samedi 24 novembre 2018

24 novembre 2018, Plaine-Saint-Denis : Ousmane Sonko candidat à présidentielle sénégalaise

Le député Ousmane Sonko est le candidat du parti politique Pastef à la présidentielle de février 2019 au Sénégal. Il passe trois jours à Paris pour rencontrer la diaspora et les journalistes. Le samedi 24 novembre, il propose aux journalistes une conférence de presse.
La conférence commence par une description de l’état politique du Sénégal. Il décrit un ensemble de faits. Le gouvernement a refusé de commenter l’application de l’article 27 de la constitution qui interdit le 3e mandat, se mettant à créer un flou sur le compteur de mandat. Ousmane Sonko reproche à Macky Sall la « liquidation des adversaires politiques » avant la présidentielle, la corruption maximale, la modification de la constitution et du code électoral pour exclure des candidats, l'exigence d'une quantité anormale de parrainages. Il se dit lui-même attaqué. Au niveau du processus électoral, il y a débat sur le fichier électoral, la délivrance des cartes d’électeurs. Il indique que Macky Sall voudrait que le ministère de l’intérieur organise l’élection à la place de la Céni. Il parle d’un risque de blocage des réseaux sociaux et termine sur la « cabale contre le mouvement citoyen » Y’en a marre.
Il constate que l’essentiel de l’activité économique du Sénégal appartient aux multinationales, françaises surtout, ou sinon marocaines ou soudanaises. Il souhaite protéger les commerçants de l’arrivée des supermarchés et quelques autres filières importantes, imposer des joint-ventures et des transferts de technologies. Il affirme sa solidarité avec les immigrés et avec les étudiants victimes de la hausse des frais de scolarité en France. Il enchaine sur les ressources naturelles, la fiscalité et la politique monétaire. Il dénonce les contrats pétroliers qui ne rapporte que 10% au Sénégal, alors que Total a reçu les meilleurs blocs. Selon lui, la fiscalisation qui signifie l’obligation de tenir une comptabilité, fera que le secteur considéré comme « informel » passera de 5-10% de l’économie à 60%. Toujours concernant les entreprises françaises, il regrette la construction du Train TER qui a coûté 1200 Mds de CFA (1,83Mds€) au lieu de 600 (0,92Mds€) prévus au budget et se scandalise de 150Ms€ de surcoût lié à l'avancement de l'inauguration de la ligne dans un seul sens juste avant la présidentielle, auxquels s'ajouterait, selon lui, 305 Ms€ - « 200 Mds CFA d'annulations de redressements fiscaux en faveur de sociétés françaises ».
Il insiste sur une sortie du CFA : « Nous l'avons dit et nous avons pris une position, on ne peut pas continuer avec le Franc CFA. Nous, si on est élu, de manière responsable et intelligente, nous sortirons de ce Franc CFA. D'abord parce que c'est une monnaie qui n'est pas calquée sur la taille réelle de nos économies. Elle est arrimée à une monnaie très forte, celle de la première zone économique du monde. C'est une monnaie qui ne nous permettra jamais d'être compétitif à l'exportation ». Après avoir évoqué la Cédéao et le Nigéria « instable », il précise que le Sénégal peut sortir seul du CFA.
Sur la relation France-Afrique, le président du Pastef souligne que « la France a besoin de l’Afrique » et que « si elle ne sait pas décrypter, elle sera éjectée ». Il évoque alors le génocide du Rwanda. Il souhaite « rééquilibrer les relations avec la France ». Il veut sortir de « la peur de la France » et du « complexe du dominé », et selon lui, un candidat ne doit pas essayer de « plaire à la France », nommant alors comme exemple, Paul Kagamé qui serait « respecté ».
Par ailleurs, Ousmane Sonko voudrait réglementer les activités des écoles coraniques et « institutionnaliser les relations entre la religion et l’Etat ». Sur la situation au Sahel, il rappelle la responsabilité française au moment de la chute de Khadafi.
Il évoque également des contacts avec Abdoulaye Wade en établissant aussitôt une certaine distance. Il veut empêcher l’enrichissement personnel des dirigeants grâce à « un recensement des responsabilités et rémunérations et à la publication » des informations. Il annonce la mise en place d’un contrôle de gestion public basé sur « l’autonomie, la saisie des juges et des sanctions ».
A la fin de la conférence de presse, le président du Pastef enchaine dans l’après-midi sur un meeting dans l’immense salle des Docks de Paris devant plusieurs milliers de personnes, 5000 sans doute. En fin de journée, lors d’un diner de gala, la diaspora est finalement invitée à financer la campagne du député, à l’américaine.
Régis Marzin
Compte-rendu écrit et publié le 26.11.18

lundi 19 novembre 2018

19 novembre 2018, Plaine-Saint-Denis, Campus Condorcet : histoire de tout ?

« Les historiens affrontent l’inégalité de nos capacités de compréhension des sociétés du passé. L’inégalité dérive du rapport entre sociétés européennes et sociétés colonisées dont les discours, les images, les normes, les croyances obéissent à des styles, à des cadres, à des langages qui sont compréhensibles mais pas identiques à ceux des Européens. » Ce lundi 19 novembre, je suis attiré au Campus Condorcet par ce début d’introduction de la présentation de la conférence de l’historien Jean-Frédéric Schaub, de l’EHESS. Ce spécialiste des mondes hispaniques et de l’« assymétrie dans l’histoire comparée », auteur en 2015 du livre « Pour une histoire politique de la race », se propose de traiter la question « Peut-on faire l’histoire de tout ? ».
Le chercheur commence par décortiquer sa question : « histoire », « tout », « pouvoir » - la capacité ou le droit -, et « on ». Il part d’un axiome : « Tout ce qui a eu lieu a bien eu lieu » : c’est-à-dire, qu’« il n’est pas possible d’intervenir sur le passé » quand on écrit « l’histoire de ce qui a eu lieu ». Le fait que « nos ancêtres ne connaissaient pas le futur et nous ne connaissons pas le futur » définit, selon lui, la liberté. « Tout ce qu’on croit stable subit le changement » et « l’histoire reconstitue les processus sociaux et les regards que les hommes s’en faisaient », ajoute-t-il.
Il évoque un « rejet de l’histoire née en occident » associé à la dénonciation d’une « domination culturelle ». Il précise que « ce qui est visé, c’est un discours sur l’histoire attribué à Hegel » qui a développé un « différentiel entre les peuples » en plaçant les « africains au plus bas ». L’histoire de l’histoire ou des histoires, montre, selon lui, « un ensemble de traditions et de propositions contradictoires ». Même si chacun tente d’éviter les contradictions, selon un critère de cohérence interne », il y a « beaucoup d’incohérences ». Par exemple, Condorcet a pensé « une convergence progressive de toutes les sociétés vers un modèle unique » a combattu l’esclavage, et voyait l’occident comme une « avant-garde » tout en « défendant les victimes ». Il parle ensuite des « civilisations » au XIXème siècle, à l’époque d’un « eurocentrisme », pour lesquelles il n’y a pas eu de « conception unique ».
A propos de « tout », il constate depuis internet et le « désenclavement de la globalisation » un changement de « rapport au monde du passé ».
A propos de « pouvoir », l’historien parle d’« enjeux moraux et politiques ». Il y avait des sujets auparavant objets de réticences, comme « les pauvres, les femmes, les colonisé-e-s » quand les sujets prioritaires étaient « les décisions politiques, la diplomatie, les stratégies militaires ». Plus récemment, les sujets sont remis en causes dans une approche « post-démocratique » qui succède à une période « démocratique », vers une disparition des « classes, genres et races ».
A propos de « pouvoir », cette fois au niveau d’une faisabilité plus technique, il rajoute que les vainqueurs laissaient beaucoup plus de traces que les vaincus, les riches que les pauvres, et les hommes que les femmes. Il parle de « duperie » dans « l’histoire de l’ancien colonisateur ». Il y a de l’inégalité en volume et en qualité de sources et aussi en conservation selon le climat. Et, il ne faut pas oublier les enfants ! Il insiste sur la langue des sources et sur la nécessité de traduire des sources.
Enfin, il arrive au « on », c’est-à-dire à « qui est habilité ? ». Il mentionne des actes de censure artistique aux Etats-unis de personnes qui voudraient réserver le discours sur les « noirs » aux « noirs », alors que des historiens variés ont travaillé sur l’histoire des juifs, des esclaves, ou encore qu’il y a des « garçons féministes ».
L’historien conclut que, « oui, on peut faire histoire de tout ». Selon lui, à propos de « l’occident », « tous les systèmes colonialistes sont différentialistes ». Il invite à « résister à une communication identitaire » et termine sur l’« universalisme méthodologique » une notion encore très mal traitée par Google.
Je pose la première question : « Peut-on dire que l’on peut faire histoire de tout sauf des crimes trop récents ? A cause des accusations de diffamation, à cause des amnisties, de l’évolution du droit, de la censure venant des Etats ? Que fait-on quand les crimes sont déterminants ? Il répond sur la censure des Etats : celui lui évoque l’histoire algérienne et la Yougoslavie. Il pense que l’ont peut étudier la censure. Le débat est ensuite très court et se résume à quatre questions, car il faut rendre la salle ! Jean-Frédéric Schaub termine sur la boulette du discours de Dakar de Nicolas Sarkozy « L’homme africain n’est pas entré dans l’histoire », selon lui, une erreur de copier-coller de l’éloge de de Gaulle à Félix Eboué de 1947.
Dans le couloir, pendant le pot, je réussi très rapidement à faire remarquer à Jean-Frédéric Schaub que je le trouve trop sur la défensive sur les accusations de dominations culturelles liées à la colonisation et au processus de racialisation. Il admet qu’il revient des Etats-Unis. La conférence a lieu à Saint-Denis, mais à Plaine, assez loin de la fac, et avec un public d’Aubervilliers surtout, de la ville du consensus en fin de vie. Me consacrant moi-même à écrire l’histoire récente et plus ancienne des élections en Afrique en tenant compte de l’histoire de la domination coloniale partiellement écrite, je ne pourrais pas faire ce travail en étant sur la défensive. Il y a des faits à découvrir qui sont difficiles à mettre en évidence que ce soit, pour les historien-ne-s, les politologues, ou autres chercheur-se-s, que ce soit par des juges, des politicien-ne-s, des militant-e-s, des journalistes ou des journalistes d’investigation, qu’ils ou elles soient d’un pays ou d’un autre. Dans certains cas, l’histoire est aussi un sport de combat, focalisé sur la recherche de résultats par les plus motivé-e-s.
Régis Marzin
Compte-rendu écrit et publié le 26.11.18