jeudi 17 octobre 2019

16 octobre 2019, Campus Condorcet : projection-débat sur le droit d’asile des homosexuel-le-s

Le Campus Condorcet ayant, cet automne, ouvert ses portes, des activités commencent à y prendre place. Le Festival du film social ‘la 25e image’ fait partie des premières activités ouvertes au grand public dans les bâtiments flambant neufs. Il est accueilli du 15 au 17 octobre au Centre de colloques. Au cours de ce festival organisé par plusieurs écoles de travailleur-se-s sociaux-ales, 31 documentaires sont projetés dans six villes, Aubervilliers, Bobigny, Cergy-Pontoise, Montrouge, Melun et Nice.
Au même moment, le Centre de colloques accueille dans son second auditorium, un colloque intitulé « Enjeux démocratiques en Afrique, l’apport des données de recensement et d’état civil », dans le cadre du projet européen Démostaf, qui souhaite « mettre en lumière les recherches qui sont actuellement menées sur les dynamiques sociodémographiques en Afrique », et « aborder les caractéristiques de la population et leurs transformations, que ce soit en termes de fécondité et de santé de la reproduction, de famille et de nuptialité, de migration, de scolarisation ou encore de santé et de mortalité. » J’y récupère les dernières données de l’INED sur la population mondiale, 7,714 milliards d’habitant-e-s mi-2019 dont 1,308 milliards en Afrique. Pour ce continent, la projection en 2050 est de 2,489 milliards d’habitant-e-s.
J’ai choisi dans le programme de la 25e image le film ‘Les portes d’Arcadie’ de Carole Grand (2015). Pour comprendre les migrations venant d’Afrique, la question de l’asile des homosexuel-le-s est encore peu documentée. J’ai aussi lu récemment la bande dessinée « Putain de vies !» de Muriel Douru, qui donne quelques indications sur la traite des êtres humains du Nigéria vers l’Europe dans la prostitution. Pour rester critique sur la politique européenne actuelle, avoir une vision de bout en bout des trajectoires des migrant-e-s est nécessaire.
Le film de Carole Grand présente des entretiens passés par des demandeuses d’asile lesbiennes dans les bureaux de l’Association pour la reconnaissance des droits des personnes homosexuelles et trans à l'immigration et au séjour (Ardhis) à Paris. Sur les images, une bénévole de l’association, Ewa, reçoit, parfois avec un traducteur, des personnes, seule ou en couple, qui ont fait une demande d’asile à l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (Ofpra). Elle les aide à comprendre le droit français, la procédure d’asile, à préparer le dossier et les entretiens. Elle les soutient, les accompagne et les coache.
Beaucoup de pays qui pénalisent les pratiques homosexuelles sont en Afrique. Les lesbiennes filmées viennent toutes d’Afrique de l’Ouest, du Sénégal, de Côte d’Ivoire ou de Sierra Leone. Elles racontent des arrestations, des viols dans des commissariats, des violences de bandes de leur quartier, le rejet immédiats par leurs parents jusqu’à les maudire, des lois homophobes, des mariages forcés en polygamie… beaucoup de violences masculines, physiques et psychologiques. Tant que l’homosexualité reste secrète, rien ne se passe, et dès que cela est connu publiquement, les violences homophobes se déclenchent. On remarque d’autant plus le témoignage sur un seul homme cité pour avoir aidé certaines d’entre elles, un membre d’une association de droit humain en Sierra Leone.
Carole Grand et Ewa sont présentes pour débattre du documentaire. Carole Grand a préféré filmer des femmes qui sont moins visibles. Elle s’est concentrée sur les persécutions et souffrances dans le pays d’origine et pas sur les trajets, pour mettre en évidence la spécificité des demandes d’asile des LGBT.
Ewa précise la procédure d’asile, qui commence à l’Ofpra et, en cas de rejet, continue au tribunal à la Cour Nationale du Droit d'Asile (Cnda). Soixante bénévoles de l’Ardhis accompagnent les demandeur-ses-s d’asile dans ce parcours, plus de 1000 en 2018. Les entretiens à l’Ofpra sont assez longs mais les audiences au tribunal durent souvent à peine une demi-heure, 55 minutes au maximum. Les procédures prennent entre six mois et deux ans. Un maximum de personnes viennent du Sénégal et de Côte d’Ivoire, un peu moins viennent du Nigéria, de l’Ouganda ou du Bangladesh. 85% sont des hommes et seulement 15% des femmes. Les femmes ont beaucoup moins de chance d’arriver en France, surtout si elles sont mariées. Depuis 2015, certaines meurent en Libye. Elles arrivent beaucoup plus abimées. Certaines sont séparées de leurs enfants, qui eux-mêmes peuvent être victimes à leur tour de discriminations.
Le Sénégal est un pays qui connaît la démocratie depuis 18 ans, un pays où un Etat de droit général se maintient malgré certains affaires. L’Ofpra le considère comme un pays « sûr » depuis 2005, mais il est tout sauf « sûr » pour les homosexuel-le-s : l’homosexualité y est illégale avec des peines de 1 à 5 ans de prison.
Depuis 2015, les bénévoles de l’Ardhis peuvent assister à des entretiens à l’Ofpra. Les Officiers de protection instructeurs (OPI) sont moins brusques et plus sensibles qu’avant. Ces dernières années, l’Ofpra a fait des progrès dans le traitement des dossiers des LGBT mais peut encore en faire. Beaucoup de refus sont justifiés pour absence de « preuves » suffisantes alors que cela ne devrait pas être le cas, en disant que l’histoire n’est « pas assez détaillée et personnalisée ». Certaines femmes visibles dans le film ont vu leur asile refusé. A certain moment, la CNDA accorde des asiles ce qui montre que l’Ofpra n’a pas fait correctement son analyse des dossiers sur cette période. La question reste très politique. A une époque, ou la politique migratoire s’organise, se rationalise, le Président de la République, les ministres ou des députés pourraient aussi impulser de nouveau progrès, sur une partie des demandeur-se-s d’asiles pour qui il n’y a pas de progrès en vue en Afrique.
L’Ardhis défend les droits des étranger-ère-s LGBTI. Elle revendique « un traitement équitable de toutes les demandes d’asile », par exemple, la « disparition de la notion de ‘pays d’origine sûr’ et des mesures d’accélération de la procédure qui lui sont liées », des « conditions matérielles permettant un exercice effectif de ses droits », par exemple la « prise en compte par les services sociaux d’urgence de risques spécifiques aux personnes LGBTI+ et de l’état de santé », un « devoir de toutes les administrations françaises d’information complète sur l’ensemble des motifs de protection », par exemple, la « formalisation de la pratique de délivrance de visas humanitaires à titre de demande d’asile aux personnes LGBTI+ », un « traitement non discriminant et uniforme par les consulats et préfectures » et des mesures « permettant la stabilité du couple et du séjour ».
Au cours de ce même après-midi, au Maroc, la journaliste Hajar Raissouni, qui avait été condamnée à un an de prison pour « avortement illégal » et « relations sexuelles hors mariage », est libérée.
Régis Marzin
Article écrit et publié le 17.10.19 + tweet
PS : 26 octobre 2019 : Concert de soutien à l’Ardhis au Point éphémère