L’association Académie africaine de la pratique du droit international (AAPDI), dirigée par Jean
Baptiste Harelimana,organise ce lundi à Paris un colloque
« 20
ans du statut de la CPI : défis et espoirs». Le dernier
panel est totalement consacré à l’Afrique. Y interviennent de gauche à droite,
Abdoul Aziz Mbaye, Conseiller en coopération internationale au Bureau du
Procureur de la Cour Pénale Internationale (CPI), Sarah Pellet, Conseil au
Bureau du conseil public pour les victimes de la CPI, Jean-François Akandji-Kombé,
Professeur de droit public à l'Université Paris 1, modérateur, Jean Pierre Fofe
Djofia Malewa, Vice-Doyen honoraire de la Faculté de Droit de l'Université de
Kinshasa, ancien Conseil de la Défense devant la CPI et TPIR, Hajer Gueldich, professeure
agrégée à l'Université de Carthage à Tunis, membre de la Commission de l'Union africaine pour le droit
international (CUADI)
et de l'équipe sur la réforme institutionnelle de l'UA, Maître Mayombo Kassongo,
Avocat représentant légal des victimes à Tombouctou et au Mali.
Le débat se concentre un moment
sur la CPI et les cours nationales africaines. Puis, Hajer Gueldich s’exprime
sur l’élargissement du champ de compétence de la Cour africaine de justice et
des droits de l’homme (CAJDH). Le Protocole
de Malabo adopté par l’Ua en juin 2014 prévoit d’intégrer dans le mandat de
la CAJDH une compétence en matière pénale et doit être signé puis ratifié par
chaque Etat. Les 15 ratifications nécessaires ne
sont pas atteintes. Amnesty international a souligné
en mai 2017 que « l'un des aspects les plus controversés du Protocole de Malabo est l’immunité
judiciaire octroyée aux « chefs d’État et de gouvernement en exercice » et aux
« autres hauts fonctionnaires » ». La clause d’immunité dans l’Article 46A
bis est ainsi rédigée : « Aucune procédure pénale n'est engagée ni poursuivie
contre un chef d'Etat ou de gouvernement de l'UA en fonction, ou toute personne
agissant ou habilitée à agir en cette qualité ou tout autre haut Responsable
public en raison de ses fonctions. » La juriste, qui estime que « la
CPI intervient à titre subsidiaire pour transcender l’immunité du protocole de Malabo »,
envisage un amendement du protocole de Malabo.
En outre, Hajer Gueldich évoque une
internationalisation du droit constitutionnel, et l’idée encore récente et sans
doute très tunisienne d’une Cour constitutionnelle
internationale, qui permettrait d’éviter des modifications
constitutionnelles pour des intérêts personnels.
Jean-François
Akandji-Kombé décrit une « manière africaine de sortir des crises »,
une « justice sans sanctions pénales », sans « interrogation sur
la responsabilité » personnelle du type « A est coupable et B complice ».
Le
docteur Marc
Mainguené, de la fondation Anthony Mainguené, intervient depuis la salle se
questionnant sur « une inversion des effets et des causes », « un
achat d’une conscience collective », la possibilité de synthèse entre « Common
Law et droit germanique », la possibilité de réforme innovante de la CPI, l’absence
de communication sur les blocages, ou encore « un code de déontologie pour
les
chefs d’Etat ». Abdoul Aziz Mbaye, qui fait partie d’une ‘Task
force communication’ de la CPI, regrette le manque de budget de communication
de la CPI. Il rappelle le rôle
nécessaire du Conseil de sécurité de l’Onu contre l’immunité de chef d’Etat
comme Omar Beshir. Il répond à un avocat qui juge la CPI « léthargique »,
que « la Cour agit là ou elle a des compétences » selon un principe de
« complémentarité » sur « les violations les plus graves du
droit international et humanitaire ». Me Sarah Pellet souligne le manque d’un
site de la CPI en arabe et prend l’exemple de la Libye pour signaler des
lois d’amnisties qui empêche la coopération avec un Etat et amène une impunité.
Le
31 janvier 2017, à l’Union africaine, une partie des chefs d’État ont envisagé
une « stratégie
commune sur le retrait collectif de la CPI ». Abdoul Aziz Mbaye
indique que des discussions sont en cours entre l’Ua et la CPI. Il nomme Sidiki Kaba, le président
de l'Assemblée des États parties de la CPI. Selon lui, il y a « beaucoup
de questions qui nous unissent » et les « discussions ont maintenant
lieu à l'Assemblée des États parties au lieu de l’Ua ».
Dans la salle, une congolaise rappelle qu’on
parle de chef d’Etat criminel comme Denis
Sassou Nguesso. Une autre personne souligne le caractère dictatoriaux de
régimes comme celui de la RDC et s’offusque que les Etats bloquent toutes
avancées. Répondant sur Jean-Pierre Bemba en Centrafrique, Jean-François
Akandji-Kombé rappelle la responsabilité de dirigeants centrafricains dans les
crimes de masses. Maître Mayombo Kassongo évoquant de nouveau le jugement Al Mahdi par la CPI, reconnaît que la procureur choisit les incriminations
et a abandonné les charges sur les crimes sexuels. Hajer Gueldich souligne le
caractère non-étatique de Daesh. Abdoul Aziz Mbaye rappelle, concernant
la Côte d’Ivoire, qu’une enquête est en cours sur les crimes commis par des acteurs
du camp de Ouattara. Sur la sélection des affaires, il indique que « la
procureur a sorti un document sur le choix des affaires » qui parle de « choix
stratégique ». Jean-François Akandji-Kombé réagit en précisant « stratégie
‘juridique’ et pas ‘politique’ ».
Le
colloque se termine par une vidéo d’Adama Dieng, Conseiller
spécial du Secrétaire général des Nations Unies pour la prévention du génocide.
Celui-ci relie 3 étapes : le génocide du Rwanda en 1994, la compétence
universelle puis la CPI. Il souligne que l’« obligation d’ingérence en cas
de violations des droits humains qui fait partie des valeurs ». Selon lui,
en Afrique, « la fierté ne doit pas être mal placée ». Il termine sur
« la voix de la démocratie et la justice sans cesse accrue ».
Mamadou Ismaël Konaté,
ministre de la justice malien de juillet 2016 à novembre 2017, intervient en
conclusion, de manière soudain plus claire. Il souhaite une « adhésion à la
CPI sans éviter les critiques », dans l’« objectif de trouver les
fautifs ». Il ajoute que « la justice ne peut pas nier un rapport de
force politiques » et que « des personnes peuvent échapper mais
jamais pour longtemps ». Il constate : « suite à un scrutin, on
meurt, suite à un détournement d’argent, on meurt de faim » et qu’on on
peut « louper une démocratie à cause de l’absence de justice ». Revenant,
sur l’affaire Al Mady traitée uniquement sur l’aspect des biens culturels, il
remarque : « entre deux maux, il faut en choisir un », pour
avancer « dans un laps de temps » et « pouvoir agir ». Aux « africains »,
il propose de « ne jamais laisser d’autres faire à (leur-notre) place et
d’accompagner la CPI, de faire avec en la critiquant et en l’améliorant »,
parce que « si on arrête avec la CPI, il y aura des tueries après les scrutins ».
Dans ce dernier débat de la
journée, la récente flagrante trahison des démocrates gabonais par la CPI en lien avec l’abandon
par l’Union européenne de l’Accord de Cotonou suite à la mission d’observation
électorale de 2016, n’est pas évoquée par la salle. Les compromis contestables
et intéressés promus par les dirigeants français depuis le génocide du Rwanda,
entre coopération avec les dictatures et amélioration de la justice internationale,
ne sont pas non plus abordés. En dehors de certaines critiques, les échanges
sont restés consensuels. Alors que ce discute la possibilité d’une libération provisoire
pour Laurent Gbagbo, les critiques les
plus virulentes semblent voilées. J’imagine que tant que la question de l’instrumentalisation
de la CPI en Côte d’Ivoire d’une manière très françafricaine n’arrivera
pas à un point final, la CPI restera très handicapée.
Côté africain, tant que l’Union
africaine est un lieu de plaidoyer pour une vingtaine de dictateurs se
maintenant par des détournements de processus électoraux,
la justice internationale africaine ne peut progresser que sur le maintien de
la paix d’un point de vue militaire, mais pas sur l’absence de respect des
droits humains lié à la prise ou à la conservation du pouvoir. Le blocage reste
dépendant de l’évolution du nombre de dictatures et de démocraties, à l’équilibre
depuis 3 ans, mais en 2018 régressant de nouveau du côté d’une majorité de
dictatures en raison du recul de la démocratie et l’Etat de droit dans cinq ex-colonies
françaises, au Bénin, aux Comores, en Guinée, au Maroc et au Niger.
Régis Marzin
Article écrit et publié le 16
décembre 2018