jeudi 19 novembre 2015

18 novembre 2015, Paris, paix durable en Centrafrique ?

Depuis le lancement de la campagne Tournons la Page mi-2014, le Secours Catholique continue de s’affirmer par des prises de positions courageuses sur l’Afrique. Quelques jours avant la probable visite du pape à Bangui, il organise dans la soirée du 18 novembre à Paris, à la Maison des Évêques de France, une conférence ‘Centrafrique : Quels leviers pour une paix durable ?’. Les intervenants sont Thierry Vircoulon, d’International Crisis Group, Jean-François Akandji Kombe, centrafricain et professeur de droit à la Sorbonne, et Rachid Lahlou, président du Secours Islamique France. Le débat est animé par Antoine Sondag. (Photo de gauche à droite : Rachid Lahlou, Thierry Vircoulon, Antoine Sondag, Jean-François Akandji Kombe et Aude Hadley du Secours Catholique)
Les derniers jours, j’ai perdu beaucoup de temps et d’énergie à cause du massacre du 13 novembre et j’arrive en retard, quand se terminent les interventions, pour le débat avec la salle. Le programme prévoyait aussi des vidéos de l’archevêque de Bangui, Monseigneur Nzapalainga et du président de la communauté islamique centraficaine, l’imam Kobine Lamaya, que j’ai donc manquées.
La soirée aborde le thème de l’action des ONG en Centrafrique, parfois contestées, par exemple dans l’utilisation de l’argent européen, mais aussi fortement remerciées, surtout pour ses interventions humanitaires.
Rachid Lahlou insiste sur le processus de Désarmement, Démobilisation et réinsertion (DDR). La Séléka a pris Bamabari comme « capitale », et pour lui, le risque de partition existe à plus long terme. Jean-François Akandji Kombe revient sur la fausse lecture religieuse du conflit et dénonce l’ambassadeur de France qui avec Sangaris rencontre la Séléka, dont les chefs sont sur « liste noire ».
Le débat lancé avec la salle, les discussions portent essentiellement sur la tenue des élections. Elles sont considérées comme imposées par la communauté internationale alors que les conditions ne sont pas réunies. Ce point de vue assez consensuel varie peu depuis l’erreur de Laurent Fabius début 2014, qui a comme ‘confondu’ les problématiques de la RCA et du Mali. La pression française sur le gouvernement de transition actuel a provoqué un affaiblissement de la relation entre la France et la Centrafrique. Selon Thierry Vircoulon, une partie des politiques centrafricains veulent se débarrasser du gouvernement de transition. Il affirme que « l’élection est un piège qui se refermera sur ceux qui seront élus ». Il est aussi question du risque d’oubli du pays, qui a déjà commencé mais pourrait être bien pire suite au scrutin.
Un centrafricain du public évoque une guerre idéologique autour des forces soudanaises et tchadiennes qui ont participés à la crise en Centrafrique pour y voir finalement la main cachée des USA, de la France dans un « chaos programmé » et cite quelques livres d’auteurs panafricanistes pour se justifier.
Plus sérieusement, un autre centrafricain, François Passéma critique l’action de la MINUSCA et de Sangaris. Il indique qu’une priorité aurait dû être de remettre avant en place l’administration, ce que reconnaît Thierry Vircoulon.
L’ancienne ministre de la Communication et de la Réconciliation nationale dans le gouvernement centrafricain de transition entre janvier et août 2014, qui a travaillé sur le processus de réconciliation, Antoinette Montaigne, revient très diplomatiquement sur les liens forts avec les tchadiens, sur la « peur du musulman » « vu comme un danger ». Pour elle, les « migrants (tchadiens qui étaient ou sont toujours en RCA) ne sont pas tous centrafricains ». Elle préconise des « consultations populaires pour un dialogue inclusif », la lutte contre l’impunité, un travail social de « distribution des postes et privilèges ».
Comme souvent depuis début 2013, malgré la gravité de la responsabilité d’Idriss Déby en RCA, le point de vue sur le Tchad et son président est exprimé de manière très tempéré sans doute par nécessité, pour laisser une chance au dialogue.
En discutant pendant le pot qui suit le débat, j’arrive à la conclusion que le débat n’a pas été jusqu’au bout sur le point des élections qui sont prévues les 27 décembre 2015 et 31 janvier 2016. Selon moi, après plusieurs reports des scrutins depuis 2014, les dernières dates correspondent à un compromis entre 2 scénarii, celui promu par Laurent Fabius et Jean-Yves Le Drian d’un scrutin rapide et totalement bâclé, favorable à tous les dictateurs d’Afrique centrale, Sassou Nguesso et Idriss Déby en particulier, et celui plus lent d’une démocratisation réelle au travers d’une organisation progressive des démocrates centrafricains, qui pourrait faire tâche d’huile.
D’une certaine manière les conclusions du Conseil européen sur la République Centrafricaine du 17 novembre 2015 expriment les contradictions entre les objectifs et priorités qui sous-tendent ces 2 scénarii : « L'UE continue d'étudier les conditions nécessaires à l'envoi d'experts électoraux lors des prochains scrutins en RCA dans la continuité des efforts déjà engagés, dans un environnement sécuritaire adéquat grâce à l'appui des forces internationales. » Si les conditions étaient réunies, comme elle le laisse croire, il n’y aurait pas besoin d’étudier ces conditions et l’observation ne serait pas dangereuse.
Dans l’expression du piège pour le futur pouvoir élu s’exprime la lenteur de la restructuration de l’Etat, qu’il y ait ou non élection. Une compréhension dialectique permettra suite au scrutin d’estimer les qualités du changement. Il y aura sans doute une certaine légitimité issue des urnes, même si le processus est mauvais parce qu’il n’y pas de président dictateur sortant et d’ancien parti unique dominant, mais cette légitimité ne règlera pas suffisamment ou très peu la question des moyens de redresser la situation au niveau militaire, social, administratif, ce qui fera que le débat sur le poids des responsabilités centrafricaines ou de la communauté internationale devrait continuer.

mardi 17 novembre 2015

17 novembre 2015, Paris, Algérie, à propos du journal El Watan

Ce mardi 17 novembre 2015, le festival Maghreb des filmsest au cinéma Le Louxor, près du métro Barbès. Je tente une seconde timide sortie dans Paris, après le massacre de 13 novembre qui a accaparé mon esprit depuis 3 jours. Le documentaire ‘Contre-pouvoirs’ de Malek Bensmaïl, en avant première, a attiré mon attention parce qu’il parle de la campagne de l’élection présidentielle de 2014 en Algérie. Les films sur les élections en Afrique sont rarissimes et comme journaliste spécialisé dans les processus électoraux, je ne peux manquer ce documentaire. L’invitation par mail  évoque une « une élection gagnée d’avance » par Abdellaziz Bouteflika pour son 4ème mandat.
Le film que je vois n’est finalement pas un film sur l’élection, mais plutôt un film sur le journal algérien El Watan. La presse en Afrique étant un autre sujet qui me passionne également, je suis tout aussi content de voir le documentaire et de participer au débat. Les films sur la presse dans les dictatures ou « régimes autoritaires », sont encore plus rares que les films sur les élections. Le spectateur peut entrer dans le quotidien d’une rédaction, comprendre comment se prennent les décisions. El Watan s’oppose régulièrement au président Bouteflika. Des passages évoquent quelques scandales ou mauvaises habitudes du système, par exemple avec les entreprises qui, pendant la campagne, donnent des cadeaux qui vont dans la poche d’individus. Il montre aussi un mouvement citoyen, Barakat, très actif autour du scrutin et auquel participe un journaliste.
Au débat, sont présents le réalisateur Malek Bensmaïl, le directeur d’El Watan, Omar Belhouchet, la correspondante parisienne, et un journaliste très présent dans le film, Hassen Malek (photo : de gauche à droite : Hassen Malek, l’animateur, Malek Bensmaïl, Omar Belhouchet). Les questions permettent de compléter la compréhension de ce qu’est le journal, ses 25 ans d’histoire. Les actionnaires sont 18 journalistes. Le media s’est renforcé progressivement a axant sa stratégie sur son indépendance financière, grâce à la publicité et à la maîtrise de sa distribution et de l’impression, en évitant d’aller trop vite sur internet. Le journal en langue française sort maintenant à 140 000 exemplaire avec seulement 18% d’invendus. Son directeur pense qu’il est maintenant un exemple pour les journaux dans les régimes autoritaires. Omar Belhouchet précise bien qu’il ne parle pas de dictature mais de « système autoritaire ». C’est un point qui m’intéresse, puisque je classe les régimes en Afrique régulièrement, et que je pense moi que l’on peut classer l’Algérie dans les dictatures en Afrique, s’il faut choisir entre ‘démocratie’, ‘dictature’ et ‘régime intermédiaire, en transition ou indéterminé’. El Watan s’est toujours engagé sur des sujets délicats : « corruption, armée, police politique, santé de Bouteflika » a été suspendu 7 fois à partir de 1993, a connu des arrestations, de la prison. Maintenant, comme partout en Afrique, les attaques sont plus discrètes et perfides, pour éviter d’attirer l’attention des défenseurs internationaux. Après la présidentielle de 2014, le journal a perdu 60% de son budget publicitaire et a été obligé d’augmenter son prix, sans que les ventes ne baissent. Depuis 1999 au pouvoir, Bouteflika n’aime pas la presse algérienne, à laquelle il n’a jamais accordé aucune interview.
Je suis étonné que le documentaire montre des débats sur de l’analyse politique mais ne mette pas en avant des journalistes et techniques d’investigation, avec des scoops basés sur des documents, des enregistrements secrets. Hassen Malek répond à ma question en indiquant qu’il y a un verrouillage très fort du pouvoir qui empêche l’investigation et y voit une faiblesse de la presse algérienne. J’avais toujours pensé que la faiblesse structurelle de la presse en Afrique pouvait être la cause du manque d’investigation, mais je comprends alors que le type de régime peut être une raison plus profonde. Dans des dictatures moins organisées, une presse légère, comme Tribune d’Afrique au Togo entre 2009 et 2013, peut arriver à faire ce qu’un journal solide est empêché de faire ailleurs.
Je sais que je pourrais retrouver les informations à mon bureau, mais je profite du débat pour interroger Omar Belhouchet sur le processus électoral et les techniques de fraudes. Le score soviétique de Bouteflika a été de 81,53% au premier tour. Un processus électoral, ce n’est pas si compliqué, il est bon que le public du Louxor sorte de la salle bien informé. Selon le directeur d’El Watan, le fichier électoral est de très mauvaise qualité, avec 4 à 5 millions d’électeur-trice-s en trop, qui font autant de voix supplémentaires pour le président sortant. Ensuite, les procès verbaux ont disparu et l’administration a inventé des chiffres, sans aucun contrôle de type Commission électorale indépendante. L’Ue sous la pression du pouvoir a mis 6 mois à sortir, trop tard, un rapport accablant. Le journal a subi des attaques financières suite à ses enquêtes sur le processus électoral.
C’était mon premier passage au festival Maghreb des films, et j’ai passé une excellente soirée, apprenant beaucoup de choses sur l’Algérie, sur le fonctionnement de la presse indépendante au milieu d’un « système autoritaire ». Régis Marzin, Paris, 21 novembre 2015

dimanche 1 novembre 2015

1er novembre 2015, Paris, manifestation pour le Congo Brazzaville

Les manifestations contre le coup d'Etat constitutionnel de Sassou Nguesso continuent à Paris. 250 congolais-e-s étaient au Trocadéro et ont marché vers l'ambassade. Comme il y a 11 jours, la colère dominait. Le coup de poignard de Hollande dans le dos du 21 octobre est loin d'être digéré, malgré la non reconnaissance du résultat du référendum par l'Elysée, le 26. Il faut dire que le Ministre de la Communication et des Médias, Thierry Moungala, a fait tourner en boucle sur les télévisions congolaises, un court extrait de Hollande disant  "le président Sassou peut consulter son peuple, ça fait partie de son droit".
Prochain rendez-vous pour la diaspora congolaise le samedi 7 novembre pour une manifestation plus large de Château rouge à République.