lundi 30 mai 2016

30 mai 2016, Paris, Tchad : conférence de presse de Saleh Kebzabo

Le leader de l’opposition tchadienne, Saleh Kebzabo, qui était déjà passé fin février - début mars,  est de nouveau à Paris pour parler de la présidentielle du 10 avril. La conférence de presse est animée par le journaliste Louis Keumayou.
En ce jour de condamnation d’Hissène Habré à la prison à perpétuité, la séance commence bien sûr par cet aspect judiciaire et historique. Selon le leader de l’opposition, la condamnation « a valeur d’exemple, pour réduire les tendances dictatoriales », mais il y a eu « deux procès », l’un à Dakar, et l’autre des complices à Ndjaména, qui était « à sens unique ». En conférence, il n’insiste pas sur le fait que le procès n’a pas montré le rôle d’Idriss Déby au côté d’Habré - comme commandant des Forces armées nationales tchadiennes pendant les massacres entre septembre 84 et août 85 -, puis dans la poursuite des crimes dans les années 90 selon des méthodes similaires, surtout entre 1990 et 1993. Puis, dans une interview vidéo de Louis Keumayou, il précise sa position de manière plus ferme.
Sans le nouveau coup d’état électoral d’Idriss Déby d’avril, Saleh Kebzabo serait peut-être aujourd’hui président du Tchad. Il commence par qualifier de « terrorisme politique » la méthode d’Idriss Déby qui a imposé « un recul de 20 ans au niveau processus électoral ». Après la proclamation des résultats par la CENI le soir 21 avril, des tirs en l’air ont été entendus dans tout le pays, toute la nuit, de toutes sortes d’armes y compris des canons, pas pour exprimer la joie mais pour faire peur et empêcher ainsi la contestation.
En fonction des procès verbaux, l’opposition a présenté un calcul de résultat qui montre qu’Idriss Déby n’a pas pu dépasser les 43% au premier tour, avec l’hypothèse de 100% des votes au Nord, dans les provinces où l’opposition n’a pas les  procès verbaux. Saleh Kebzabo est satisfait des candidatures multiples de l’opposition au premier tour, et indique que selon ses résultats, Idriss Déby n’était pas qualifié au second tour. Il explique de le président sortant n’a reçu aucune félicitation, juste quelques félicitations lors des résultats provisoires (Niger, Mali, Cameroun, Congo B). Les réactions françaises, européennes, américaines se font attendre, et il regardera avec attention les représentations à l’investiture le 8 août.
Le président de l'Union nationale pour le développement et le renouveau (UNDR) décrit les méthodes de fraudes. Il est mécontent de la biométrie en raison des 2 kits refusés : celui qui devait servir lors « de la distribution des cartes » et celui de la vérification biométrique le jour du vote. Ce kit n’a été utilisé que dans 3 pays, et il était peu probable qu’il soit utilisé au Tchad, selon mon étude (1.1 Biométrie électorale : mode d’emploi). Les cartes non distribuées ont été données aux chefs de village et aux chefs militaires locaux. Le vote des nomades est aussi évoqué comme source de fraudes.
Il y a eu une « CENI parallèle » du pouvoir. Même le président de la CENI ne savait pas que le 21, les résultats seraient annoncés.
Il insiste sur le vote des militaires : « la surveillance des isoloirs », « la récupération des bulletins » non utilisés, puis les militaires « battus, humiliés, arrêtés, libérés rapidement ou disparus des jours ou des semaines, et des assassinats » dont le nombre reste inconnu. Cette affaire est à suivre, le MAE français, les USA, la FIDH ou Amnesty suivent le sujet.
Il décrit, enfin, une opposition unie autour de 6 candidats qui pour « la première fois refuse un résultat ». Ce groupe a commencé à « rassurer la population ». Il prévoit une « recomposition de l’opposition, une refondation politique », avec les nouveaux partis. Les législatives pourrait avoir lieu début 2017 et le vote de la présidentielle sans la fraude est « encourageant ». Il pourrait y avoir une « coalition nouvelle et des listes communes ». Il y aura ensuite les élections locales. Il est enthousiaste sur le « rajeunissement, la jeunesse éclairée et engagée », et indique que « la société civile aura son mot à dire ».
De nombreuses questions des journalistes et du public permettent ensuite de préciser les points. Sur le projet de Gouvernement de salut public, il explique qu’il y a une « intention », et que l’intronisation du 8 août sera l’occasion de réagir de manière adaptée. Un dialogue sera possible mais selon des conditions. Il parle également de la baisse du pouvoir d’achat, des tensions sociales, les grèves sectorielles.
La condamnation du chef de file de l’opposition de l’observation électorale de l’Union africaine est sans équivoque (Rapport préliminaire avant annonce résultats). Il condamne une mission inutile qui coûte cher pour rien, choquante, insultante, alors que le Tchad avait déjà connu de bonnes observations de l’Union européenne. L’Ue avait envoyé une Mission d'Expertise Electorale, restée assez longtemps, qui n’a pas encore eu d’effet et dont le rapport n’a pas encore été publié. Il dénonce les chefs d’Etats qui grognent contre « la démocratie des blancs », qui sont eux-mêmes « les fraudeurs », et qui voudraient « une démocratie tropicale » selon des « débats qui n’en finissent pas », quand la démocratie est « universelle ».
Saleh kebzabo souligne qu’au Tchad, la culture démocratique s’enracine, que la jeunesse est combattive, que la peur diminue, que les gens n’ont plus peur de crier des slogans ou de qualifier Déby de voleur dans les meetings. Il signale cependant que des mécontents ont rejoints des rébellions au Soudan, mais qu’il faut attendre quelques mois pour « voir si la tendance se confirme ». Sur la différence entre le vote au Nord et au Sud, il nie une division, et admet que les candidats sont liés à des régions, et voit un mélange du vote se faire. Il dénonce la volonté du pouvoir de se justifier d’exister au travers de divisions.
A la question de savoir si Déby concédera le droit de manifester, il répond qu’ « il y aura des manifestations », et que « l’on va arracher le droit et ne pas attendre qu’on nous l’accorde ». En 2016, comme en 2011, une certaine liberté d’expression a été accordée mais uniquement pendant la campagne, ce qui est, pour un pouvoir, une manière originale d’agir en Afrique, ailleurs, ce lâché de lest en campagne électorale n’étant pas si visible.
Comme chaque fois, Saleh kebzabo est philosophe, optimiste malgré les difficultés, dont il n’oublie aucune. Il prédit une évolution rapide de l’Afrique, même si l’Afrique centrale est en retard.
Régis Marzin, article écrit et publié le 1er juin 2016, corrigé le 2 juin 2016

dimanche 29 mai 2016

29 mai 2016, Pré-Saint-Gervais, spectacle de Claude Yvans

Superposition à la prise de vue et long temps de pose, après le spectacle-performance de Claude Yvans au Tapis de la poésie à Pré-Saint-Gervais. J'ai croisé Claude Yvans pour la première fois à Aubervilliers il y a quelques mois, puis de nouveau il y a quelques semaines. Il est musicien et vidéaste, poète. En revoyant le spectacle, je redécouvre plein de choses qui m'intéresse. J'étais captivé par les images et le son.
Comme je suis juste en train de lire un roman sur l'amnésie, la perte de la mémoire, les efforts pour retrouver la mémoire, cela me fait penser au codage de l'information, au flou qui entre dans la mémoire, au souvenir par les émotions... Le rêve permet la mémorisation. Est-ce que l'on peut mieux se souvenir d'une ambiance que traits précis des personnes que l'on ne reverra sans doute pas ? La mémoire est biologique et artificielle. La technologie informatique et les télécommunications ont aussi modifié notre approche de la mémoire. On va se souvenir d'un fait et de l'image de ce fait sur un support. Cela me redonne un instant l'envie de bricoler sur mon appareil comme au bon vieux temps de l'argentique, quand j'essayais de faire de la peinture.

samedi 28 mai 2016

27 mai 2016, Aubervilliers, Aubercail

Moment de déchaînement des Hurlements d'Léo, sur une chanson de Mano Solo, ou peut-être bien des Béruriers noirs, à en oublier que je n'ai jamais vu les bérus! Concert magnifique ! et l'occasion de redécouvrir les paroles de Mano Solo. En première partie ce vendredi : Ottilie [B] puis Jérémie Bossone et son frère.

vendredi 27 mai 2016

26 mai 2016, Paris, l’ONU, l’Afrique et le maintien de la paix

Ce 26 mai, Thinking Africa et le Master Géopolitique et sécurité internationale de l’Institut catholique de Paris organisait une demi-journée d’étude sur l’ONU, l’Afrique et l’état actuel du Maintien de la paix.
L’après-midi commençait par la projection du documentaire ‘L’ONU, dernière station avant l’enfer’ de Pierre-Olivier François produit par Arté, qui était suivi d’un débat avec le réalisateur. La discussion a surtout porté sur les casques bleus, par exemple en Centrafrique ou au Congo Kinshasa. Certains étudiants ont retenus les aspects négatifs du bilan de l’ONU alors que le documentaire restait assez positif. J’ai évoqué la diplomatie pour prévenir les crises, moins visibles quand elle atteint ses objectifs.
Puis le directeur de Thinking Africa, le Dr Said Abass Ahamed, a présenté la situation actuelle du maintien de la paix de l’ONU. Il y a des progrès dans la rapidité de déploiement. Selon lui, les trois défis et débats actuels concernent l’usage de la force, les compétences des missions de la paix, et le renseignement. Il souhaite que les acteurs africains proposent un projet politique pour accompagner les missions de maintien de la paix.
Le débat avec s’est parfois dispersé sur des sujets connexes. Les responsabilités internationales occidentales semblent intéresser particulièrement les étudiant-e-s, et le rôle des membres du Conseil de sécurité en particulier. De même que les missions de la paix sont frustrantes pour ceux-celles qui y participent parce qu’elles ne vont pas au bout des choses, le débat lui aussi ne pouvait pas aborder trop de sujets. Il a été aussi question de la gestion des émotions pour analyser et rechercher des solutions.
Régis Marzin, 27.5.16

mercredi 25 mai 2016

24 mai 2016, Paris, EHESS, conférence sur le vote en Afrique

Invité par le laboratoire Tepsis, à la conférence 'Le vote en Afrique : Continuités et ruptures au miroir du multipartisme', je suis venu présenté mes recherches de journaliste-indépendant et ma dernière étude 'Après 26 ans de démocratisation, dictature et démocratie bientôt à l’équilibre en Afrique'.
La conférence a été organisée par Carla Bertin et Emmanuelle Kadya Tall. Le modérateur est Oumarou Barry. Le directeur de recherche à l’EHESS, Remy Bazenguissa-Ganga est intervenu  sur les guerres électorales et la dernière élection au congo-Brazzaville. L’exposé de Jean-Nicolas Bach, du LAM Sciences Po Bordeaux : s’intitulait « Elections et ajustements autoritaires en Ethiopie et dans la corne de l’Afrique ».
J’ai parlé du processus de démocratisation continental et des élections de 2016 (en bas de la page du blog) à partir de quelques graphiques de mon étude, surtout le bilan de la démocratisation du continent après classement des régimes, et du bilan sur 25 ans de la qualité des processus électoraux, en particulier dans les dictatures.
Le débat a permis d’affiner quelques analyses, par exemple sur les stratégies des opposants ou sur les influences internationales. Nous avons beaucoup parlé du Congo-Brazzaville. Il a été comme souvent trop court. Le journaliste Seidik Abba a remarqué que sur le sujet, il faudrait organiser un colloque. Sur le domaine de la démocratie et des élections, il serait en effet possible de continuer à étudier les cas, à dresser des bilans plus généraux, à proposer des solutions. A suivre… ?
Et, comme je ne peux pas aller à une conférence sans faire de photos, il a fallu que je quitte mon siège d'intervenant pour les faire!

lundi 16 mai 2016

15 mai 2016, St-Denis, Fête de l'insurrection gitane

J'avoue, je n'étais pas venu à la Fête de l'insurrection gitane pour réfléchir, m'informer, un peu fatigué depuis ma dernière publication sur l'Afrique. Je suivais un peu les débats des dernières années, en 2015 et en 2016. Cette année, je suis simplement inquiet des simplifications qui vont se développer d'ici les élections françaises de 2017, ou encore du fait que le mot 'racisme' soit employé à toutes les sauces. Mais cela n'a pas vraiment de rapport. J'avais envie de croiser des ami-e-s. Puis, au final, la nuit tombée, bien que je sois déjà allé au bout de mon reportage sur les Rroms de St-Denis, je me suis laissé encore facilement emporté par l'action de photographier musique et danse gitane. Puisque la culture rrom enrichit le paysage... le groupe Marcela los murchales a lâché prise ce soir.
(seconde version en Nef compressé au lieu de Jpeg compressé)

lundi 9 mai 2016

9 mai 2016, Aubervilliers dans la MGP (Métropole du Grand Paris)

La qualité des politiques se mesure à la capacité à rester positif-ve-s et optimistes quelles que soient les situations quand cela concerne leurs responsabilités. En l’occurrence, la Métropole du Grand Paris (MGP) et la transformation de l’agglomération de communes Plaine Commune en Etablissement public territorial (EPT) le 1er janvier 2016, ont été imposés. Mais aussitôt l’opération effectuée, il s’agit de retomber sur ses pieds et de revenir aux réalités locales.
Dans AuberMensuel que je viens de recevoir, un élu du Modem, Damien Bidal, dans sa tribune (p29), se plaint que les impôts d’Aubervilliers vont augmenter de 6,14%, alors que « les habitants paient trop de taxes pour une médiocre qualité de vie » et que «  la capacité de la ville à se désendetter retombe dans les catacombes ». Voilà de nouveau le débat d’avant les municipales. Quel rapport avec le Grand Paris ? C’est que l’organisation de l’imposition sera changée. Comment et avec quels résultats?
Ce 9 mai, Le président de Plaine Commune, Patrick Braouezec, est là pour tout nous expliquer aux côtés de la nouvelle maire, Mériem Derkaoui, et des autres élus réunis en conseil municipal, dans la magnifique salle de l’Embarcadère. Patrick Braouezec parle d’Aubervilliers dans Plaine Commune. Il commence par la partie finance, c’est assez obscur pour les novices, parce que trop rapidement expliqué. Entre autres, la grille de répartition de la Cotisation sur la valeur ajoutée (CVAE) va changer, Paris va gagner sur la partie « dynamisme ». Plaine commune va devoir réduire ses dépenses.  Il a l’air inquiet : la MGP n’apporte rien automatiquement, il faudra se battre, se battre « pour un développement inclusif et pas exclusif des (revenus) modestes ».
Le président de Plaine Commune aborde aussi de nombreux sujets : l’urbanisme, les médiathèques, l’emploi, …Dans les obsessions du moment, il y a la propreté et la piscine olympique pour 2024. Hé ! On est pas obligé d’être pour les jeux olympiques, la télévision et la société du spectacle ! Concernant l’emploi, Patrick Braouzec invite à s’intéresser à la « mutation anthropologique » qui arrive avec le travail numérique et la fin de la robotisation, par exemple des caisses de supermarchés. Puis, le débat revient sur l’essentiel, …
Ce qui est déjà décidé, c’est le fonctionnement des ETPs et de la MGP. Il y aura 209 conseillés de la MGP dont 3 de Saint-Denis, 2 d’Aubervilliers, 1 pour les autres villes de Plaine Commune. Les oppositions des communes ne seront presque plus représentées. Plaine Commune garde la même composition, mais certaines autres nouvelles ETP ne correspondent pas aux anciennes agglomérations et c’est très difficile pour eux. Il est prévu de nouveaux transferts, de compétences des communes vers les ETP en 2017, décidés collectivement. Ce sera, obligatoirement la fin des Zacs communales.
Les impôts locaux iront à la MGP qui restituera aux communes qui restitueront à l’ETP. Actuellement, il y a souvent « 4 générations sous un même toit » et on construit du logement, mais, Patrick Braouzec a des craintes pour les finances des villes qui créent des logements et qui ne sont pas plus aidées par la région que les villes qui ne créent pas de logement. Il espère obtenir un « Contrat de développement territorial » dans le cadre d’un «  Contrat d’intérêt national », qui servirait à la construction des équipements publics, les crèches, écoles, parcs, qui sont nécessaires quand la population augmente.
L’ancien maire, Pascal Beaudet, intervient pour préciser que « le Grand Paris n’aura de sens que s’il y a solidarité », en particulier pour « les écoles et équipements à construire ». Mais, alors, rien n’est encore décidé au niveau de cette solidarité, d’une redistribution entre villes riches et pauvres ! En rentrant, je croise une connaissance qui travaille justement à Plaine Co, et qui me confirme que rien n’est clair et qu’on en a pour « deux ans d’incertitude ». En effet, j’avais cru comprendre ! Et s’il faut compter sur la solidarité des villes riches, rien n’est moins sûr.

Régis Marzin, 12.5.16

jeudi 5 mai 2016

5 mai 2016, Paris, République, en passant...

... avec un ami, entre le monument populaire en mémoire du 13 novembre 2015...
... et un petit bout de Nuit debout, une présentation-débat sur la 'sobriété'.
C'est mon jour de repos après une période de crise électorale multi-fronts en Afrique, et je ne fais que passer sans grande envie de me mêler de sensibilisation politique.

mardi 3 mai 2016

2 mai 2016, Paris, Tchad : conférence de presse sur la présidentielle du 10 avril

A la nouvelle conférence de presse sur la présidentielle du 10 avril et du 9 mai au Tchad, à la Fondation Gabriel Péri à Pantin, les journalistes sont venus moins nombreux qu’à celle du 3 mars 2016, bien que le leader de l’opposition tchadienne, Saleh Kebzabo, intervienne de nouveau. Les media français semblent être déjà passés à la suite sans s’être méfiés que la crise électorale s’enracinait à un autre rythme qu’à Djibouti ou au Congo Brazzaville.
Dire que tout est terminé parce que le dictateur s’impose par la voie officielle, en sous-entendant que les mascarades électorales sont inévitables en Afrique, ne correspond pas la réalité tchadienne. En enquêtant, en se renseignant auprès des opposants, on peut comprendre que l’enjeu n’est pas situé là où la version officielle a essayé de le placer.
La technique des processus électoraux en Afrique ne passionne pas les lecteurs et auditeurs français, sans doute parce que cela demande une attention à une complexité. Mais cette complexité n’est pas si grande, ce sont surtout des habitudes qui sont prises, au travers de préjugés, qui renvoient à un certain mépris pour la démocratie en Afrique, et sont maintenant intégrées dans des mécanismes inconscients, un suivisme des positions officielles et de l’autocensure.
Pourtant, ce n’est pas si dur de voir que Denis Sassou Nguesso, Ismaël Omar Guelleh puis Idriss Déby ont inversé le résultat du premier tour avec des méthodes très proches. La constatation des techniques de fraudes le jour du scrutin et de compilation des résultats permet de constater la similitude de la méthode. Les dictateurs n’organisent pas les scrutins pour les perdre et ne veulent pas se confronter aux seconds tours. Malheureusement beaucoup de media préfèrent privilégier la version officielle, puis remplacer l’enquête sur le scrutin, par une dialectique qui met en scène les efforts des opposants face à un ennemi invincible, sans remettre en cause la version officielle. En effet pourquoi commencer par dire qu’un chef d’Etat est élu quand il n’est pas élu et quand il n’a jamais été élu depuis 20 ou 30 ans, et qu’il se maintient au pouvoir par la force et la fraude électorale.
La réalité tchadienne est tout autre. Les diplomates et militaires peuvent être inquiets de l’après Déby, si la démocratie ne s’est pas installée avant sa mort. Derrière la puissance militaire se cache un état encore mal structuré, parce que le clan au pouvoir a monopolisé l’essentiel de l’appareil de l’Etat. Idriss Déby est contesté dans la rue depuis peu. La société civile et les partis arrivent à mieux s’organiser et à capter le mécontentement de la population. Une nouvelle inversion du résultat au premier tour s’inscrit dans un historique électoral depuis 1990 et le bilan d’Idriss Déby qui s’aggrave lui sera reproché ardemment. Le rapport de force va continuer de se durcir. Il y avait déjà des « villes mortes » et cela va continuer autant que faire se peut.
M. Saleh Kebzabo, le candidat de l’Union nationale pour le renouveau et le développement (UNDR) qui intervient par téléphone depuis Ndjaména, et M. Abdel-aziz Koullamallah, directeur adjoint de campagne de M. Laokein Medard Kourayo, le Maire de Moundou, leader de la Convention Tchadienne pour la Paix et le Développement (CTDP) sont en mesure de bien décrire le processus électoral à l’étape actuelle. Makaila Nguebla et Mahamat Zang animent la conférence.
Les fraudes se sont déroulées surtout dans les régions du Nord: bourrage de centaines d’urnes et trucage de milliers de procès-verbaux. Dans les régions du Nord, les délégués de l’opposition ont été chassés et, dans les procès verbaux, le score de Déby a été arbitrairement fixé à plus de 90%, malgré l’évidence de la défaite d’Idriss Déby dans certaines villes et régions. Au Sud, la population et les partis ont, en partie, réussi à empêcher les fraudes. Même si Idriss Déby avait 100% dans les 13 régions du Nord, alors en fonction des Procès verbaux au Sud, son score serait au maximum de 42%, soit 35,62% + 10,1%(1-0,3562) = 42,12%, où 35,62% est le pourcentage d’électorat du Nord et 10,1% le pourcentage de votes de Déby au Sud. Il ne pourrait en aucun cas être élu au premier tour. Si les résultats réels apparaissaient, il pourrait même arriver en 4e position et ne pas être retenu au second.
Dans ces conditions, que vont dire les acteurs de la communauté internationale concernés par les processus électoraux en Afrique et par la présidentielle tchadienne ? Une vision à plus long terme du Tchad exigerait de renforcer la démocratie et l’Etat de droit dès maintenant pour prévenir un conflit dans les années qui viennent. Alors que le Conseil constitutionnel tchadien s’apprête sans doute à mentir sur la valeur du processus électoral en validant un résultat inversé, un discours honnête sur la technique des processus électoraux serait la manière la plus simple de soutenir les démocrates tchadiens.
Entre autres, la réaction internationale immédiate déterminera l’Etat du Tchad dans les années à venir dans une région, l’Afrique centrale, qui sera soumise à la pression de la volonté populaire pour arriver aux départs des dictateurs. Les puissances étrangères ne sont pas si bien perçues en Afrique, qu’elles puissent faire l’impasse sur l’opinion publique qui émerge, par les nouvelles technologies et le caractère inexorable de la démocratisation de l’Afrique centrale. Le passif est déjà tellement important que toutes nouvelles erreurs de posture viendront aggraver un bilan déjà très lourd. Une vision à court terme est dangereuse.
Régis Marzin, article écrit et publié le 3.5.16