Les conférences du Campus Condorcet donnent ce
lundi la parole Danièle
Lochak professeure émérite de droit public à l’Université de Nanterre et
membre du Groupe d’information et de soutien des immigrés (GISTI), dont elle a
été présidente entre 1985 et 2000. L’intitulé de la conférence est ‘Politique
migratoires et droit de l’homme : une conciliation impossible’.
Danièle Lochak explique une série de violations des
droits humains et de problématiques juridiques. Ce sont les lois Pasqua qui
avait enlevé la sécurité sociale aux sans-papiers qui avaient provoqué la
création de l’Aide médicale d’Etat (AME), menacée en ce moment. Actuellement la
durée de détention sans voir un juge est de 48h. Les contrôles d’Identité au faciès posent
problème. Il y a une multiplication de fichiers dont le Système d’Information
Schengen (SIS), les enquêtes policières à domicile contre le regroupement
familiale et les faux mariages. La carte pluri-annuelle augmente la précarité.
La liste des délits pénaux et des incriminations augmentent, par exemple sur la
paternité de complaisance ou les délits de solidarité transformés en
accusations diverses. Elle reproche à l’Union européenne de ne pas faire ce qu’elle
dit en tenant à distance les migrants, et de causer des atteintes aux droits
humains touchant le droit à la vie. Elle condamne l’externalisation de la
politique migratoire dans les pays tiers, en particulier la Turquie, le
filtrage de Schengen, la politique des visas et des visas de transit, les
amendes de 5000 euros aux compagnies aériennes qui laissent passer un
sans-papier, Frontex qui a déjà bloqué le passage aux canaries, à Gibraltar, à
Lampédusa, essaye de bloquer en Méditerrannée, complique les passages et
provoque des morts dans le Sahara, en Méditerranée, les
viols et la torture dans les camps libyens, le tri avant refoulement sur
les bateaux de Frontex, les accords de réadmissions et la pénalisations des
sortie de territoires en Algérie et au Maroc qui remet en cause le droit d’asile,
le processus de Khartoum pour la Corne
de l’Afrique, les centre d’accueil en Erythrée, au Soudan et en Ethiopie, le
blocage des libyens par l’Ue depuis 2011, l’absence de réalisations des
objectifs d’accueil des syriens, alors que Erdogan va faire comme Khadafi en lâchant
de temps en temps des salves de migrants, la destruction du camp de Calais, le
nouveau Centre
humanitaire de 400 places ouvert à Paris, l’accord de Dublin avec la
référence aux pays d’entrée en Europe, la remise en cause du droit d’asile pour
les afghans, syriens, soudanais, érythréens, dans l’hostilité aux étrangers, l’absence
de capacité d’accueil pour les réfugiés, l’irrespect des procédures d’accueil.
Elle
souligne qu’en ce moment des soudanais sont expulsés de la France vers le
Soudan. Il pourrait y avoir une
différence de faite entre mélange de faim, de dictature et de guerre au Soudan,
et dictature
la plus dure d’Afrique en Erythrée.
Danièle Lochak demande tout simplement la libre
circulation. Elle souligne l’effort
d’Angela Merkel (en cherchant après le débat les chiffres : 600 000
réfugiés syriens dont 429 000
en 2015). Elle trouve que la distinction
entre asile et autre cause de départ est une « distinction problématique ».
Elle pense que quelque soit les barrières les gens partent d’Afrique ou d’ailleurs.
Elle dénonce la pensée unique depuis l’arrivée du FN dans le débat. Elle
regrette que le gouvernement PS qui se dit « ferme avec humanité »
préjuge de l’opinion publique et en rajoute, en allant vers une défaite
électorale, puisque « l’on préfère l’original à la copie », et que le
parlement européen depuis qu’il a plus de pouvoir a changé de position sur les
migrations, comme quoi le pouvoir pousserait à un basculement de position.
La salle semble
assez d’accord et personne ne réagit de manière critique. Pendant le débat, des
élu-e-s d’Aubervilliers se demandent quoi faire avec afghans et les érythréens.
Danièle Lochak pense qu’ils finiront par se perdre dans la nature et ne
seront pas renvoyer. Un ancien élu communiste remarque que l’on parle de l’immigration
pauvre et réclame qu’on s’engage politiquement au-delà des questions de droits
humains.
Et pour finir, de manière surréaliste, les élèves
du conservatoire, Ambroise, Jérémy et Olga nous joue et nous chante un peu de
Schubert.
Que dire ? C’est délicat. Il n’y a pas eu de
débat contradictoire. La position de Danièle Lochak est ancienne, elle est morale
et idéologique, même s’il s’agit de droit et de faits très concrets, mais
elle est aussi en décalage avec la réalité. Par exemple, la politique
européenne est bien plus complexe, intelligente, ancrée dans une dimension géopolitique,
qu’elle ne l’insinue. Dans cette complexité, il y a des manques,
des contradictions, à analyser de manière dialectique. Refuser en 2016 de
distinguer les réfugiés économiques des réfugiés politiques, pour privilégier
la solidarité, c’est prendre le risque de refuser l’analyse plus fine des
causes des migrations, qui est inévitable et est déjà largement commencée, dans
l’objectif de construire
des solutions face à une variété de situations. La politique migratoire a
déjà commencé à se rationnaliser au niveau
européen, avec des conséquences plus en Afrique qu’au Moyen-Orient. L’échelle
française perd de son importance. Jusqu’à Aubervilliers, les conséquences des
nouvelles règles se feront sentir, les pays d’origines des arrivants varient.
Après la vague ivoirienne, tunisienne, égyptienne de 2011, il y a eu les
arrivées de Soudanais, d’Afghans, d’Irakiens, d’Erythréens. De nombreuses
décisions en lien avec ces vagues ont déjà été prises et cela va continuer,
même s’il y a beaucoup d’impuissance face à des situations désastreuses. Il y a
aussi un mélange des domaines de la politique migratoire européenne et de la
politique de défense commune. La politique de défense commune marque un
tournant historique pour l’Europe. Trop de choses ont déjà commencé à changer, en
fonction de données historiques, économiques, politiques, pour pouvoir rester
sur l’idée de la « libre circulation ».
Régis Marzin
Journaliste indépendant, 29 novembre 2016