internationale, et je suis ensuite parti assez vite à Saint-Denis au festival Bobines rebelles, organisé par les mêmes personnes que la Dyoniversité, pour voir le film 'Démocratie année Zéro' sur la Tunisie
Il y avait à Aubervilliers, organisés par les services de la mairie, des stands associatifs et un débat sur l'agriculture avec des associations d'Aubervilliers, tout cela facile à illustrer par des images classiques. Je m'intéresse à la Semaine de Solidarité Internationale depuis quelques années: au niveau national, elle aurait pu devenir autre chose, mais elle s'est essoufflée. Elle s'est répandue mais pas étendue, parce qu' "il faut savoir s'étendre sans se répandre" comme disait Gainsbourg, dans le naufrage de l'altermondialisme qui l'inspirait au départ, dans une vague d'activités locales qui s’éloignaient de ses objectifs initiaux. Au niveau local, il y a de grandes idées mais elles ne s'additionnent pas, ne se renforcent pas mutuellement, faute de synthèse politique. En l'absence de travail de lien entre les idées et actions, ça se dépolitise très vite. Etait-il possible de faire mieux? Ce n'est pas sûr.
A la bourse du travail à Saint-Denis, la moitié des films étaient annulés à cause d'un problème dans la réservation des salles. Heureusement, le film sur la Tunisie était toujours programmé. Le réalisateur, Christophe Cotteret, était là, mais devait repartir pendant le film, et il ne pouvait pas y avoir de débat, et pas de débat photographiable. Je suis sorti enthousiaste de la jolie salle de projection. J'avais vu le seul et unique film qui traite des luttes sociales, d'une révolution, d'une transition démocratique, des élections, et ce film ne se trompait pas dans les analyses et le commentaire: un très bon film qui mérite d'être soutenu.
Alors, je me suis fait inviter à manger par les organisateurs du festival Bobines rebelles, dans leur local,  dans leur local qui sert aussi pour leur AMAP, merci... Devant nos assiettes de riz pour végétarien, je suis arrivé à parler de Franck Lepage avec mon voisin de table. Franck Lepage, très connu pour ses conférences gesticulées, est un artiste qui a beaucoup inspiré la Dyoniversité au départ. Dans son spectacle sur la culture, il explique qu'une municipalité finance plus facilement un atelier rap où les jeunes insultent la police qu'un atelier qui aide à l'analyse politique. Par défaut de réflexion, la solidarité internationale se confond assez souvent avec l'animation socio-culturelle. Pourquoi pas ? mais il faut en être conscient. Nous étions d'accord.

vendredi 14 novembre 2014

14 novembre 2014, les universitaires et le génocide des Tutsi du Rwanda

Du 13 au 15 novembre, avait lieu à Saint-Quentin-en-Yvelines et à Paris, un colloque international « Rwanda, 1994-2014 : récits, constructions mémorielles et écriture de l’histoire » qui avait la spécificité d'être organisé par les universitaires, ceux et celles du CERILAC de l'Univerisité Paris-Diderot, du Centre d’Histoire Culturelle des sociétés contemporaines de l'Université de Versailles St-Quentin-en-Yvelines et du Labex de l'Université Paris 1 (programme PDF).
Coincé par l'actualité au Burkina Faso et au Tchad, je n'ai pas pu être le jeudi à la table-ronde « La question française » avec Rafaëlle Maison, Gabriel Périès et Jean-François Dupaquier et Raphaël Doridand, l'animateur. Au-delà des faits de complicité de génocide, il était aussi question de la capacité des universitaires à s'organiser, en parallèle de la justice, dans un dossier très verrouillés par les politiques. A la fin de cette année de commémoration très fructueuse, est-il possible de savoir comment la recherche s'organise à plus long terme, entre historien-ne-s, juristes, chercheur-se-s varié-e-s en sciences sociales. Les composantes de l'Etat se désolidarisent face aux activités criminelles, à l'impunité et au déni des responsabilités, mais la question reste sensible et légèrement polémique. La nouvelle génération des lycéen-ne-s et étudiant-e-s, de plus en plus averti-e-s par la somme des publications depuis 20 ans, ne supportera pas le statu quo ou le silence très longtemps, et l'excuse d'attendre la justice ne tient plus.
Le vendredi, j'arrive au début de la table-ronde " Imaginer le génocide. Mémoires croisées" avec Boubacar Boris Diop, Koulsy Lamko, Catherine Coquio, Bruce Clarke, et Virginie Brinker, la modératrice, qui présentent la participation indirecte des artistes à une mobilisation pour la vérité. Même si ces travaux ne sont pas les plus offensifs, ils affermissent symboliquement les gains dans la compréhension populaire.
La journée se termine par un grand entretien avec Patrick de Saint-Exupéry mené par François Robinet. D'autres colloques avait déjà proposé des témoins principaux, et en particulier Bernard Kouchner le 25 mai 2014. Le reporter raconte son périple au Rwanda en 1994, il n'apporte pas d'informations nouvelles pour les connaisseur-se-s. Il s'agit donc d'une présentation plus symbolique qui montre la cohérence entre recherche universitaire et enquête journalistique.
Ce dossier sur la complicité d'Etat dans un génocide met tout le monde sur le même plan, à travailler à déverrouiller les mêmes choses, juristes, juges, historiens, journalistes, associatifs ou élu-e-s. Le militantisme, la prise de risque est partagée. Les progrès des un-e-s et des autres sont immédiatement repris par l'ensemble des acteurs dans une vraie bataille de tranchée. Inversement, il est parfois nécessaire de repousser au fur et à mesure des personnes si une espèce de complicité secondaire se fait sentir, ce qui n'a rien de simple. Les vieux verrous sautent au fur et à mesure que le puzzle se complète, mais si la tâche devient plus facile par le recoupement des données, paradoxalement, elle devient aussi plus délicate et tendue face aux enjeux qui se précisent et aux résistances des accusés.
Patrick de Saint-Exupéry précise pourquoi il est parfois impossible de parler du génocide, pourquoi c'est "indicible". Ce n'est pas parce que c'est "effroyable", c'est parce que l'on ne trouve pas de témoignages, qu'il n'y a pas de traces, de preuves écrites avec des mots, qui auraient pu dire la vérité. Le négationnisme, même au Tribunal Pénal International à Arusha, dans la bouche des avocats des accusés, a continué longtemps à nier le poids des mots correspondants, eux, à la vérité.
Répondant à une question du public, il rappelle sa position, que j'approuve, sur les responsabilités individuelles dans la complicité de génocide:  "Il y avait une politique d'Etat secrète, la France n'était pas au courant". Par ailleurs, "culpabiliser toute la France, ça ne marchera pas", "il faut de la précision dans les incriminations", et on ne peut pas dire qu' "on veut les conclusions avant les enquêtes", ce sur quoi "il y a encore pas mal de travail à faire", parce que "les responsabilités sont multiples". Il conclut sur "la responsabilité, aujourd'hui, pour la presse ou les historiens".
Article écrit et publié le 23 nov. 14