samedi 22 octobre 2016

22 octobre 2016, Paris, une ‘défense européenne verte’ est-elle possible ?

La journée d'étude organisée par la commission Transnationale Europe Ecologie Les Verts, le samedi 22 octobre, à la Mairie du 2e arrondissement de Paris, s’intitule "Quelle politique étrangère et de sécurité écologiste ?". Les 3 premières parties sont consacrées aux 3 thèmes suivants : Un ministre délégué écologiste au Développement : quel bilan ?’, ‘Vers une justice environnementale internationale ?’, ‘Quelle ambition écologiste pour les entreprises françaises et européennes implantées à l’international ?’. Des propositions sont discutées pour enrichir le programme du parti en vue des élections de 2017.
J’arrive pour la 4e et dernière partie ‘Vers une Green Defense européenne’. Les intervenants sont Félix Blanc, enseignant-chercheur du Centre Raymond Aron de l’EHESS (à droite), contributeur du ‘Livre Vert de la Défense’ (Sénat / EELV, 2014) et Ben Cramer, auteur de ‘Guerre et paix… et écologie’ (Yves Michel, 2014) (au centre). La conférence-débat est animée par Abdessalam Kleiche, co-responsable de la commission Transnationale d’EELV.
Les propositions abordées par Félix Blanc visent surtout à intégrer une dimension environnementale dans une politique de défense, comme par exemple avec l’idée des Casques Verts, ou des Ecocides. Il propose de parler de ‘Green peace’, une ‘paix verte’ ou plutôt un système de paix durable »
Ben Cramer commence par évoquer « l’impact des militaires dans une société en militarisation » puis « l’impact de la fabrication de l’armement par le complexe militaro-industriel», alors que les « frontières entre guerre et paix ou entre défense intérieure et extérieure » s’estompent. Il revient plusieurs fois sur l’armée américaine puisque le « Pentagone est le numéro 1 des pollueurs ». Il cite le PDG de la société d’armement française DCNS qui voit un « retour des Etats puissances » qui achètent l’essentiel des armes du marché. Il propose de « démocratiser la défense » pour pouvoir faire un « désarmement ».
Le débat avec la salle est un peu court pour un sujet trop vaste. Des bonnes questions sont posées mais dans trop de directions dispersées. Il manque de référence géographique précise et de distinction entre court et long terme. Il est difficile de sentir la cohérence globale des propositions. Cela me donne envie de classer, de commencer par séparer les propositions pour la France, l’Union européenne et les Nations Unies.
En ce qui concerne la politique européenne en Afrique, je distingue régulièrement 3 grands domaines (voir mon dossier de mars 2015 Union européenne et élections en Afrique en 2015 et 2016 relancer la relation Europe – Afrique par un soutien accru a la démocratisation’): ‘Gouvernance, démocratie, état de droit’, ‘Economie, développement’ et ‘Défense, paix et sécurité’. Au niveau des interventions militaires, pour obtenir une solution durable, les enjeux sont beaucoup dans l'interfaçage et les relations entre les 3 domaines, l’équilibre entre les domaines, souvent mais pas toujours. Si un des domaines n’est pas évoqué dans les discours officiels, c’est qu’il y a une raison à expliciter.
‘Ecologie et environnement’ peuvent former un quatrième domaine à partir du moment où l’on se focalise sur ces aspects. Envisager une ‘politique militaire française et européenne écologique’ revient à construire la relation entre des pôles ‘Défense, paix et sécurité’ et ‘Ecologie et environnement’, en recherchant ce qui est à l’intersection et ce qui n’est pas à l’intersection, tout en gardant de vue le reste du cadre, c’est-à-dire les relations avec des propositions qui concernent les deux autres pôles ‘Gouvernance, démocratie, état de droit’ et ‘Economie, développement’, pour rechercher des nouvelles solutions sans risquer de perdre en cohérence d’ensemble et en acquis historiques.
Régis Marzin, écrit et publié le 24 octobre 2016

mardi 18 octobre 2016

16 octobre 2016, Vincennes, Cabaret d’urgence

Le procès de Loïc de la Compagnie Jolie Môme aura lieu le 8 décembre à 9h au TGI de Paris. Le 7 juin 2016, il a été accusé par le chef de la sécurité du MEDEF de « violences volontaires en réunion ». Beaucoup de ‘militant-e-s’ parisien-ne-s connaissent Loïc qui a été de nombreuses luttes, qui a accumulé une expérience qui lui donne assurance et sang-froid. Et quand il accuse le MEDEF de « pour faire taire les oppositions, frapper des manifestants puis les accuser de « violences » », ce n’est pas le chef de la sécurité du MEDEF que ces ‘militant-e-s’ parisien-ne-s croient. S’il devait avoir un procès, c’est peut-être plutôt celui du salarié du MEDEF ? S’il doit y avoir ‘présomption d’innocence’ et ‘circonstances atténuantes’, c’est peut-être plus pour chef de la sécurité du MEDEF, qui avait peut-être reçu des instructions d’agir au-delà de sa propre volonté. Signez l'appel !
La Cie Jolie Môme a profité de ce procès pour faire une action de solidarité, de convergence de luttes et de relance de mobilisation. Ce dimanche 16 octobre au théâtre de l’Epée de bois, à la Cartoucherie, à Vincennes, elle a organisé un Cabaret d’Urgence, sur le thème « C’est l’état d’urgence, tout est permis : Le Medef gouverne, l’État réprime », «  Pour la séparation du Medef et de l’Etat, Contre la répression des gens debout ». J’arrive au début de la troisième et dernière partie de la journée, intitulée ‘l’Etat réprime ‘. Les comédiens de la Cie Jolie Môme, en policier-ère-s dansant-e-s comme dans d’une comédie musicale présentent un « tourbillon d’interventions artistiques et politiques ».
Le journaliste Hervé Kempf de Reporterre présente le rapport « Maintien de l’ordre : la dangereuse dérive », rapport d’information sur les actions de maintien de l’ordre menées depuis le début des manifestations d’opposition à la loi sur le travail en février 2016 (présentation avec recommandations et rapport de 83 pages en PDF). Ce rapport parrainé par un groupe de député-e-s présente des centaines de cas sur 2 ou 3 mois. Des cas de violences sur des journalistes rappellent des méthodes anciennes ou des méthodes de pays qualifiés de dictatures, même si cela n’atteint pas la même gravité.
La conclusion d’Hervé Kempf confirmée par des syndicalistes policiers, c’est que les policiers ont été instrumentalisés en « excitant les violences pour détourner l’attention » de la question sociale et du débat de fond sur le travail.
Aparté : cela me rappelle un chef de CRS devant l’ambassade du Gabon à Paris, le 27 août dernier, jour de la présidentielle au Gabon. Alors, qu’un inconnu pénétrait dans l’ambassade et que la foule craignait l’organisation de fraudes électorales, alors que je m’avançais pour prendre une photographie, ce CRS m’a donné un léger coup de matraque sur les jambes d’une manière injustifiée. Quand je lui ai dit que j’étais journaliste, il m’a répondu « vous n’allez pas m’apprendre mon travail », si, si … que je sois journaliste ou photographe amateur, il n’avait pas à jouer avec son arme à ce moment là. Si la police française veut continuer d’aller apprendre aux polices africaines à ne pas tuer les manifestants comme au Togo avant la mascarade électorale de 2010, il faudrait mieux qu’elle soit constamment professionnelle et précise dans ses réactions, sinon, elle risque d’être accusée d’aller en Afrique pour aider les dictatures à se maintenir. Par la suite, pendant un mois et demi de manifestations devant l’ambassade, les CRS et les RGs ont été corrects. Il y avait un peu de nervosité dans les premiers jours le temps de se connaître et que tout le monde comprennent que manifestant-e-s et policiers étaient tous-tes ensemble contre les voleurs et les criminels. Bref… fin de l’aparté et de l’ironie.
Muriel Guibert, du syndicat Solidaires est venue parler des luttes sociales, du procès des GoodYear, d’Air France, d’une inspectrice du travail et de Téfal. Elle souligne que le vote de la Loi Travail s’est accompagné d’une « régression du droit de manifester et du droit de faire grève », et qu’« une justice au service de l’Etat d’urgence devient la norme ».
Arrive alors sur scène, l’étoile qui éclaire le théâtre de la Belle Etoile, de Jolie Môme, à 70%, j’ai nommé Arlette Laguiller, que j’ai enfin l’honneur de photographier (Le présentateur de Jolie Môme vient aussi de parler de la proximité de la compagnie avec la Fédération anarchiste). La porte-parole de Lutte Ouvrière évoque les ouvriers de l’usine Renault de Bursa en Turquie licenciés pour avoir fait la grève, puis insiste sur les « traces positives » de la lutte contre la Loi Khomry.
La parole passe ensuite à Nina Bianchi, de la Cgt-privés d’emploi à Saint-Etienne. Elle raconte une action de dépose de banderole sur le balcon d’un député et les délires policiers et judiciaires suite à cette action. La jeune et légère femme a été accusée d’avoir frappé 3 CRS et un jeune homme a été accusé d’avoir blessé un énorme groupe de CRS. C’est vrai que parfois, il y a un côté gaulois-es dopés à la potion magique contre les romains au village d’Astérix dans les histoires du Cabaret d’Urgence. A moins que ce ne soient les gendarmes de Saint-Tropez qui auraient pris des substances hallucinogènes mal dosées. En France, aussi, l’humour, c’est important. On ne le dira jamais assez, surtout quand rien ne va plus. Et ce n’est pas tout de faire rire comme les comédiens de Jolie Môme, il faut le dire aussi, sérieusement. Sérieusement enfin, Nina Bianchi explique que maintenant, « l’énergie va à la défense dans les procès », qu’il y a eu « une criminalisation » et « une médiatisation des ‘casseurs’ » pour arriver finalement au passage de la loi par « le 49.3 ».
Ensuite, Agnès Bihl chante le « No flouze blues ». Puis, arrive Renaud Lambert du Monde Diplomatique, qui évoque l’Amérique latine et le Brésil pour conclure sur « l’endormissement face à la gauche » et « la gauche qui gouverne comme la droite ». Facile … La musique reprend avec les Les Fils de Teuhpu. Michel Roger, metteur en scène de Jolie Môme, lit un message de soutien à Loïc de Didier Paillard, le maire de Saint-Denis. Puis, c’est au tour du chanteur Thomas Pitiot.
Guillaume Vadot, Enseignant à l’Université Paris 1, vient témoigner sur l’agression très médiatisée – menace de mort et de viol  - qu’il a subit de la part de policiers à la gare de Saint-Denis, après les avoir filmés en train d’arrêter sans ménagement une femme d’origine africaine. Il faudra bien que la police s’habitue à être filmée partout puisque tous les téléphones sont des caméras.
La Parisienne Libérée vient juste après chanter la philosophie du patron du MEDEF, Pierre Gattaz. Puis le rappeur l’1consolable nous explique pourquoi Hollande et Valls sont bien obligés d’« envoyer le 49.3 » (clip!!). C’est vrai que certains dirigeants socialistes ont eux aussi beaucoup d’humour, et que c’est pour cela qu’ils sont tellement aimés.
La conclusion est laissée à Mickael Wamen, ancien GoodYear, au chômage depuis la fermeture de l’usine délocalisée cet été, avec 800 autres personnes. Le procès en appel des 8 GoofYear condamnés à de la prison ferme, aura lieu de 19 et 20 octobre à Amiens. Sous les applaudissements, il lance que « le combat sur la loi travail n’est pas terminé » parce que sinon c’est la « destruction du code de travail ». Il est pour une contre-attaque juridique contre les violences policières au travers de recours collectif, nouvelle possibilité en France depuis 2014. Il évoque la mémoire d’une douzaine de salarié-e-s décédé-e-s depuis 2014, certain-e-s par suicide et conclut sur l’Etat d’urgence sociale.    
J’ai oublié le musicien Boris Viande quelque part, et je n’ai pas vu, dans les 2 premières parties, les artistes Cie Tamèrantong, Serge Utgé Royo, Fredo des Ogres de Barback, LaTwal , Regis Vlachos et Xavier Mathieu, Sidi Wacho, Waltrudes, La Rabia, Mathieu Barbances, Audrey Vernon. Je n’ai pas non plus entendu les intervenant-e-s : François Ruffin (Fakir), Pierre Rimbert (Monde Diplomatique), Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon (sociologues), Charles Hoareau (Rouge Midi), Sorya Hocini (Cip-Idf), Agathe Martin (Ex-PSA Aulnay), Olivier Besancenot (NPA), Gérard Mordillat (Réalisateur et romancier), Serge Halimi (Monde Diplomatique), Eric Coquerel (Parti de Gauche), Denis Gravouil (CGT-Spectacle), Gaël Quirante (Sud Ptt92), Julien Bayou (Europe Écologie Les Verts), Denis Vemclefs (Front de Gauche), Jean Baptiste Eyraud (DAL), Jean-Claude Amara (Droit Devant !), Def-Col (Défense Collective), Collectif Zad Notre Dame des Landes de Saint-Denis, Comité du 18 mai.
La journée se termine par le spectacle de Jolie Môme et leur chanson ‘C’est dans la rue que cela se passe’, reprise en cœur par le public. S’il y avait un message à faire passer, il semble qu’il soit passé, même si le public était déjà bien convaincu.
Régis Marzin, article écrit et publié le 18.10.16

lundi 17 octobre 2016

15 octobre 2016, Paris, Gabon, manifestation pour la fin du mandat d’Ali Bongo

Ce 15 octobre 2016, Ali Bongo a terminé son mandat et devrait, s’il respectait le résultat du vote, laisser la place à Jean Ping à la Présidence. C’est le message principal qu’a décidé de transmettre la diaspora gabonaise dans sa nouvelle manifestation entre le Trocadéro et l’ambassade du Gabon.
Après un mois et demi de manifestation, la mobilisation parisienne ne faiblit pas. Ils et elles sont de nouveaux 2000 personnes dans la rue, de mieux en mieux organisées, même si la Préfecture de police de Paris commence à leur restreindre les possibilités, en particulier de rester manifester dans la soirée.
Partisan-e-s affirmé-e-s de Jean Ping et militant-e-s plus motivé-e-s par le respect des règles de la démocratie et de la vérité des urnes se rejoignent pour reconnaître la victoire de Jean Ping. Parmi les revendications, revient particulièrement l’exigence que les acteurs de la communauté internationale ne reconnaissent pas le second mandat de l’auteur des coups d’Etat électoraux de 2009 et 2016.
Plusieurs scénettes illustrent le passage à un seuil supplémentaire d’illégalité du président sortant : une nouvelle Cour constitutionnelle après la chute d’Ali Bongo énonce la condamnation à la prison des membres de la Cour constitutionnelle complice du chef de l’Etat déchu. Une statue du chef de l’Etat en bois et en carton est jetée à terre et piétinée.
Dans le parc devant l’ambassade, au milieu des banderoles, plusieurs prises de paroles ont lieu. Jean De Dieu Moukagni Iwangou, président de l'Union du Peuple Gabonais, l’UPG loyaliste, de passage en France, rappelle que la « Cour constitutionnelle ne peut pas nous obliger, car la volonté du peuple est consignée dans les Procès verbaux ». Il explique que le président de la CENAP a réalisé «  une rétention des Procès verbaux intermédiaires » des villes, départements, et provinces, et que « le résultat de la CENAP et du ministère de l’intérieur n’est pas opposable ».
Au même moment, alors que les regards des diplomates et de la presse se sont détournés du Gabon, se dessine un changement de période dans la crise électorale. Le 7 octobre, Jean Ping a annoncé la création d’un Conseil gabonais de la résistance. Depuis, la diaspora discute à Paris de la création de la branche française du Conseil. La lutte s’installe dans un autre rythme, sans renoncements à aucune revendication. Le Conseil de la diaspora va travailler rapidement à « identifier les objectifs de lutte ».
Jean Ping intervient en direct en visioconférence projetée sur un écran. Il demande à la diaspora à Paris d’« informer la communauté internationale », de « revendiquer la victoire par une stratégie d’actions », de « poursuivre la lutte sur tous les plans » et de « participer à la promotion de la démocratie ».
La manifestation se termine par l’intervention de plusieurs artistes. Le poing levé, une première chanteuse répète « parce que l'on a pas le courage de se taire ». Après un second chanteur, c’est le célèbre groupe Movaizhaleine qui met un point final à la journée de lutte.
La suite de l'article sur le blog Regard * Excentrique : Pour l’Afrique, déjà quelques leçons à tirer de la présidentiellegabonaise ? 
Régis Marzin, Paris, écrit et publié le 17 octobre 2016

dimanche 9 octobre 2016

8 octobre 2016, Plaine St-Denis, Iran : le chant des femmes contre l’obscurantisme

A la Belle Etoile à la Plaine Saint-Denis, dans le cadre du festival ‘Plaine cinéma’organisé par l’association Cinémanifeste, sur le thème de la peur, est projeté le documentaire ‘No land’s song’, d’Ayat Najafi, réalisé entre 2012 et 2014, sorti en mars 2016. Le film retrace l’organisation d’un concert de musique, surtout persane, à Téhéran en 2013. La compositrice iranienne Sara Najafi a l’idée de faire chanter en soliste deux artistes iraniennes, Parvin Namazi et Sayeh Sodeyfi, deux françaises, Lise Caron et Jeanne Cherhal, et une tunisienne, Emel Mathlouthi, avec des musiciens iraniens et français. Son frère l’accompagne comme documentariste. Le problème, c’est que les Mollahs ont interdit depuis 1979 le chant en solo de femme devant un public d’homme.
Un passage du film résume le problème de fond. Un vieux théologien nous explique la raison de cette loi. Les femmes sont très douces mais les hommes ne le sont pas. Une femme peut se permettre d’être excitée physiquement par un homme, elle saura se tenir, mais un homme lui peut faire des bêtises, et on ne pourra l’empêcher. Donc, il ne faut pas qu’il soit excitée par une femme, donc une femme ne peut pas chanter seule devant des hommes. Une des artistes, un moment en colère, propose qu’on débarrasse la terre des femmes.
Sur cette base, organiser ce concert ne pouvait être qu’une aventure pleine de rebondissements. Quelques compromis sont acceptés dès le départ, par exemple sur la présence d’un chanteur homme ou sur les tenues. La musicienne voyage entre Paris et Téhéran, se rend régulièrement au ‘Ministère de la culture et de la guidance islamique’ et est interrogée par des fonctionnaires mystérieux. Plusieurs fois, les artistes sont pris de doutes sur la possibilité d’y arriver.
La présidentielle d’août 2013, lors de la quelle Hassan Rohani remplace Mahmoud Ahmadinejad, semble un moment arranger les choses. Le concert est finalement autorisé et les visas accordés pour les français-es et la tunisienne, mais juste avant la date, une ultime menace est portée contre les artistes pour leur faire enlever toute portée symbolique à l’événement : un concert dans la salle de répétition au lieu de la salle de concert, un contrôle de l’identité du public, entre autres. Sara Najafi résiste et joue de la relation entre la France et l’Iran pour gagner son pari, puisque le pouvoir gère son image dans une période d’ouverture où interviennent des enjeux économiques.
Le concert a lieu dans une salle devant 300 personnes environ. Les paroles des chansons sont très fortes : la chanteuse Emel Mathlouthi très engagée fait référence à la révolte de 2011 en Tunisie. Une ancienne chanson persane écrite pour une femme, qui n’a plus été chanté que par des hommes depuis des décennies, est enfin rechantée par une femme.
Cela me rappelle Tiken Jah Fakoly qui a chanté « quitte le pouvoir » au Togo au milieu des militaires armés, et qui s’est fait expulsé de Kinshasa en 2015, Joseph Kabila ayant interdit son concert. En interview, je lui avais demandé s’il pouvait aller faire ses concerts dans les dictatures d’Afrique centrale, il m’avait répondu que cela devait être possible. C’était possible, mais ce n’était pas facile !
En Iran, qui a le plus peur ? Les tenants du système dictatorial ou la population victime des atteintes aux droits humains ? Il y a une peur réciproque et des efforts pour la vaincre réciproque. Au Gabon, l’activiste Marc Ona disait fréquemment « la peur a changé de camp », un slogan maintenant célèbre. Ayant moi-même longuement étudié les dictatures contemporaines en Afrique, je comprends qu’un système mis en place à une époque en fonction des données de cette époque perdure, s’use intérieurement mais ne tombe pas, même si le sens et l’équilibre de départ a disparu. Il faut une énergie très forte pour qu’un système illégitime, non démocratique disparaisse. En 2009, 4 millions de personnes étaient dans les rues de Téhéran espérant le respect de la vérité des urnes, en vain. Le résultat a été inversé. En 2013, un léger mieux a été obtenu, quand les mollahs ont accepté un début d’ouverture, mais les institutions de la ‘république’ reste soumises aux desiderata de l’institution religieuse.
Le film révèle une mise en abîme. Des artistes se battent pour leur liberté et réalisent ainsi un acte politique. Le film lui-même en témoignant cherche une nouvelle limite dans l’expression de la liberté. C’est ainsi un film sur la relation entre art et politique, à deux niveaux, limpide et éclairant.
Irène Ansari, la coordinatrice de la Ligue des Femmes Iraniennes pour la Démocratie (LFID) – sur la photo – intervient avant après le film, auprès d’Antonia Naim de Cinémanifeste. Elle replace l’histoire dans son contexte historique : la dictature du Shah, une modernité sans démocratie et sans partage des richesses, la ‘révolution’ de 1979, 8 ans de guerre contre l’Irak, pendant la quelle la cause des femmes était inaudible, l’élection au résultat inversée en 2009, la période moderne où les religieux se sont adaptés aux technologies modernes. Elle décrit l’état du pays et la situation des femmes. Celles-ci sont très bien formées, mais réduites à vivre dans des conditions sociales très dures. Irène Ansari se bat pour leur droit, « un droit universel ».

Régis Marzin, article écrit et publié le 9.10.16

samedi 1 octobre 2016

1er octobre 2016, Paris : les gabonais-es demandent à Hollande de dire la vérité

Ils et elles étaient ce matin à 11 heure devant l’Elysée, et, sont venu-e-s à 2000 marcher et protester contre le second coup d'Etat électoral d'Ali Bongo. La manifestation, de nouveau de Trocadéro à l'ambassade, est très jaune, affichant son soutien à Jean Ping, le président élu, même si beaucoup défendent beaucoup plus les principes démocratiques que le leader lui-même. La foule est aussi toujours concentrée sur les nombreux prisonniers politiques, dont les noms sont affichés sur différentes pancartes : Bertrand Zibi, Ngoma, Rodney Ekorezok, Jean-Rémy Yama,... La référence à la CPI est très visible.
Deux jours après le scandale de la déclaration du Ministre des affaires étrangères français, Jean-Marc Ayrault : "Ce que nous voulons ce n'est pas la déstabilisation du Gabon ; et pour ça il y a besoin que l'Union africaine, qui a commencé à le faire, joue son rôle pour encourager Bongo à chercher une politique de rassemblement parce que je pense que c'est l'intérêt du Gabon mais c'est aussi l'intérêt de toute l'Afrique.», le Parti socialiste se retrouve totalement divisé par cette validation surprise du coup d’Etat électoral par le gouvernement. Les gabonais-es de France exigent rapidement une prise de position de François Hollande. Ils et elles l’affichent : « François Hollande, le tribunal de l’histoire t’attend au Gabon », et le crient : "François Hollande : dit la vérité !".
Ce qui choque le plus les analystes avertis, c’est que le dérapage de Jean-Marc Ayrault a provoqué un conflit inutile avec l’exécutif européen. En propageant l’injonction paradoxale absurde d’une réconciliation des victimes avec leur bourreau et voleur récidiviste, il s’est attaqué à la position européenne ferme sur la question technique du processus électoral. Si l’on peut regretter que Fédérica Moghérini ait renvoyé la poursuite de la gestion de la crise vers l’Onu impuissante et l’Union africaine dominée par les dictateurs, on ne peut que constater sa fermeté sur la qualité du processus électoral en raison de sa Mission d’observation, surtout que cette mission d’observation européenne, le 25 septembre, a regretté que « la Cour Constitutionnelle n’ait pas été en mesure de rectifier de manière satisfaisante les anomalies observées lors du recensement des votes. »
Jean-Yves le Drian a pris sur lui de se salir au maximum dans le gouvernement en s'affichant constamment depuis 4 ans dans l'alliance avec le dictateur tchadien Idriss Déby. Le ministre de la défense est connu pour son indifférence à la lutte pour la démocratie en Afrique. En février 2014, François Hollande, Laurent Fabius et lui avaient dû faire venir Idriss Déby à Paris pour lui imposer de retirer ses soldats de Centrafrique alors qu’ils y étaient manifestement pour soutenir la Séléka, accusée de nombreux massacres. Aujourd’hui, une nouvelle position ferme contre Idriss Déby serait nécessaire, d’autant plus qu’il a instrumentalisé son mandat de président de l’Union africaine pour travailler pour son intérêt personnel : le maintien des dictatures menacées par les élections en Afrique centrale.
Le président tchadien est venu sauver le tyran gabonais de la noyade, en envoyant des juristes dans un théâtre de fausse légalité évident, plaçant ainsi le pays dans une impasse, dans le cercle vicieux de l’impunité, de la répression, et des élections fraudées. Alors qu’il vient lui-même de commettre son propre coup d’Etat électoral, il est venu sauver Ali Bongo à la manière de Nicolas Sarkozy en 2009. Il est probable que Jean-Yves Le Drian, très silencieux, tente en coulisse d'empêcher le gouvernement français d'être ferme face à la nouvelle catastrophe annoncée provoquée par son allié.
François Hollande est de plus en plus distant vis-à-vis des crises africaines, se concentrant dernièrement sur le Congo-Kinshasa plus simple pour lui. Pourtant, s’il disait la vérité sur les massacres au Gabon, la vérité sur la Cour constitutionnelle, qui n'a ni vérifié les procès verbaux, ni recompté, et qui a ainsi avoué sa complicité dans l'inversion du résultat, il ferait d'une pierre deux coups. Il arbitrerait les différentes positions internes du PS et montrerait le soutien du gouvernement français à la démocratie en Afrique. Le PS peut-il supporter un clivage interne des plus sensibles pour les diasporas africaines ? Celles-ci n’ont pas oublié le coup de couteau dans le dos du peuple congolais en octobre 2015.
Aujourd'hui, certain-e-s mettent en jeu leur vote en 2017: "Mon vote en France contre Ali", "Si la France ne retire pas les paroles du ministre Ayrault, le PS peut dire adieu à nos votes". Cette position est contestée par d’autres, mais au Gabon, la réaction à la trahison française, si elle se confirme, ne sera peut-être pas si rationnellement étayée. Les ministres français ont-ils bien mesuré la volonté du peuple gabonais d’en finir avec la famille Bongo, quel que soit le temps que cela prendra ?
Régis Marzin, Paris, 1er octobre 2016. Plus d’informations à suivre…