Je suis arrivé pour le second panel, manquant l’intervention
de Pierre Buyoya, l’ancien Président du Burundi. Le premier panel dont je n’ai
écouté que la fin était intitulé ‘Les défis du terrorisme : à menaces globales,
quelles réponses globales?’ avec André Bourgeot, CNRS, Jean-Claude Félix-Tchicaya,
IPSE, Jean-Pierre Redjekra, enseignant, RCA, Jacky Mamou, Urgence Soudan, Joan
Tilouine, modérateur du Monde-Afrique. Cette partie du forum mélangeait des
discussions sur la situation en France, par exemple sur le racisme et les
conséquences du terrorisme et de l’expertise sur l’Afrique. Par exemple, j’ai
retenu juste une dernière idée de Jean-Claude Félix-Tchicaya, à peine esquissée,
qu’il peut y avoir des problèmes d’intégration de migrants qui n’auraient pas
rencontré suffisamment la culture démocratique dans des dictatures en Afrique, proposition
qui n’a pas été discutée.
Le deuxième panel rassemble, de gauche à
droite : Amadou Sylla, politologue, SOS Casamances, Jean-Pierre
Vettovaglia, ancien ambassadeur suisse, éditeur du livre ‘
Prévention
des crises et promotion de la paix’ en 3 tomes et 3000 pages, dont "
Démocratie
et élections dans l'espace francophone " (vol. 2, 2010), Alira Adissa, modératrice,
Christophe Guilhou, Directeur paix, démocratie et droits de l’homme à l’OIF, Emmanuel
Dupuy, Président de Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE), Nestor
Bidadanure, philosophe
franco–burundais.
L’introduction de la conférence autour de
multiples questions générales qui demanderaient au moins 10 heures de débat au
lieu d’un peu plus d’une heure, indique que les propos ne pourront qu’être très
généraux. Jean-Pierre Vettovaglia commence par dire que la réalité est pour l’instant
très décevante. Il délimite 3 périodes : 1960-1991, le règne des partis
uniques en Afrique contenant les pays occidentaux; 1991-2001, une période post
guerre-froide d’exigence démocratique imposée et « politiquement correct »,
qu’il pense exagérée pour une période trop courte, parce qu’ « En Afrique
les chefs ne partagent pas le pouvoir » (Il cite Albert Bourgi), puis
2001-2015, période de focalisation sur la sécurité après l’attentat du 11
septembre.
Je ne suis absolument pas d’accord avec ce
phasage, parce que je propose plutôt, d’après mon schéma ‘
Démocratisation
et nature des régimes des anciennes colonies françaises: évolution entre
1990 et 2015’: 1960-1990, néocolonialisme français en ce qui concerne les
20 ex-colonies, 1990-1993, période d’instauration du multipartisme par les
luttes des peuples, les Conférences nationales souveraines, la modification des
constitutions, 1994-1998 période de paroxysme de la Françafrique et de
contre-attaque des dictateurs, 1998-2010 stabilisation et usure systémique
complexe, avec progrès lent de la démocratie et augmentation de la résistance
des régimes dictatoriaux, 2010-2015 augmentation du nombre de pays en
transition démocratique, en crise, ou complexes, lutte d’équilibrage entre les focalisation
sur la ‘Paix et la sécurité’ et ‘démocratie et Etat de droit’.
Emmanuel Dupuy fait un exploit en exprimant un
maximum d’idées et de connaissances en 10 minutes. Selon moi, il rejoint Jean-Pierre
Vettovaglia dans un certain pessimisme, qui pourrait montrer en réalité une
mauvaise analyse des équilibres géopolitiques depuis 2010 et surtout 2012. Il
ne s’agit pas d’être « optimiste » sur la démocratisation en Afrique comme
le serait Pierre Buyoya, mais de mieux d’observer une grande quantité de
changements récents qui interfèrent les uns les autres, et de réfléchir sur les
modalités pratiques.
Le philosophe Nestor Bidadanure apporte un point
de vue plus un peu plus équilibré, tenant compte d’une expérience traumatisante
des Grands Lacs, en exprimant l’idée d’un mélange constant de progrès et d’insuffisances.
Il dénonce « l’insécurité à la base quand règne la sécurité au sommet ».
Il s’inquiète fortement de la montée d’un « populisme identitaire radical ».
Amadou Sylla, lui, considère que l’Afrique dans un
monde qui change aussi, en particulier en raison de l’économie et des
technologies nouvelles, les « destins étant liés », particulièrement
ceux de l’Afrique et de l’Europe.
Christophe Guilhou est Directeur Paix, démocratie
et droits de l’homme à l’Organisation Internationale de la Francophonie, la
direction « bras armé politique ». En présentant le rôle de la Francophonie
sur la démocratie en Afrique, il exprime de loin le point de vue le plus
pertinent et le plus actuel. Je suis agréablement surpris parce que je m’attendais
à un langage diplomatique moins moderne, moins dans un esprit ‘anglophone’, et piégé
par les mauvaises expériences dans les dictatures.
Il rappelle que l’OIF constitués de 80 Etats
membres, travaille autour de textes de références, la déclaration de Bamako de
2000, et la déclaration de Saint Boniface sur la prévention des conflits. Sa
particularité est de fonctionner autour de réseaux, par exemple son réseau d’experts
électoraux, qui fournit de l’expertise aux Etats. Il s’agit d’une « organisation
de coopération intergouvernementale », et elle n’est « pas faite par
les oppositions ». Je comprends positivement : sous-entendu, même si
les oppositions seraient dans certains pays plus légitimes.
Le non respect des règles constitutionnelles peut
conduire à une exclusion, comme actuellement la Centrafrique et la Thaïlande,
mais la Direction Paix, démocratie et droits de l’homme continue de travailler
avec ces pays. En Centrafrique, la Francophonie aide sur le processus électoral
en préparation pour l’été ou un peu plus tard et la remise en place des
institutions. De même Madagascar avait été suspendu 5 ans, et
l’OIF
y a fait, selon lui, le maximum, pour « mettre sur pied les
institutions de la transition ».
Il indique que l’OIF est intervenu au Togo il y a
quelques mois pour que les législatives aient lieu. Et il ne précise rien d’autre,
ce qui créerait presque un contresens politique : ces
législatives
de juillet 2013 étaient organisées après une répression féroce autour de la
mascarade judiciaire des incendies, et le résultat global a été inversé en
raison de découpage électoral complètement déséquilibré, accentuant l’incohérence
entre processus électoraux instrumentalisés par la dictature depuis 2005 et volonté
des électeurs. Etait-ce aussi sous-entendu ? Il ajoute aussitôt « L’OIF
ne cherche pas la lumière », ce qui est soudain un langage codé bien mystérieux.
L’OIF a fait 200 missions d’observations, à la demande
des Etats, pour un renforcement technique des capacités de ces Etats, par
exemple sur les Cours électorales indépendantes. Les observations sont de moins
en moins le jour J, parce que selon Christophe Guilhou, les sociétés civiles
sont plus à même de se disperser sur un territoire. Là, il ne dit pas évidemment
que les observations trop courtes, les choses étant déjà très fraudées en amont
puis au niveau du résultat final, étaient à la base de l’instrumentalisation
par des dictatures de mission d’observation. Ainsi, en 2009 au Gabon, l’OIF n’a
pu que s’avouer vaincue devant le coup d’Etat électoral et que conclure qu’il
faudrait « Faire en sorte que les missions électorales de l’OIF puissent
participer à toutes les phases de l’élection, en amont et en aval, notamment à
la phase de centralisation et de traitement des résultats. » En quittant trop
tôt, l’OIF n’avait rien suivi de la gestion du contentieux électoral par la
Cour constitutionnelle, le principal point du
coup
d’Etat électoral qui avait pour complice Nicolas Sarkozy.
Christophe Guilhou insiste sur la question des
nombreuses
élections en 2015 et 2016, et sur la question de la
limitation
du nombre de mandats présidentiels au Burkina Faso et
en
RDC.
Par ailleurs, concernant la ‘gouvernance’, l’OIF soutient
la CPI, la construction d’un droits des affaires, participe aux
Examen
Périodique Universel (EPU) de l’ONU sur les droits humains à Genève,
soutient la liberté de la presse, la régulation des media, et l’accès au media
pour les oppositions.
Il conclut sur la nécessité d’être plus
performant, de se renouveler, surtout sur la ‘gouvernance’, parce que le
domaine de la démocratie est difficile, et que le travail avec les Etats
interdit de « favoriser les oppositions ». Une autre priorité de l’OIF
est de favoriser l’expertise africaine.
Je trouve cette approche pragmatique et a priori
plus technique que politique autour des actions de l’OIF intéressante parce que
ce type de discours est rarissime en France, même s’il faut décoder les
sous-entendus.
Le retard s’étant accumulé dans la première partie
du Forum, il n’est pas possible de débattre, et cette conférence très riche en
reste au stade d’introduction à de futurs autres débats. A suivre… puisque de
nombreuses élections sont prévues en Afrique en 2015 et 2016.