Entre 2016 et 2020, l’ouverture du Campus Condorcet a été
préparée avec soin, au travers d’une communication
locale soignée. Il y avait des conférences régulières pour ouvrir le futur espace
sur les villes environnantes, sur les migrants
en
2016-2017,
puis sur l’environnement
en 2017-2018,
le ‘global
et le local’
en 2018 et 2019. Il y avait aussi des concerts à la Maison des Sciences de l’Homme
Paris Nord active depuis 2012. Un premier Grand équipement documentaire (GED) a
été accessible
avant l’ouverture du campus. En 2019,
s’ouvrait le Centre
de colloques. Le 24 février 2020, j’écoutais encore une conférence
sur la démocratie au théâtre La commune. Quand la Covid-19 est survenue en
mars 2020, une ouverture globale du campus a été décalée. La construction des
nouveaux bâtiments s’est enveloppée d’un certain brouillard. L’ouverture au
public globale du site universitaire a été reportée à une date inconnue jusqu’à
se faire oublier, oublier, oublier... pendant près de quatre ans.
Courant 2023, un peu comme les fêtes parisiennes des plus
âgé-e-s, l’ouverture au public sur le campus s’est faite discrètement. Le Festival Printemps des Humanités du 21 au
23 mars 2024 sur le thème ‘Prendre soin’ marque assez bien un retour à une
programmation ouverte normale en raison de plusieurs concerts à la Maison
des Sciences de l’Homme Paris Nord.
Dans le cadre de ce festival, le concert « BBDMI
- Brain Body Digital Music Instruments » est un concert de
présentation de travaux de recherche. Des compositeur-trice-s et chercheur-se-s
jouent « de la musique avec l’électricité du corps et du cerveau ». Ce
jour-là, seul le corps et les muscles sont utilisés. Les musicien-ne-s sont équipé-e-s
de plusieurs capteurs EMG (électromyogramme) comme dans des examens à l’hôpital.
A trois endroits, trois électrodes captant un signal électrique des nerfs liés
à des muscles, sur les bras, l’épaule ou le mollet. Ils et elles arrivent à
faire que « les gestes corporels pilotent la granularité, la décorrélation
et le traitement spatial du son. » Grâce au traitement lié aux capteurs
neuro-musculaires, un son long peut être modifié par des mouvements de bras ou
un son créé par une main peut être transformé par un mouvement de la jambe. Par
ailleurs, à la MSH, la salle dispose d’une sonorisation originale adaptée à la
recherche, avec 12 enceintes indépendantes, pas de la stéréo mais 12 sorties
son différentes qui permettent de faire rejaillir des éléments musicaux de 12
points de la salle.
Dans une première partie, Anne Sèdes joue sur un grand gong
qui crée des sons assez extraordinaires et jamais entendus son morceau ‘ImmerV3’.
Puis Amelia Mazarico joue autour de sa guitare acoustique avec David Fierro aux
manettes un morceau composé par Alain Bonardi, ‘Electro-Myo-Guitar’. Enfin, Cédric de Bruycker à
la clarinette et Quentin Meurisse au piano et à la guitare joue une œuvre d’Atau
Tanaka, ‘Competence,
work in progress’.
Les performances sont suivies d’un débat. Le public pose des
questions sur l’utilisation des enceintes de la salle et la dépendance à une
sonorisation précise, la possibilité de mettre des capteurs sur des danseur-se-s,
le ressenti des musicien-ne-s quand ils-elles jouent, ou la difficulté de la perception
pour le public quand le son est créé dans des conditions visuellement très différentes
de ce qu’il a l’habitude de voir. Comment lâcher prise et oublier les
conditions d’émission des sons pour revenir à la sensation, la poésie, sachant
que cette perception est très liée à une culture à la fois sonore et visuelle.
Dans beaucoup de concerts, notre esprit se prépare à la suite en observant le
corps des musicien-ne-s. Cela me rappelle un souvenir de jeunesse : un
jour, dans un grand festival, je dansais au milieu de centaines de personnes les
yeux fermés pour ne pas penser à ce qui se passait sur la scène, mais le
chanteur de pop anglaise a jeté sa petite percussion très haut en l’air. Tous
les gens autour de moi se sont écarté et elle est tombée pile sur ma tête. Aïe !
Régis Marzin
24 mars 2024