Le conseil scientifique du Campus Condorcet invite
Catherine
Le Bris, juriste du CNRS à Paris 1 et
Pierre-Edouard
Weill, sociologue à l’Université de Bretagne occidentale à Brest, pour
présenter l'étude « Droits de l’homme et
collectivités
locales : du global ou Local (GLOCAL) » menée depuis 2013.
Catherine Le Bris a eu l’idée de travailler sur le sujet après avoir observé
les dysfonctionnements d’une administration face à une jeune femme en difficulté,
une jeune prostituée venue du Nigéria. Aucune recherche n’avait encore été
faite sur les régions, les départements, les communes et les droits humains. Le
sujet porte à la fois sur la prise en compte des droits humains dans les
collectivités et par la place prise dans les collectivités dans une gouvernance
mondiale. La recherche peut permettre d’évaluer les politiques.
Catherine Le Bris différencie une approche en fonction des
besoins ou en fonction du droit. Par exemple, le droit au logement est
différent du besoin de logement. Elle souligne la possibilité d’une
participation des intéressé-e-s, une autonomisation d’individus, un ‘empowerment’.
En général, les exigences de droits humains sont portées par des
contre-pouvoirs et le fait de donner une place aux collectivités fait craindre
à certain-e-s une « perte de dimension subversive » dans une « rhétorique
vide », ou d’autonomie dans une critique constructive. Elle distingue une
logique ‘top-down’, du haut vers le bas, pyramidale, et une logique ‘bottom-up’,
si « l’élan vient de la base ». « L’Etat est un tout en droit,
et l’Etat est responsable de tous les agents de l’Etat », ce qui fait qu’« un
agent de collectivité engage l’Etat ». Il y a trois obligations « de
respecter » les droits humains, de « protéger des violations par un
tiers », et « de réaliser ou rendre effectif ». Par exemple, la ‘préférence
nationale’ de la mairie de Vitrolles a été dénoncée par le ‘
Comité pour
l’élimination de la discrimination raciale’ de l’ONU. La Cour européenne
des droits de l’homme (CEDH) a condamné la commune d’Herblay dans le Val d’Oise
pour une expulsion de ‘gens du voyage’ qui a violé la
Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des
libertés fondamentales sur le droit au domicile dans une absence de ‘
proportionnalité de l’ingérence’. La
CEDH a aussi émis des réserves sur les villages d’insertion des Rroms.

Pierre-Edouard Weill présente l’enquête réalisée dans le
cadre de l’étude. Entre autres, le chercheur c’est intéressé à la perception
par des élu-e-s et des agents des droits humains, à leurs compétences, leur compréhension.
Il distingue les « pratiques juridiques » et la « bonne volonté
juridique ». A la recherche de « probants et de contre-intuitif »,
il a classé des participants à l’enquête, 500 personnes de Strasbourg à
Plouguerneau, qui ont répondu à un questionnaire, en fonction de
caractéristiques, « le statut de la collectivité, le nombre d’habitants
des communes, la coureur politique de la majorité, les connaissances
juridiques, les trajectoires professionnelles et militantes ». Le sociologue
a trouvé des élu-e-s de gauche de grandes villes, plus diplômé-e-s et plus
volontaires. Trois grands groupes apparaissent, celui qui voit les droits
humains comme de « lointaines chimères », surtout dans les petites
communes, composé d’élu-e-s, un peu plus à droite, plus âgé-e-s, plus souvent masculins
et moins diplômé-e-s, celui qui en parle comme des « vœux pieux » et
celui de la « ligne d’horizon pour l’action » dans les régions et les
départements, plus à gauche, plus féminin, plus diplômé-e-s. Il y a « un
continuum plutôt qu’une opposition tranchée » entre ces groupes. La
volonté de bien faire n’est pas nécessaire pour bien faire car tous-tes les responsables
n’ont pas conscience de ce qu’ils ou elles font, même en bien. Globalement, le
cadre institutionnel prime sur les caractéristiques personnelles des élu-e-s.
Catherine Le Bris reprend la parole pour expliquer les ‘normes’
juridiques et leur subsidiarité. Le droit international prime en théorie sur le
droit national mais il y a des exceptions si le droit n’est pas assez ‘clair et
précis’. Elle évoque les ‘villes sanctuaires’ aux USA qui refuse le droit
fédéral sur le droit d’asile et les expulsions. Les villes prennent des initiatives
sur l’égalité femmes-hommes ou l’accueil des migrant-e-s. Des maires ont pris
des arrêtés contre les coupures d’eau et d’électricité, ce que la justice a condamné
mais cela a fait avancer le droit pour mieux encadrer les coupures. 1 773
communes dans le monde ont signé la ‘Charte européenne pour l’égalité femmes-hommes dans
la vie locale’ et certaines ont adopté des plans d’actions. Le but de ce
type de conventions est aussi de « créer une culture locale des droits de
l’homme ».
Pendant le débat, M. Hafidi, élu d’Aubervilliers, remarque que la séparation
droit-gauche ne fonctionne plus. Il évoque le catholicisme à droite et les 22 000
migrants de Valls face au million de Merkel. Il considère que les élus sont
sous pression des individus. Pierre-Edouard Weill qui a fait une thèse sur le
Droit au logement opposable confirme sur le catholicisme social. Il est
chercheur en bout de Bretagne, là où, surtout à la campagne, la religion
catholique a façonné une société très longtemps assez conservatrice. Un second
élu d’Aubervilliers, M. Rozenberg, dit que le conseil municipal est « en
première ligne » face à « une urgence sociale humanitaire ».
Catherine Le Bris conclut sur la nécessité pour l’Etat d’associer
les collectivités locales à la politique des droits humains et Jean-Marc
Bonnisseau, le président du Campus Condorcet conclut à son tour
sur la nécessité de formation.
La conférence est intéressante malgré un
manque d’exemples concrets à certains moments. Il aurait été utile de mieux
décrire les différents domaines dans lesquels les élu-e-s peuvent se poser des
questions de droits humains et de hiérarchiser ces domaines. Parfois des élu-e-s
sont mis cause. En ce moment, le gouvernement français est en conflit ouvert
avec les associations de droits humains sur les ventes d’armes à l’Arabie
saoudite et sur les violences policières. A ce niveau de gravité des faits,
tous les citoyen-ne-s sont concerné-e-s, y compris les élu-e-s et les chercheur-se-s,
mais aussi les partis politiques auxquels appartiennent les élu-e-s locaux-ales.
Quand la situation se dégrade comme elle s’est dégradée depuis l’été 2018, il
est de plus en plus difficile de faire entendre des demandes de respect du
droit sur l’ensemble des droits.
Régis Marzin
20 mai 2019