samedi 2 décembre 2023

30 novembre 2023, Paris : Etats généraux de la presse indépendante

Les Etats généraux de la presse indépendante sont organisés le jeudi 30 novembre dans le 12e arrondissement de Paris par « Cent médias indépendants et organisations, syndicats de journalistes (SNJ, SNJ-CGT), collectifs de journalistes (Informer n’est pas un délit, Profession pigiste, etc.), associations de défense des droits (Sherpa, Maison des lanceurs d’alerte, etc.), associations de défense de la liberté d’informer (Un Bout des médias, Fonds pour une presse libre, Acrimed, etc.) ». L’événement a été au départ proposé par le Fonds pour une presse libre, en réponse aux États généraux de l’information, voulu par l’Élysée et qui se déroule depuis le 5 octobre dans une certaine indifférence malgré la participation de quelques acteurs importants dont Reporters sans frontières. La mobilisation a été aussi déclenchée par l’attaque de la liberté de la presse dont ont été victime le media Disclose et la journaliste Ariane Lavrilleux sur l’affaire de l’Opération Sirli et des ventes d’armes au pouvoir dictatorial de très haut niveau du maréchal Sissi en Egypte. 

Le collectif organisateur s’est éloigné de la question de la liberté de la presse et de la protection des sources de l’affaire Sirli pour aller également sur le terrain social et économique. Il a publié la veille de l’événement « 59 propositions de réforme de la presse et de notre système d’information », qui ont été travaillées collectivement. Ces propositions concernent les thèmes « Concentration des médias, actionnariat, droits des rédactions », « Renforcer le droit à l’information », « Lutter contre la précarisation de journalistes », « Réformer les aides publiques à la presse ». Toutes les propositions n’ont pas été directement retenues et certaines seront mieux étudiées, comme l’idée d’une intermittence pour les journalistes. Une proposition semble au cœur de la mobilisation, une proposition sur le tarif minimum des piges : « Augmenter les tarifs minimums de pige dans toutes les branches de la presse et imposer des minimums décents dans les branches où aucune grille n’existe, notamment le web. Pour la presse magazine, une première proposition évoque un tarif minimum à 65 € ou 70 € brut le feuillet contre 53 € brut aujourd’hui. »

NB : Un feuillet = 1500 signes espace compris : 53,20€ / 1500 = 0,036 le signe.

Durant la soirée alternent des plénières de 4 ou 5 intervenants et des tribunes sur les thèmes principaux. La question du contrôle de la presse par les milliardaires et leur capacité à censurer et à influencer les discours des media revient régulièrement. Vincent Bolloré est jugé particulièrement nocif. Edwy Plenel vient à la tribune nous dires ses inquiétudes concernant la démocratie, à l’époque où certains, dans les réseaux sociaux, veulent « noyer les gens dans la merde » pour « qu’ils soient perdus ». Il veut faire passer le message que « la démocratie est un écosystème fragile » que les « media de la haine » mettent en danger. Il va très loin, et peut-être un peu trop loin pour le message qu’il souhaite transmettre, en remémorant le souvenir de Radio 1000 collines au Rwanda en 1993 et 1994. Il souhaiterait que les fréquences de télévision (TNT) ne soit pas accordées à ceux qui veulent « transformer une chaîne d’information en une chaîne d’opinion ». Il pense qu’« il serait temps d’empêcher cette dictature des opinions qui ruine la liberté des informations », ce qu’il reprécise le lendemain dans une tribune de Médiapart.

Le débat sur le droit d’informer se porte longuement sur les procédures-baillons qui ralentissent les enquêtes, privent les media de ressources et poussent à l’autocensure. Par exemple, sur scène, le représentant de Mediacités, Jacques Trentesaux, évoque 20 procédures contre son media, 11 gagnées, une perdue et 8 en cours mais surtout 50 000 de frais irrécupérables. Les plaintes en justice contre les media indépendants sont traitées principalement au pénal, ce qui ne permet pas en général de se faire rembourser les frais de justice en cas de victoire pour le media. Ce sont aussi, les reporters sur les actions militantes qui sont visées par des gardes à vue et des poursuites. Sur l’Afrique, récemment, le dictateur togolais Faure Gnassingbé a attaqué en diffamation le journaliste de RMC Nicolas Poincaré et il fait venir de nombreux avocats payés sur son immense fortune.

L’Union européenne, vient juste, la veille, d’avancer sur le sujet, par un accord atteint entre le Parlement européen et le Conseil européen « sur les nouvelles règles de l'UE visant à protéger les personnes visées par les SLAPP (Strategic Lawsuit Against Public Participation), telles que les journalistes, les défenseurs des droits humains ou les organisations de la société civile. Mais pour Tiphaine Beau de Loménie de l’association Sherpa, la loi européenne issue d’une directive de 2017, qui vise à un rejet rapide des SLAPP ne va sans doute pas couvrir assez de situations et il faudra continuer à lutter en France contre procédures-baillons et pour la protection des lanceurs d’alertes.

Le soirée se termine par le témoignage émouvant du journaliste franco-afghan Mortaza Behboudi, retenu prisonnier dans les geôles des talibans entre le 7 et 18 octobre 2023 et visiblement traumatisé par sa détention.

Régis Marzin

1er et 2 décembre 2023,

PS : Arrivé vers 18h45 pendant le débat sur la concentration des médias, le pluralisme, les droits des rédactions, après la présentation générale des propositions et un premier débat sur la Palestine.