mardi 11 mai 2021

11 mai 2021, ‘Tyrans d’Afrique’ de Vincent Hugeux

Bokassa, Idi Amin Dada, Eyadéma Gnassingbé, Mobutu, Mugabe, Sékou Touré, Afeworki, Teodoro Obiang, Jammeh, Habré : 10 « tyrans » désignés par Vincent Hugeux dans son livre ‘Tyrans d’Afrique, les mystères du despotisme postcolonial’ sorti en mars 2021 aux Editions Perrin. Il en manque et il s’en excuse en prologue, Paul Biya, Denis Sassou, Museveni, par exemple. Il a retenu « des personnages dont le tempérament et le parcours ont quelque chose de romanesque. Et ce, jusque dans l'outrance, voire l'abjection ».

Selon le journaliste, à partir des « indépendances post-coloniales », se noue un « rapport post-colonial » au travers duquel « Les tyrans africains perpétuent le fait colonial » : « Il y a le fait colonial, je serais d’ailleurs le dernier à en nier la brutalité, la violence et l’iniquité, mais cessons de nous retrancher en permanence derrière ce lourd héritage pour absoudre des tyrans qui ont su tiré profit précisément de la perversité de ce rapport post-colonial ». Il indique encore : « Pour danser le tango, y compris celui du despotisme, il faut être deux. La propension des élites européennes à se repaître des frasques et des méfaits des tyrans africains m'a toujours semblé suspecte. D'abord parce qu'elle trahit la permanence du stéréotype du sauvage et du ‘roi nègre’, donc de l'impensé raciste. Ensuite parce qu'elle tend à occulter le lien intime tissé par la puissance coloniale avec le dictateur ainsi vilipendé. »

Le journaliste explique sa motivation dans un interview par Malick Diawara dans le Point : « Ne croyant ni aux raccourcis essentialistes ni à la malédiction historique, et pas davantage au discours irénique en vogue en Occident sur l'essor inéluctable et irréversible de la démocratie sur le continent noir, j'ai tenté de percer, au moins en partie, ce mystère en dépeignant la trajectoire de dix figures du despotisme africain, anciennes ou modernes, défuntes ou vivantes, déchues ou toujours au pouvoir. » Pour chacun d’entre eux, Vincent Hugeux se concentre sur les faits historiques, qui concernent les personnages principaux d’abord et secondairement d’autres acteurs.

Au lecteur d’en tirer certaines leçons. Il n’est pas directement question de néocolonialisme et de ‘Françafrique’ mais la Françafrique est là à tous les coins de rue, en ce qui concerne au moins cinq des dix protagonistes, Bokassa, Eyadéma Gnassingbé, Mobutu, Teodoro Obiang et Habré, dans leurs relations avec des Français, Jean-Bedel Bokassa et Valéry Giscard d’Estaing, Eyadéma Gnassingbé et Charles de Gaulle, François Mitterrand et Charles Debbasch, Hissène Habré et l’armée française, la DGSE et François Mitterrand.

Par exemple, ce que décrit le journaliste, c’est qu’Hissène Habré est bien connu avant de devenir un allié des Français et des Américains. Les dirigeants français savent qu’il a un fonctionnement de ‘terroriste’, capable de tuer une innocente lors d’un enlèvement, et de ‘psychopathe’, capable de tuer et provoque des morts massivement, avant de faire alliance avec lui, pour s’opposer à Khadafi. La logique est géopolitique et surtout militaire et elle n’a aucun lien avec des considérations sur les droits humains et la démocratie. Ce n’est pas après seulement que l’on est informé des crimes. Ces crimes étaient plus ou moins prévisibles. En 2021, le soutien du coup d’Etat militaire à Ndjaména repose sur une logique similaire de négation des risques, à un niveau de gravité largement moindre. Si on prive un peuple de libertés, pourquoi voulez-vous qu’il se laisse faire et n’accuse pas les alliés des putschistes de complicité de tyrannie ? Vincent Hugeux est l’un de ceux qui aujourd’hui parlent des risques à nouer des alliances sans en prévoir toutes les conséquences.

Pour les dirigeants français, avec Habré, il n’est pas question de psychologie mais à un niveau de déni des réalités psychologiques et judiciaires, on est aussi dans un déni de la base de la réflexion psychologique. Il n’est pas directement question de psychologie mais la psychologie des « tyrans », « autocrates » ou « dictateurs » est un thème sous-jacent du livre. Elle est évoquée rapidement parfois au travers de mots comme « paranoïa » : « enfance chaotique, volonté de revanche, blessures narcissiques, paranoïa, régression clanique, dérive messianique ». Dans un style fictionnel, le livre de Léonard Vincent ‘Les hommes du ministères’ sorti en 2019 décrit de manière précise la psychologie d’Issayas Afewerki, sans le nommer. Pour les faire disparaître un jour, il faut sans doute décrire ces hommes, briser le tabou d’une certaine médiocrité derrière l’horreur.

Sur France 24 le 8 avril, Vincent Hugeux, impressionnée par l’actualité électorale désastreuse de 2021, au Congo Brazzaville, au Bénin et au Tchad va au-delà de la logique de son livre pour s’étendre sur les élections. Il tire un enseignement de son livre sous la forme d’un avertissement aux décideurs « occidentaux » : « À mon sens, la quasi-totalité des tyrans passés en revue au fil des pages ont été ou sont encore des anachronismes sur pieds… le coût politique, humain et symbolique de tels diktats devient de plus en plus prohibitif. La question n'est pas de savoir si ces pouvoirs tomberont, mais quand, à quel prix et au profit de qui. L'autre enseignement s'adresse aux puissances occidentales – France en tête –, qu'elles aient ou non un passé colonial. Soutenir obstinément, au nom de la sacro-sainte ‘stabilité’ comme de l'impératif sécuritaire des régimes disqualifiés n'a aucun sens. Il n'y a pas de plus sûr moyen de s'aliéner les élites de demain … et de discréditer les instruments de la démocratie. »

Régis Marzin

11 mai 2021, compte-rendu de lecture