vendredi 17 avril 2015

16 avril 2015, Aubervilliers, dette et extractivisme

Décidément, çà bouillonne d’idées ! Après l’excellent rendez-vous avec Y’en a marre la semaine dernière, voici que le Grand Bouillon propose une rencontre avec Nicolas Sersiron, président du Comité pour l'annulation de la dette du Tiers Monde (CADTM) - France et auteur du livre « Dette et extractivisme », un livre sorti il y a 5 mois.
Avant la discussion, le film « Kel dette ? » de Michel Crozas, sur les rappeurs du Sénégal et la dette, est un peu daté et simple, bien que très sympathique et intéressant sur la musique. Entre 2005 et 2012, des associations ont beaucoup demandé l’aide des musiciens pour faire passer des messages à un plus large public, et c’était le cas du CADTM à l’époque du Forum Social Mondial de Dakar en 2011. Cela a assez bien fonctionné à l’époque. Ce qui est intéressant, c’est de retrouver dans le film le rappeur Fou malade qui était là dans le café une semaine plus tôt.
Du coup, entrainé par Nicolas Sersiron, le débat prend tout de suite un peu de hauteur et de profondeur historique. Il nous explique d’abord ce qu’est l’extractivisme, un « pillage des ressources humaines, naturelles et financières », dont la source remontre 400 ans en arrière, dans une première expansion du commerce européen à l’époque de la conquête de l’Amérique. Il retrace rapidement son parcours, passant par les massacres d’indiens, « génocide » sur certaines îles comme Haïti, l’esclavage, l’indépendance des USA, restants liés à l’Europe, puis un XIXe siècle la conquête de tous les continents, l’avènement de la société de consommation, jusqu’à l’utilisation maximale de la dette odieuse illégitime à partir de 1945 et surtout 1960.
Selon lui, La dette a remplacé les armées coloniales. Entre 1945 et 1960, la Banque Mondiale a commencé a prêté à des pays pas encore indépendants, qui sont devenu indépendants directement endettés. Quelque dizaines d’années de néocolonialisme plus tard, les dettes des pays du sud on servi à imposer, le libre échange, défavorable au pays pauvres, sous la pression des Plans d’ajustement structurel, qui ont fait baisser les budgets de l’éducation et de la santé. Les remboursements en devise ont aussi obligé l’installation de l’exportation des ressources naturelles et l’installation de l’agriculture d’exportation, alors que des pays comme la France écoulaient après 1945 des surplus agricoles. Aujourd’hui un pays comme la Tunisie, qui a chassé son dictateur est encore face à une dette odieuse qui l’oblige à des contorsions.
Le point de vue est vraiment synthétique et les quelques débatteur-se-s autour de la table ont plein de questions, par exemple sur la dette publique en France, en Grèce, les dettes des villes et des individu-e-s. Entre 2007 et 2012, la dette publique française est passé de 1200 à 1800 milliards, les banques ont été sauvées mais les Paradis fiscaux et judiciaires aussi, et le monde compte « 300 milliardaires de plus par an ». Aubervilliers avec les tontines chinoises ou le refus d’emprunter aux banques pour cause de religion musulmane,  est aussi évoqué.
J’avais remarqué avec le film « La fin de lapauvreté », de Philippe Diaz, beaucoup projeté par le CADTM, que ce n’était pas évident d’encaisser le choc d’une analyse sur plusieurs siècles, sans doute parce que l’idée que le monde n’a pas pris la bonne direction depuis longtemps nous plonge dans des abimes de questionnement sur ce qu’il faudrait faire.
Le débat se termine sur l’agriculture et l’alimentation. Nicolas Sersiron dénonce le fléau de l’agriculture productiviste, qui est un « non-sens » et provoque un « maximum de morts », en raison de la destruction de l’agriculture paysanne dans les pays pauvres, l’effet de serre, la faim et la malnutrition, la mal-bouffe et les maladies qui en découlent. Les paysan-ne-s sont entrainé-e-s par l’utilisation d’engrais dans le modèle productiviste (je remarque que certain-e-s démarrent leur profession en s’endettant) puis, tout en devenant patron-ne d’une ferme, sont comme salariés d’une entreprise, d’une grande chaîne, dans laquelle ils ou elles ne sont que des maillons, « extracté-extracteur ».
Je propose quelques nuances sur le néocolonialisme : un modèle initial de 1960 dans les ex-colonies françaises a divergé surtout à partir des années 2000. Des responsabilités se sont partagées, et les efforts et les luttes des africains pour sortir du piège de la dette ou du néocolonialisme ont parfois portés des fruits. Cela conduit à parler aussi des « classes moyennes » en Afrique, et dans les pays riches...
La chaleur de cette fin de journée de printemps, digne du réchauffement climatique, nous aide à nous rassurer avant de partir. La discussion a du mal à s’arrêter, et nous finissons sur l’éloge du régime végétarien !

mercredi 8 avril 2015

8 avril 2015, Aubervilliers, Y'en a marre !

Ce mercredi, au Grand bouillon à Aubervilliers, dans le cadre du festival Banlieues Bleues 2015, le rappeur Fou Malade, qui était il y a quelques semaines retenu prisonnier par Joseph Kabila au Congo Kinshasa, est venu présenter le mouvement sénégalais Y'en a marre. Il est accompagné de la réalisatrice du documentaire "Quitte le pouvoir", Aida Grovestins.
Le documentaire projeté avant la discussion raconte le rôle de Y'en a marre pendant la crise électorale sénégalaise en 2012. A l'époque, le conflit dans une démocratie à peu près correcte en Afrique avait surpris tout le monde. Je n'avais fait attention qu'à la volonté de Wade de baisser de 50 à 25% le pourcentage de vote pour être élu. Si cela n'était pas là une attaque de la démocratie ! Je n'avais pas cru que cela puisse se réaliser, c'était trop énorme et cela n'existait nul par ailleurs. J'avais alors pensé que cela reflétait surtout la volonté de Wade de fixer un rapport de force favorable dans les affaires de corruption concernant son clan après une probable défaite.  
En regardant le film, je comprends que Wade avait en réalité réussi à imposer sa participation au vote pour un 3e mandat, en argumentant hypocritement que la limite était apparue après sa première élection en 2000. Ainsi, s'il n'avait pas réussi à imposer les 25% il avait tout de même réussi à bafouer la constitution sur la limitation du nombre de mandats présidentiels, précédents en cela, Blaise Compaoré, Joseph Kabila, Sassou Nguesso ou Pierre Nkurunziza.
Je remarque grâce au film que les sénégalais-es parlaient déjà de "coup d'Etat constitutionnel". Wade a réussi ce coup d'Etat constitutionnel en focalisant l'attention internationale sur l'histoire des 25%. Par la suite, obtenant 34% au premier tour, il n'avait pas dépassé ces 34% au second tour. Il n'y a pas de mot pour dire le contraire de démocratisation, cela pourrait être un néologisme comme "ditctatorisation". Au moins 34% des électeur-trices sénégalais-es acceptaient la "ditctatorisation". L'expression "coup d'Etat constitutionnel" est maintenant au centre de la communication de la campagne Tournons la page
Dans le film, on voit aussi Y'en a marre qui appelle à ne pas voter Wade. Un ami spectateur demande à Fou malade si, alors, Y'en a marre soutenait Macky Sall qui doit certainement avoir lui-même des défauts. Je confirme ici : le grand démocrate Macky Sall a, par exemple, expulsé le blogueur tchadien Makaila Nguebla sous pression du dictateur sanguinaire, grand ami de Jean-Yves Le Drian, Idriss Déby. Sale histoire ! Je prends la parole pour préciser que c'est la constitution sans laquelle il n'y a pas de démocratie que défendaient les activistes sénégalais, et non un politicien en particulier.
Fou malade raconte aussi le soutien apporté par Y'en a marre et Balai citoyen à Filimbi (coup de sifflet), mi-mars à Kinshasa, et explique les filimbistes sont encore emprisonnés. Entre autres, Fred Bauma de la Lucha et Filimbi, Sylvain Saluseke de Filimbi, l'informaticien Yves Makwambala, et depuis le 7 avril Francis Omekongo, le concepteur du logo de Filimbi, sont emprisonnés sans que leur avocat puisse les voir. Depuis des mois, Joseph Kabila est face à une contestation de sa dictature qui met en évidence la vrai nature de son régime. Dans les dictatures fortes comme dans les démocraties africaines fragilisées, la population est les jeunes en particulier s'organisent ou essayent de le faire malgré la répression, et Y'en a marre est disponible pour venir discuter sans "donner des leçons" et pour "apprendre" des autres. Fou malade conclut qu' "une nouvelle génération" veut "bouger pour une transformation globale de l'Afrique".
Article écrit et publié le 12 avril 2015.

lundi 6 avril 2015

6 avril 2015, Paris, les malheurs du Gabon

Ce lundi 6 avril, je suis allé à la conférence "La Françafrique au Gabon, conséquences sociales et économiques d'un pillage érigé en système" alors que je suis vraiment trop fatigué pour suivre correctement. La soirée est organisée par Thomas de Survie dans le cadre d'une tournée en France du syndicaliste Marcel Libama de la « Dynamique Unitaire ».  Les autres intervenants sont les journalistes fuyant la répression Désiré Ename et Jonas Moulenda et le célèbre Marc Ona, de passage à Paris pour Tournons la Page. Il est question des luttes syndicales, des crimes rituels, de la corruption, de l'argent du pétrole, des français au Gabon, de la biométrie de la société française Gemalto en 2013 payée très cher pour très peu de résultats, et de la multitude d'affaires qui affaiblissent correctement "le petit" Ali Bongo en ce moment... à suivre jusqu'à la présidentielle en 2016... Le "petit" pourrait perdre pour de bon si ça continue...
Petit article publié le 13.4.15

jeudi 2 avril 2015

2 avril 2015, Saint-Denis, à propos des Biens mal acquis

A peine 15 jours après la fin de mon exposition photo à Folies d'encre à Saint-Denis, je retrouve la librairie pour une rencontre avec Julien Sole et Xavier Harel sur les "Les bien Mal acquis" autour de la revue dessinée numéro 7 dans le cadre du Festival Hors limite. C'est une nouvelle fois une ambiance très sympathique pour un débat qui devient vite passionnant. La libraire qui a connu François-Xavier Verschave s'intéresse à la Françafrique depuis longtemps.
Le journaliste Xavier Harel est connu pour ses livres, "Afrique pillage à huis clos", en 2006, sur le pétrole, surtout au Congo-Brazzaville, et "Le scandale des Biens Mal Acquis", avec Thomas Hofnung, en 2011. Il a écrit le scénario d'une partie de la revue dessinée numéro 7 sur la Françafrique et les dictateurs, pour le dessinateur Julien Sole. Il résume l'histoire des Biens mal acquis, pour expliquer le contexte du scénario de la bande dessinée, en repartant du rapport du CCFD de 2009 rédigé par Jean Merckaert et Antoine Dulin.
Cela me permet de témoigner sur le partage des rôles au départ vers 2007 entre le CCFD-Terre solidaire entre CCFD et l'association Survie. J'oublie de dire que ce partage des rôles a été discuté au sein d'une plateforme associative parisienne, la "plateforme citoyenne France-Afrique" très active entre 2006 et 2008, environ. Le but était bien de s'attaquer à des acteurs français et africains de la Françafrique et pas seulement aux dictateurs. La disparition de Survie dans la poursuite des plaintes et le suivi par Sherpa et Transparency international a sans doute fait oublier l'importance de Survie dans la problématisation initiale d'une médiatisation des Biens mal acquis, qui connaîtra ensuite un énorme succès et aura un grand impact politique. Des activistes comme Marc Ona et Grégory Mintsa, pour le Gabon, se sont aussi beaucoup impliqués. 
Aujourd'hui, la relation entre les Etats français et équato-guinéen a été profondément atteinte par l'affaire, et la justice n'a pas encore abordé sérieusement le Congo-Brazzaville et le Gabon.
Comment parler de tout cela sans revenir sur le financement des partis politiques et personnalités en France par les dictateurs africains et le poids qui persiste d'un potentiel de chantage. Cela renvoie un moment le débat sur l'évolution de la Françafrique, un sujet qui me tient à cœur. Comme l'affaire des Biens mal acquis a elle-même réussi à affaiblir la françafrique, celle-ci a continué de se transformer: par exemple, les dictateurs ont continué de s'autonomiser et de s'éloigner d'un modèle initial néocolonial resté très stable entre 1960 et 2000, ou encore le marché du pétrole et le lien entre ressources naturelles et politique française ont aussi changé. J'insiste sur la nécessité de bien savoir si l'on parle de "la politique française en Afrique" ou de la "Françafrique", parce qu'une confusion à ce niveau ne permet pas de se mettre d'accord sur un bilan. Le débat autour de la table de Folies d'encres devient alors un peu polémique. Au moins une personne doute que les citoyens 'africains' puissent réussir à sortir leur pays du néocolonialisme. La discussion continue avec plus de précision dans le choix des mots.
Après les BMA, on peut sans doute considérer les élections en Afrique comme un second thème "levier" contre la françafrique. Un effet "levier" se dit d'une action après réduction thématique à un domaine précis qui permet d'agir sur la structure globale. En 2015, le thème de la limitation du nombre de mandats des présidents africains, choisi par la campagne Tournons la page est un nouvel exemple d' "effet levier".
J'ai bien sûr résumé la soirée en mettant l'accent sur ce qui m'avait le plus intéressé. Avec un petit effort de synthèse, on finit par comprendre que si la Françafrique recule, c'est parce que des gens s'activent à la faire disparaître.
Article écrit et publié le 11 avril 2015.

mercredi 1 avril 2015

1er avril 2015, Paris, Tournons la page ! le rapport

1er avril 2015: Tournons la page ! Pas de démocratie sans alternance ! Après le lancement du plaidoyer début février, la campagne Tournons la page prend de l'ampleur et publie son rapport ‘En Afrique comme ailleurs, pas de démocratie sans alternance’. Lire l'article sur le blog Regard * Excentrique. (article ajouté le 5 avril 2015)