mercredi 16 octobre 2024

15 octobre 2024, Paris, les 10 ans de Tournons la Page

Ce mardi 15 octobre en soirée, l’ambiance est à la fête à la galerie Echomusée à la Goutte d’or, pour les 10 ans de la coalition Tournons la page. Il y a dix ans, quelques mois avant la chute de Blaise Compaoré au Burkina Faso sur la question du nombre de mandats, quelques activistes et salariés d’associations commençaient à se réunir à Paris et à travailler sur la durée des pouvoirs et le nombre de mandats présidentiels.

Des souvenirs de lutte aux côtés du Secours catholique pour moi aussi entre mi-août 2014 et janvier 2017, par exemple sur le Congo-Brazzaville avec le communiqué du 22 octobre 2015, ‘Le Président François Hollande plante un couteau dans le dos du peuple congolais’.

Dans la soirée est présenté le livre de Rémi Carayol ‘Les sentinelles de la démocratie en Afrique : Tournons la page : histoire d’un mouvement militant politique en Afrique’, aux Editions Karthala. Pour la coalition sont présents entre autres, l’ivoirien Didier Alexandre Amani, président de la coalition depuis le départ de Marc Ona, Brice Mackosso, coordinateur national du Congo-Brazzaville, Brigitte Ameganvi, trésorière internationale, Laurent Duarte un des trois premiers salariés et Mathieu Pourchier, le Directeur exécutif.

En 2024, le grand nombre de déclarations de la coalition montre qu’elle a pris un rythme de croisière basé sur l’énergie de ces nombreux membres. Le rapport sur la présidentielle tchadienne du 6 mai 2024 me fait penser que les compétences sur les processus électoraux qui manquaient au démarrage il y a dix ans sont maintenant bien acquises. En 2016, une fois le sujet du nombre de mandats dans les constitutions maîtrisé, la question du passage au traitement du thème des processus électoraux s’était posée, sans doute un peu trop tôt dans l’histoire du mouvement.

Régis Marzin

Paris, 16 octobre 2024

 

vendredi 27 septembre 2024

Asnières, 26 septembre 2024, à propos de la bande dessinée ‘Rwanda, à la poursuite des génocidaires’

Depuis bientôt 20 ans, je me suis intéressé au génocide des Tutsis du Rwanda, y travaillant encore en 2021 sur la partie électorale de l’histoire rwandaise entre 1990 et 1994. Je m’intéresse aussi en ce moment à l’Afrique dans les bandes dessinées, à l’évolution progressive des points de vue, entre divertissement et vulgarisation de sujets sérieux.

Listant les titres sur l’Afrique, j’ai repéré sept bandes dessinées qui traitent du génocide des Tutsis du Rwanda :

-          - Petit pays, scénario Marzena Sowa d’après le roman de Gaël Faye, dessins Sylvain Savoia, 12.4.2024, Dupuis, une fiction d’après vécu sur le génocide des Tutsi du Rwanda en 1994 vu du Burundi

-     - Rwanda, à la poursuite des génocidaires, de Thomas Zribi, Damien Roudeau, aidés par Michel Welterlin (Témoins du Monde), d’après Dafroza et Alain Gauthier (CPCR), 9.23, Les escales, Steinkis

-          - La Fantaisie des Dieux, Scénario Hippolyte et Patrick de Saint-Exupéry, dessins Hippolyte, 2014, Les Arènes

-         - Turquoise, scénario Frédéric Debomy, dessins Olivier Bramanti, 2011, les Cahiers dessinés, 93p, sur la responsabilité de l’Etat français et l’attentisme de la communauté internationale

-         - Rwanda 1994, descentes aux enfers + Rwanda 1994, le camp de la vie,  2 tomes, scénario de Cécile Grenier et Austini, dessins de Pat Masioni, 2005 et 2008, Vent des savanes

-      - Pawa, Jean-Philippe Stassen, 2002, Delcourt, Belgique, documentaire, génocide, courtes histoires, paroles des habitants

-    - Déogratias, Jean-Philippe Stassen, 2000, Dupuis, Belgique, trois jeunes ami-e-s au moment du génocide, un garçon Hutu et 2 filles Tutsi, l’horreur vue dans les relations entre quelques personnes.

Le sujet difficile est emblématique de la capacité de la bande dessinée à exprimer de plus en plus l’inexprimable, ou tout au moins la violence dans les crimes de masse.

J’ai lu en avril 2024 ‘Rwanda, à la poursuite des génocidaires’, du journaliste et documentariste Thomas Zribi et du dessinateur Damien Roudeau, qui raconte l’histoire de Dafroza et Alain Gauthier au sein du Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR). Ce 26 septembre, la bande dessinée est présentée au public au Studio | ESCA à Asnières-sur-Seine. Les intervenants sont, de gauche à droite, Thomas Zribi, Michel Welterlin, Alain Gauthier et Bruce Clarke, artiste auteur des peintures.

Sur la forme, Thomas Zribi évoque la recherche d’équilibre entre les manières de montrer et cacher la violence. Il est allé au Rwanda avec le couple Gauthier et en a ramené des documents, des vidéos et photos qui ont été utilisées par Damien Roudeau.

Depuis plus de vingt ans, le CPCR poursuit en France des génocidaires présumés, montent des dossiers de témoignages de victimes rescapées et portent plainte en France, avec des témoins comme parties civiles. La France n’extrade pas vers le Rwanda. Depuis quelques années, des procès se déroulent mais à un rythme trop lent. Par exemple, le 1er octobre 2024, s’ouvrira le procès du Docteur Eugène Rwamucyo.

Une partie du public assez jeune n’était pas né en 1994 et demande qu’on lui rappelle les principaux événements du génocide. Il adresse surtout des questions à Alain Gauthier pour obtenir des précisions, par exemple sur les causes du génocide. Celui-ci évoque 40 plaintes. La personnalité la plus stratégique est Agathe Habyarimana, qui est visé par une plainte depuis 2007 mais n’est pas encore mise en examen. Elle est aussi importante, parce qu’elle est témoin du rôle d’acteurs français. Il indique que les témoignages sur les viols, difficiles à faire émerger, commence à être plus nombreux.

Régis Marzin

lundi 16 septembre 2024

Montreuil, 14 et 15 septembre 2024, Estivales de la permaculture

Pendant l’été 2024, l’actualité du climat en Afrique a encore accéléré : les sécheresses ravages l’Afrique australe et au moins deux états ont récemment annoncé le sacrifice d’animaux sauvages tels que les éléphants pour nourrir la population, dans le Sahel les inondations ont provoqué des refugié-e-s et autour de 1000 morts. En Afrique les signaux sont clairs : le réchauffement et le dérèglement climatique s’intensifie. C’est sans doute une des raisons qui m’amène aux Estivales de la permaculture à Montreuil, un festival au programme alléchant, entre conférences et concerts.

J’assiste à quatre des six conférences, surtout consacrées au climat et à l’effondrement. Samedi, le sociologue Thierry Brugvin présente des scénarios d’effondrement et quelques scénarios sans effondrement, qu’il a analysé dans son livre ‘Effondrement : 20 scénarios possibles’. Il s’agit de prévoir le futur sur les deux siècles à venir, certains prévoyant un épuisement du charbon en 2085. Les critères de l’épuisement des métaux, de l’énergie et du climat sont les principaux critères à prendre en compte. Les scénarios vont du plus pessimiste, tel que celui des Etats ou cités forteresses que l’on trouve dans la science-fiction post-apocalyptique, au plus optimiste basé sur une politique mondiale décroissante et écosocialiste. Au milieu, se trouvent quelques scénarios plus technologiques, dont certains basés sur le nucléaire au thorium et au Mox. Le chercheur propose de renforcer les analyses des défenseur-se-s du climat pour rendre plus crédibles et efficaces les luttes.
 
Le scientifique du CEA et communiquant du laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE) à Saclay, François Dulac, présente, lui, la vision du GIEC. Le discours est déjà bien médiatisé et plus connu. Il rappelle que les rapports du GIEC sont élaborés collectivement par la communauté scientifique mondiale et qu’ils sont validés à l’unanimité à l’ONU. Le dernier rapport date de 2021. Tout ne peut pas être prévu dans les scénarios, par exemple, un éventuel affaiblissement ou arrêt du Gulf Stream vers l’Europe. Il évoque les vagues de chaleur et le seuil létal, parlant surtout de l’Afrique entre 2070 et 2100. Le chercheur présente par exemple parmi les sujets moins connus, le problème de l’augmentation de l’acidité (baisse de PH) des océans liés au CO2 qui provoque le développement de phytoplancton et de micro-algues, qui peuvent mettre en péril des chaines alimentaires. Il vend aussi le jeu ‘Climat Tic-tac’.

Le dimanche, Agnès Ducharne, du CNRS, se concentre sur la problématique de l’eau dans le climat. Le sud de l’Europe devrait s’assécher progressivement. L’assèchement va remonter vers le Nord. L’agriculture sera fortement impactée. Elle distingue l’eau bleue, liquide et l’eau verte, dans les sols, impossible à pomper. Elle présente des solutions technologiques, rapidement, et des solutions écologiques, plus longuement, la désimperméabilisation des sols en ville, les cultures plus sobres, la permaculture, les infrastructures vertes, la restauration des lits des rivières, avec l’utilisation des castors, le renforcement des normes ou l’hydrologie régénérative, science qui vise à « ralentir, répartir, infiltrer et stocker toutes les eaux de pluie et de ruissellement, et – densifier sa végétation multifonctionnelle, cultivée ou non, pour améliorer leur résilience face à nombre de problématiques liées à l’eau (sécheresses, érosion, canicules, désertification, inondations, fertilité, biodiversité, évolutions climatiques,…) »

Raphaël Stevens s’est fait connaître en 2015 en écrivant avec Pablo Servigne le livre ‘Comment tout peut s’effondrer’, qui a vulgarisé le concept d’effondrement et la « collapsologie ». Il présente des évolutions récentes de la recherche sur le sujet. Certains parlent de ‘Endgame’ et demandent au GIEC de mieux étudier les scénarios les plus défavorables au-dessus de 1,5 degré de réchauffement d’ici 2100. Certains parlent de « défaillances en cascade » plutôt que d’effondrement, d’autres de « basculement » ou de « points de basculement » (tippings points). Le débat avec le public revient sur les actions et les aspects mentaux, en particulier l’éco-anxiété (cf aussi la conférence que je n’ai pas entendue de Laure Noualhat). Les inquiétudes sur le climat provoquent selon lui des phases, par exemple de colère et de paralysie. Un jeune de 11 ans se fait applaudir avec une question sur la possibilité pour les gouvernements de faire du « collapse washing » pour gagner des élections. Le chercheur espère qu’agiront ensemble, les scientifiques sur les modèles et la simulation, les journalistes et les vulgarisateurs, et plus de monde dans des actions de terrain. Il s’inquiète de la question de la démocratie.

Au milieu des arbres des Murs à pêches, entre les stands associatifs, le bar et les stands de nourriture, en parlant aux vieux ami-e-s, sous le soleil frileux d’un piètre été indien puis près du feu, les concerts sont sans doute là pour nous éviter l’éco-anxiété. Le samedi soir est assez punk, avec Sagittarius A, Les Marteaux Piquettes et Abdullah Sheraton. La soirée du dimanche soir commence calmement avec Hillary & the Pinto Pack concert puis Lise cabaret trio. Puis King Kong Meuf vient clore le week-end en beauté et en furie.


Régis Marzin

16 septembre 2024

dimanche 8 septembre 2024

7 septembre 2024, Paris, Festival Silhouette 2024

Après 4 ans d’absence à cause de la Covid et du festival placé trop tôt en août, le festival Silhouette étant revenu cette année début septembre, me voilà de retour dans le public, pour les derniers jours du festival. C’est d’autant plus important pour moi que le cinéma en plein air de la Villette a été annulé à cause des Jeux Olympiques. Je ne suis pas encore assez chaud pour me remettre à prendre des photos et je vois qu’il y a plusieurs photographes très motivé-e-s qui font cela beaucoup mieux.

L’ambiance a changé. Un jeune homme avec un tatouage ‘femme fatale’ sur le bras symbolise peut-être l’évolution du public. Surtout, je découvre Vega TrashX, la drag queen maîtresse de cérémonie qui est là depuis 2021. Avec ou sans perruque, elle s’adresse au public en le voyant au féminin. Les réalisatrices sont très présentes.

Je suis très content des films que je vois pendant la semaine. J’ai l’impression qu’en mon absence le niveau a monté. Beaucoup de films sont joués par des adolescents et des enfants et très bien joués. Par exemple, j’apprécie beaucoup ‘1996 ou les malheurs de Solveig’ de Lucie Borleteau, une fiction de 31 minutes tournée en 2024 avec des lycéen-ne-s. Parmi les films primés que je découvre samedi soir, puisqu’il avait tous été projetés en début de semaine, je remarque la finesse de ‘Queen size’ d’Avril Besson, qui raconte la rencontre amoureuse entre deux femmes, l’une étant transsexuelle. C’est l’ovation pour ‘A mort le bikini !’ de Justine Gauthier (visible en entier ici), l’histoire d’une fille de 10 ans au Québec, qui ne veut pas de maillot une pièce et à qui sa mère achète un haut de maillot très cher pour qu’elle aille au parc aquatique avec ses copains, une comédie énergique qui commence par une référence à l’album Nevermind de Nirvana, comme un contrepoint et un antidote à ‘Smells like teen spirit’. Ou peut-être qu’est en route un vaste changement, entre raison et révolte, dans l’humour et la bonne humeur, arrivant par la jeunesse et un changement de génération ?

Régis Marzin

8 septembre 2024

 

dimanche 23 juin 2024

23 juin 2024, Aubervilliers, suite de la lutte pour les Jardins des Vertus

Après leur lutte médiatisée de 2021, les jardiniers des jardins ouvriers et le collectif de défense des Jardins des vertus pensaient pouvoir fêter une victoire, malgré quelques parcelles perdues, sur les 87 de départs. Mais leur lutte reprend en raison d’« un pôle multimodal »,  une ligne de bus, un dépose-minute et une piste cyclable qui menace encore 12 parcelles et de leur demande de restitutions des terrains du solarium annulé par la justice. Après un quelques morceaux d’une fanfare et un pique-nique, le collectif présente la situation et invite d’autres groupes et associations présentes près des jardins à venir expliquer leurs luttes écologiques ou sociales, par exemple celles de deux squats, dont le Bathyscaphe d’Aubervilliers, en sursis jusqu’à début juillet, de la Bourse du travail d’Aubervilliers, actuellement très active pour sa survie (du ciné-club certains vendredi soir), ou de Saccage 2024, opposé aux saccages écologiques et sociaux que provoquent les Jeux Olympiques de Paris, etc… Une visite des jardins est ensuite organisée et permet de poser plus de questions. La tendance est de diviser les parcelles pour accueillir plus de monde. Cela semble plus sauvage que les jardins familiaux gérés par une autre association juste à côté. Puisque le soleil est au rendez-vous, cela semble assez paradisiaque. Une partie des personnes partent ensuite pour une manifestation contre l’extrême droite à Paris.

La partie saccagée pour le solarium à côté de la piscine

Régis Marzin

samedi 22 juin 2024

21 juin 2024, Pantin, Fête des réfugiés de France Terre d’asile

Cela se passe pendant la Fête de la musique, mais c’est surtout la Fête des réfugiés, organisée par France Terre d’Asile, pour la Journée mondiale des réfugiés. Je découvre la Cité fertile, juste à côté de la Gare RER de Pantin, une friche industrielle transformée vers 2018-2019 en lieu original, « dédié à la ville durable ». J’y croise de loin Najat Vallaud-Belkacem, venue parler du film ‘Nouveau Monde’ de Vincent Capello, un film sur un jeune réfugié afghan à Paris.

Dans le village associatif, je discute avec les salariées de France Terre d’Asile, évoquant quelques amis journalistes réfugiés politiques, et avec une bénévole transgenre de l’ARDHIS, l’Association pour la reconnaissance des droits des personnes homosexuelles et trans à l’immigration et au séjour. Elle exprime une forte inquiétude sur la probabilité de l’arrivée au gouvernement de l’extrême droite dans quelques semaines. Je m’inquiète pour les homosexuel-le-s en Afrique. Je demande si l’OFPRA ne gère pas mieux leurs dossiers maintenant, d’autant plus que la société française évolue. L’ARDHIS fait son possible pour aider en ce sens par exemple par des formations, mais s’il y a eu une amélioration vers 2015, depuis, le durcissement de la politique anti-migratoire de manière globale touche fortement les homosexuel-le-s cherchant refuge en France.

Régis Marzin

dimanche 24 mars 2024

23 mars 2024, concert BBDMI au Campus Condorcet

Entre 2016 et 2020, l’ouverture du Campus Condorcet a été préparée avec soin, au travers d’une communication locale soignée. Il y avait des conférences régulières pour ouvrir le futur espace sur les villes environnantes, sur les migrants en 2016-2017, puis sur l’environnement en 2017-2018, le ‘global et le local’ en 2018 et 2019. Il y avait aussi des concerts à la Maison des Sciences de l’Homme Paris Nord active depuis 2012. Un premier Grand équipement documentaire (GED) a été accessible avant l’ouverture du campus. En 2019, s’ouvrait le Centre de colloques. Le 24 février 2020, j’écoutais encore une conférence sur la démocratie au théâtre La commune. Quand la Covid-19 est survenue en mars 2020, une ouverture globale du campus a été décalée. La construction des nouveaux bâtiments s’est enveloppée d’un certain brouillard. L’ouverture au public globale du site universitaire a été reportée à une date inconnue jusqu’à se faire oublier, oublier, oublier... pendant près de quatre ans.

Courant 2023, un peu comme les fêtes parisiennes des plus âgé-e-s, l’ouverture au public sur le campus s’est faite discrètement. Le Festival Printemps des Humanités du 21 au 23 mars 2024 sur le thème ‘Prendre soin’ marque assez bien un retour à une programmation ouverte normale en raison de plusieurs concerts à la Maison des Sciences de l’Homme Paris Nord.

Dans le cadre de ce festival, le concert « BBDMI - Brain Body Digital Music Instruments » est un concert de présentation de travaux de recherche. Des compositeur-trice-s et chercheur-se-s jouent « de la musique avec l’électricité du corps et du cerveau ». Ce jour-là, seul le corps et les muscles sont utilisés. Les musicien-ne-s sont équipé-e-s de plusieurs capteurs EMG (électromyogramme) comme dans des examens à l’hôpital. A trois endroits, trois électrodes captant un signal électrique des nerfs liés à des muscles, sur les bras, l’épaule ou le mollet. Ils et elles arrivent à faire que « les gestes corporels pilotent la granularité, la décorrélation et le traitement spatial du son. » Grâce au traitement lié aux capteurs neuro-musculaires, un son long peut être modifié par des mouvements de bras ou un son créé par une main peut être transformé par un mouvement de la jambe. Par ailleurs, à la MSH, la salle dispose d’une sonorisation originale adaptée à la recherche, avec 12 enceintes indépendantes, pas de la stéréo mais 12 sorties son différentes qui permettent de faire rejaillir des éléments musicaux de 12 points de la salle.

Dans une première partie, Anne Sèdes joue sur un grand gong qui crée des sons assez extraordinaires et jamais entendus son morceau ‘ImmerV3’. Puis Amelia Mazarico joue autour de sa guitare acoustique avec David Fierro aux manettes un morceau composé par Alain Bonardi, ‘Electro-Myo-Guitar’. Enfin, Cédric de Bruycker à la clarinette et Quentin Meurisse au piano et à la guitare joue une œuvre d’Atau Tanaka, ‘Competence, work in progress’

Les performances sont suivies d’un débat. Le public pose des questions sur l’utilisation des enceintes de la salle et la dépendance à une sonorisation précise, la possibilité de mettre des capteurs sur des danseur-se-s, le ressenti des musicien-ne-s quand ils-elles jouent, ou la difficulté de la perception pour le public quand le son est créé dans des conditions visuellement très différentes de ce qu’il a l’habitude de voir. Comment lâcher prise et oublier les conditions d’émission des sons pour revenir à la sensation, la poésie, sachant que cette perception est très liée à une culture à la fois sonore et visuelle. Dans beaucoup de concerts, notre esprit se prépare à la suite en observant le corps des musicien-ne-s. Cela me rappelle un souvenir de jeunesse : un jour, dans un grand festival, je dansais au milieu de centaines de personnes les yeux fermés pour ne pas penser à ce qui se passait sur la scène, mais le chanteur de pop anglaise a jeté sa petite percussion très haut en l’air. Tous les gens autour de moi se sont écarté et elle est tombée pile sur ma tête. Aïe !

Régis Marzin

24 mars 2024

samedi 2 décembre 2023

30 novembre 2023, Paris : Etats généraux de la presse indépendante

Les Etats généraux de la presse indépendante sont organisés le jeudi 30 novembre dans le 12e arrondissement de Paris par « Cent médias indépendants et organisations, syndicats de journalistes (SNJ, SNJ-CGT), collectifs de journalistes (Informer n’est pas un délit, Profession pigiste, etc.), associations de défense des droits (Sherpa, Maison des lanceurs d’alerte, etc.), associations de défense de la liberté d’informer (Un Bout des médias, Fonds pour une presse libre, Acrimed, etc.) ». L’événement a été au départ proposé par le Fonds pour une presse libre, en réponse aux États généraux de l’information, voulu par l’Élysée et qui se déroule depuis le 5 octobre dans une certaine indifférence malgré la participation de quelques acteurs importants dont Reporters sans frontières. La mobilisation a été aussi déclenchée par l’attaque de la liberté de la presse dont ont été victime le media Disclose et la journaliste Ariane Lavrilleux sur l’affaire de l’Opération Sirli et des ventes d’armes au pouvoir dictatorial de très haut niveau du maréchal Sissi en Egypte. 

Le collectif organisateur s’est éloigné de la question de la liberté de la presse et de la protection des sources de l’affaire Sirli pour aller également sur le terrain social et économique. Il a publié la veille de l’événement « 59 propositions de réforme de la presse et de notre système d’information », qui ont été travaillées collectivement. Ces propositions concernent les thèmes « Concentration des médias, actionnariat, droits des rédactions », « Renforcer le droit à l’information », « Lutter contre la précarisation de journalistes », « Réformer les aides publiques à la presse ». Toutes les propositions n’ont pas été directement retenues et certaines seront mieux étudiées, comme l’idée d’une intermittence pour les journalistes. Une proposition semble au cœur de la mobilisation, une proposition sur le tarif minimum des piges : « Augmenter les tarifs minimums de pige dans toutes les branches de la presse et imposer des minimums décents dans les branches où aucune grille n’existe, notamment le web. Pour la presse magazine, une première proposition évoque un tarif minimum à 65 € ou 70 € brut le feuillet contre 53 € brut aujourd’hui. »

NB : Un feuillet = 1500 signes espace compris : 53,20€ / 1500 = 0,036 le signe.

Durant la soirée alternent des plénières de 4 ou 5 intervenants et des tribunes sur les thèmes principaux. La question du contrôle de la presse par les milliardaires et leur capacité à censurer et à influencer les discours des media revient régulièrement. Vincent Bolloré est jugé particulièrement nocif. Edwy Plenel vient à la tribune nous dires ses inquiétudes concernant la démocratie, à l’époque où certains, dans les réseaux sociaux, veulent « noyer les gens dans la merde » pour « qu’ils soient perdus ». Il veut faire passer le message que « la démocratie est un écosystème fragile » que les « media de la haine » mettent en danger. Il va très loin, et peut-être un peu trop loin pour le message qu’il souhaite transmettre, en remémorant le souvenir de Radio 1000 collines au Rwanda en 1993 et 1994. Il souhaiterait que les fréquences de télévision (TNT) ne soit pas accordées à ceux qui veulent « transformer une chaîne d’information en une chaîne d’opinion ». Il pense qu’« il serait temps d’empêcher cette dictature des opinions qui ruine la liberté des informations », ce qu’il reprécise le lendemain dans une tribune de Médiapart.

Le débat sur le droit d’informer se porte longuement sur les procédures-baillons qui ralentissent les enquêtes, privent les media de ressources et poussent à l’autocensure. Par exemple, sur scène, le représentant de Mediacités, Jacques Trentesaux, évoque 20 procédures contre son media, 11 gagnées, une perdue et 8 en cours mais surtout 50 000 de frais irrécupérables. Les plaintes en justice contre les media indépendants sont traitées principalement au pénal, ce qui ne permet pas en général de se faire rembourser les frais de justice en cas de victoire pour le media. Ce sont aussi, les reporters sur les actions militantes qui sont visées par des gardes à vue et des poursuites. Sur l’Afrique, récemment, le dictateur togolais Faure Gnassingbé a attaqué en diffamation le journaliste de RMC Nicolas Poincaré et il fait venir de nombreux avocats payés sur son immense fortune.

L’Union européenne, vient juste, la veille, d’avancer sur le sujet, par un accord atteint entre le Parlement européen et le Conseil européen « sur les nouvelles règles de l'UE visant à protéger les personnes visées par les SLAPP (Strategic Lawsuit Against Public Participation), telles que les journalistes, les défenseurs des droits humains ou les organisations de la société civile. Mais pour Tiphaine Beau de Loménie de l’association Sherpa, la loi européenne issue d’une directive de 2017, qui vise à un rejet rapide des SLAPP ne va sans doute pas couvrir assez de situations et il faudra continuer à lutter en France contre procédures-baillons et pour la protection des lanceurs d’alertes.

Le soirée se termine par le témoignage émouvant du journaliste franco-afghan Mortaza Behboudi, retenu prisonnier dans les geôles des talibans entre le 7 et 18 octobre 2023 et visiblement traumatisé par sa détention.

Régis Marzin

1er et 2 décembre 2023,

PS : Arrivé vers 18h45 pendant le débat sur la concentration des médias, le pluralisme, les droits des rédactions, après la présentation générale des propositions et un premier débat sur la Palestine.

dimanche 24 septembre 2023

23 septembre 2023, Aubervilliers, Causerie sur agriculture avec Le Chiffon et les Amis de la Conf

Ce samedi, les Ami-e-s de la Confédération paysanne d'Ile-de-France invite à une rencontre avec le journal Le Chiffon, à la Pépinière, un lieu associatif à Aubervilliers présenté ce soir comme un « tiers-lieu nourricier » et qui accueille, entre autres, la cantine des « Femmes battantes ». Le journal d’enquête papier Le Chiffon, technocritique et consacré à l’Ile-de-France, vient de sortir un dossier sur l’alimentation et l’agriculture. Les journalistes présentent les grands points de leur dossier devant une vingtaine de personnes. Les Soulèvements de la terre sont également là.

50% des terres d’Ile-de-France sont cultivées, essentiellement pour des céréales destinées à l’exportation dans le monde entier. L’autonomie alimentaire de la région n’est que de 1,27%. Pour l’alimentation en Ile-de-France, il existe deux grands circuits d’approvisionnement, celui des grandes surfaces (50%) et celui de Rungis pour les plus petits magasins (40%) depuis 1969. Les 10 derniers pourcents correspondent à des livraisons de paysans. En 1969, Rungis était très connecté au réseau ferroviaire mais 50 ans plus tard il est desservi essentiellement par le réseau routier tout en servant de hub international dans du transport par avion. Avec Rungis, la vente selon le goût a été remplacé par la vente selon l’apparence. Depuis son ouverture, la logistique détermine largement les modes de consommations et les modes de production.

Actuellement, le projet Agoralim de la société Semmaris gérant Rungis vise à créer 4 entrepôts géants autour du Paris pour du bio, entre autres à Gonesse. Derrière des apparences généreuses en faveur d’une meilleure alimentation, ce projet a été critiqué dès son annonce en 2021. Gaspard Manesse, porte-parole de la Confédération paysanne d’Île-de-France indiquait alors au media Reporterre : « La grande majorité de la production en circuits courts se fait directement à la ferme, ou alors dans les petits marchés, sans intermédiaire. Construire un grand entrepôt pour vendre cette production est antinomique. C’est comme dire qu’on veut développer les librairies de proximité en ouvrant un entrepôt Amazon ».

Dans les cinq prochaines années, les départs à la retraite devraient conduire au transfert de propriété de près d’un quart des terres agricoles de la région. De grandes sociétés tentent d’accaparer les terres pour en faire d’encore plus grandes fermes industrielles. L’état pense pallier la disparition des humains par des machines dans une numérisation et une robotisation toujours plus grande.

Le débat part sur des pratiques alternatives, par exemple, des maraîchers salariés de communes fournissant des cuisines collectives. Si une minorité est motivée par des alternatives, pour le journaliste du Chiffon, « la population adhère à une dépossession » qui se fait avec son « assentiment ». La discussion se termine sur l’idée du passage du « savoir » à l’action ou « faire », par exemple dans des projets qui vise à une « déconcentration urbaine ».

Régis Marzin

jeudi 21 septembre 2023

20 septembre 2023, Paris, rassemblement pour la liberté de la presse et en soutien à Ariane Lavrilleux


Le mardi 19 septembre au matin, la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) a perquisitionné pendant plus de 10 heures le domicile de la journaliste d’investigation de Disclose, Ariane Lavrilleux, et l’a mise en garde à vue 48 heures « pour compromission du secret de la Défense nationale et divulgations d'identité de militaires » en raison de ses articles sur l’armée française en Egypte et l’opération française “Sirli”.

Un rassemblement en soutien à Ariane Lavrilleux, organisé par Disclose et RSF, est organisé ce mercredi 20 septembre à 18h30, place de la République à Paris. La DGSI s’attaque « au principe du secret des sources » selon RSF. Le scandale monte rapidement. Plusieurs partis politiques sont présents au rassemblement, EELV, LFI et le PS.

Que signifie collaborer avec la dictature égyptienne de Sissi ? Est-ce une dictature comme une autre ? Dans un classement africain du niveau de dictature, deux dictatures sont au niveau le plus élevé de répression de toutes les libertés, l’Erythrée totalitaire et sans élection, et l’Egypte généralement observé dans le cadre du Moyen-Orient. Les révélations sur l’opération française “Sirli” ont rappelé à ceux et celles qui faisaient semblant de ne pas le savoir à quel point il est problématique de collaborer avec une dictature de très haut niveau. L’attaque actuelle de la liberté de la presse en France en est une nouvelle démonstration.

Quels sont les ministres concernés ? Les ministres de la justice et de l’intérieur, bien sûr. Le 15 septembre, la ministre des Affaires étrangères, Catherine Colonna, était au Caire. Au micro de LCI, parlant de l’Egypte, la ministre a dit : « C'est surtout pour la France un partenaire de longue date, un pays ami et un partenaire stratégique, et qui l'est encore plus dans ce monde en pleine recomposition que vous évoquez, en effet. L'Egypte, pour nous, c'est un pays clé, c'est une puissance régionale, c'est un partenaire de confiance, et c'est un pays qui prône la modération, ce qui lui permet d'être à la fois en mission pour parler au Président Poutine et l'interroger - cela n'est pas sans vertus - sur la guerre qu'il fait à l'Ukraine, et un pays qui aide l'Ukraine à faire progresser son plan de paix en allant à la réunion de Djeddah, il y a quelques semaines, destinée à faire progresser des idées ukrainiennes de paix et de dialogue. L'Ukraine prônant d'ailleurs la paix, là où la Russie, hélas, ne le fait pas… L'Egypte est l'un de nos premiers partenaires et nous sommes l'un de ses premiers partenaires… Son rôle géostratégique n'est plus à démontrer. Et elle parle à la fois aux Américains, à la fois aux Européens, aux Français de longue date… Donc nous nous sommes dans un pays ami, je le redis, un pays qui est un partenaire de confiance et qui parle à tout le monde. Sans comparer avec la France, je crois que cela a ses vertus de pouvoir aider à traiter les grands défis du monde, aider à traiter les grandes crises en s'adressant à tout le monde et en essayant de convaincre tout le monde qu'il faut faire plus, qu'il faut faire mieux. » Autrement dit, en raison de la guerre en Ukraine et du climat actuel rappelant la guerre froide, l’Egypte est stratégique. Quatre jours plus tard, l’état français s’attaque à Ariane Lavrilleux et à la liberté de la presse.

Depuis les coups d’Etat au Niger et au Gabon, les critiques de la politique française en Afrique redoublent. La politique en Egypte est analysée dans le cadre du Moyen-Orient mais cela n’empêche pas les regards de toute l’Afrique de se porter sur ce pays. Ce qui est souvent reproché aux dirigeants français, c’est d’être incapable de réformer profondément une politique encore trop imprégnée du fonctionnement du néocolonialisme, de continuer à se compromettre dans des dictatures, de ne jamais être clair dans ses relations avec des régimes détestés par les populations et se maintenant par de fausses élections sans démocratie. L’Union européenne est capable de dire pourquoi les coups d’état du Niger et du Gabon sont pour elle très différents. Elle est en mesure de parler sans être gênée des inversions de résultats des présidentielles au Gabon en 2009, en 2016 et peut-être en 2023, mais les gouvernements français se sont trop compromis avec Ali Bongo depuis 2009 pour adopter une position transparente. Le message de soutien français à Sissi arrive juste au moment où une clarification des positions françaises sur les dictatures en Afrique serait utile, une clarification sur la légitimité issu des élections pour certains régimes serait utile. Une fois de plus il sera compris, que les dirigeants français sont prisonniers du passé et incapable de réformer une politique obsolète et dangereuse.

Quand le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, est incapable de répondre aux questions de Médiapart sur l’atteinte de la liberté de la presse, cela n’est une surprise pour personne. Il ne sera pas aisé pour le gouvernement de sortir de l’impasse dans son conflit avec l’ensemble des journalistes d’investigation, aujourd’hui très remonté-e-s contre lui et plus que jamais motivé à continuer les enquêtes.

Régis Marzin

Paris, 20 septembre 2023

NB : Aucune photo prise au rassemblement où je suis présent.

lundi 18 septembre 2023

Paris, 17 septembre 2023, Conférence gesticulée pour une Sécurité sociale de l’alimentation

Ce dimanche, au jardin d’Ecobox dans le 18e à Paris, Mathieu Dalmais présente sa Conférence gesticulée intitulée « De la fource à la fourchette, Non ! l’inverse ! ». La conférence explique le projet de Sécurité sociale de l’alimentation, porté par un collectif d’organisations, dont la Confédération paysanne et Ingénieur sans frontières. Depuis 2022, le ‘bio’ dans les circuits courts et les Amap sont en difficulté et l’agriculture industrielle regagne du terrain qu’elle avait perdu. Il est temps de repenser à de nouvelles solutions pratiques. La sécurité sociale de l’alimentation pourrait aider les paysans, favoriser une agriculture saine adaptée à une transition climatique, aider les personnes les plus pauvres à se nourrir correctement, grâce à un fonctionnement démocratique.

Régis Marzin

18 septembre 2023

vendredi 15 septembre 2023

14 septembre 2023, Paris, Limitons les mandats en Afrique avec Tournons la page

En septembre 2022, la coalition associative Tournons la Page lançait une campagne citoyenne pour la limitation des mandats en Afrique. Cette campagne a pour objectifs de « sensibiliser les opinions africaines autour de la problématique des transitions démocratiques, amener la CEDEAO à prendre des dispositions pour que le principe de limitation du mandat présidentiel à deux au cours d’une vie soit une contrainte au niveau de chaque État » et « obtenir l’engagement de chefs d’État africains effectuant leur deuxième mandat ou ayant fait plus de deux mandats à ne pas se représenter pour un mandat supplémentaire ».

La journée commence par deux ateliers organisés pour un public militant et pour l’essentiel jeune, ‘Limitation des mandats et alternance démocratique en Afrique : enjeux et défis’ et ‘Repenser la démocratie au Sahel’. Je donne quelques précisions historiques sur les limitations du nombre de mandats, par exemple que les anciennes colonies françaises ont fonctionné deux fois par vague rapide provoquant une diffusion continentale, à la fois en 1960 et en 1990, pour les indépendances et pour les changements de constitutions de retour au multipartisme. Une diffusion rapide et complète de la limitation des mandats dans les anciennes colonies françaises en 1991 et 1992 a moins bien tenu qu’une diffusion plus lente et plus discutée dans les anciennes colonies britanniques, comme pour les indépendances, quand le multipartisme installé plus lentement a mieux résisté aux coups d’état et au monopartisme côté britannique. 

Les ateliers sont suivis d’une conférence de presse avec Brigitte Ameganvi de Tournons la Page (à droite), et les chanteur-se-s Didier Awadi (à gauche), Nanda et Momo Kankua. Le chanteur camerounais Valséro vient apporter la contradiction ce qui anime fortement la conférence de presse. La conférence part un moment sur l’origine de la démocratie en Afrique. Brigitte Ameganvi rappelle les revendications de la campagne en particulier sur la révision du ‘Protocole additionnel de 2001 sur la Démocratie et la Bonne gouvernance’ de la CEDEAO, pour que la limitation à deux mandats soit inscrite dans les textes de la CEDEAO.

De nombreux-ses chanteur-se-s et musicien-ne-s ont décidé de soutenir cette campagne. Ils et elles devaient se rassembler en septembre 2022 à Dakar mais leur concert a été interdit. Par la suite, Macky Sall a abandonné l’idée d’un troisième mandat mais a fait éliminer son adversaire principal de la présidentielle à venir, Ousmane Sonko. Le concert se tient finalement à Paris, à l'Espace Niemeyer, plus connu sous le nom de Colonel Fabien, comme le siège du PCF, ce 14 septembre 2023, à Paris, la ville où a été créé Tournons la Page en 2014.

Trois artistes, sans doute Papy Kerro (RDC), Lyne des mots (Côte d'Ivoire) et Nourrath la Debboslam (Niger), n’ont pas pu venir faute de visa, ce qui n’est pas sans rappeler l’actualité franco-africaine du jour, sur la coopération culturelle avec le Mali, le Burkina Faso et le Niger. 7 artistes présentent deux ou trois morceaux, dans l’ordre, Don Stash (Togo), Elom 20ce (Togo), Nanda (Gabon, sur la photo), Momo Kankua (Togo), Léman (Bénin), Didier Awadi (Sénégal) et Meiway (Côte d'Ivoire). 

Ecoutant certaines paroles, je me demande comment la poésie et l’art vont réussir à dépasser un discours politique exprimé de manière trop didactique et bienpensant et je suis heureux de voir que cela passe, à chaque fois. Un moment Didier Awadi questionne le public. Assis au fond de la salle, l’artiste camerounais Valsero lui répond « Coup d’état » et Didier Awadi lui demande de le rejoindre sur scène pour chanter « Coup d’état démocratique », un titre plein de subtilité. C’est le meilleur moment de la soirée dans le mélange du fond et de la forme. Il y a aussi un peu de musique ‘trans’ béninoise et de liesse populaire congolaise. Le concert se termine évidemment par la chanson « Limitons les Mandats ! » chanté par les artistes tous ensemble.

Régis Marzin

Paris, 15 septembre 2023

vendredi 4 août 2023

« Malim, une histoire française » de Joël Bescond, retour sur un drame de l’épopée de MSF en Afrique

Le 21 décembre 1989, mourraient au Soudan quatre membres de Médecins Sans Frontières, dont trois Français, dans un attentat. A Aweil, à la limite de ce qui deviendra le Sud Soudan, leur avion était victime au décollage d’un missile provenant d’un point proche de la piste de l’aéroport, donc de la zone maîtrisée par l’armée soudanaise. Les victimes sont Yvon Feliot, le pilote, Laurent Fernet, un logisticien de MSF, Jean-Paul Bescond, docteur, et Frazer Ariyaba, un technicien soudanais du Programme alimentaire mondial de l'ONU (PAM). Même si le pouvoir soudanais accuse les rebelles du SPLA (Sudan People's Liberation Army) de John Garang, en toute vraisemblance, le missile a été lancé par des militaires soudanais, quelques mois après le coup d’état qui a placé El Beshir au pouvoir.

Depuis ce jour, le frère de Jean-Paul Bescond, Joël a recherché la vérité et la justice sur l’attentat. Il a écrit un livre, « Malim, une histoire française », sur l’affaire et la manière dont elle a bouleversé sa vie. Les lettres écrites par Jean-Paul Bescond pendant ses quelques semaines d’action humanitaire, de très belles lettres, révèlent une personnalité intéressante.

Il est question de 2000 personnes travaillant pour MSF au Soudan en 1989, face à la guerre et à la famine provoquée au Sud du Soudan au moment de la guerre d’indépendance du SPLA. MSF quitte rapidement le Soudan après l’attentat. Le livre apporte un témoignage utile sur le fonctionnement des ‘French doctors’ en période de conflit. Il est alors autant question de nourrir les populations que de les soigner.

Aucune plainte en justice n’est portée avant 2009. L’Elysée fait comprendre en 1990 qu’il n’est pas favorable à une plainte en justice. Bernard Kouchner, secrétaire d'État à l'Action humanitaire entre 1988 et 1991 se montre apparemment assez vite indifférent. MSF ne parle pas de plainte. En 2007, alors qu’étrangement, l’hypothèse d’une implication du SPLA refait surface, alors que cette hypothèse ne semble pas se baser sur des éléments sérieux, le besoin de vérité pousse la famille Bescond à porter plainte à Paris.

Le livre replace les événements dans le contexte géopolitique de l’époque. Les histoires du Soudan, du Tchad et de la Libye sont alors très intriquées. En 1989, au Darfour, Idriss Déby se prépare à lancer une offensive vers Ndjaména contre Hissène Habré en 1990. Il est soutenu dans ce projet par la DGSE. La coopération entre la France et le Soudan ne s’arrête pas avec l’attentat.

Même si le livre nous éclaire sur de nombreux points, l’histoire complète de cette affaire de terrorisme reste encore à écrire. En 2023, le Soudan se retrouve de nouveau en guerre civile et MSF se trouve de nouveau ou toujours sur le terrain.

Régis Marzin, 4 août 2023

mercredi 17 mai 2023

16 mai 2023, Paris, La démocratisation de l’Afrique au colloque de Sciences Po

Le colloque « Afrique 2023 : Mouvements citoyens, restaurations prétoriennes et nouvelles configurations internationales » des 16 et 17 mai 2023 à Sciences Po Paris est organisé par l’Université de Cornell à New-york, l’université Northwestern  (d’Evanston dans l’Illinois) et  à Sciences Po, en partenariat avec Tournons La Page et la revue Politique africaine. Une partie des discours étant en anglais, nous avons droit à une traduction simultanée à l’écran en direct.

Il n’y a pas eu ce type d’événement à Paris depuis le début de la Covid ce qui provoque pour certain-e-s de très agréables retrouvailles avec des amis et des connaissances. Il était temps de retrouver des discussions collectives sur Paris et de voir qui fait quoi en ce moment. Par exemple, il se comprend assez vite que le mouvement Tournons la Page, qui regroupe maintenant 242 organisations en 10 coalitions a pris de l’ampleur ces dernières années. Je ne viens qu’à la partie qui concerne le plus mon travail, la démocratisation de l’Afrique la matinée du 16, laissant de côté d’autres thèmes comme les coups d’état, les transitions associées et la Russie.

Le discours d’ouverture est assuré par Roland Marchal, spécialiste du Tchad, du Soudan et de la Centrafrique au Centre d'études internationales de Sciences Po. Il évoque les évolutions actuelles en Afrique, la « critique de l’ancienne puissance coloniale » qui correspond à une « appréciation » qui n’est pas « sur le court terme » et renvoi aux thèmes de la colonisation et des Etats post-coloniaux. Les questions du rejet de la France reviendra ensuite fréquemment dans les interventions et dans les débats. Le chercheur choisit ses mots pour parler de la démocratie depuis 1990, entre « déception » et « désillusion ». Il termine sur la perception de l’évolution de la politique internationale, qui ne va « pas vers une nouvelle guerre froide » ni « un retour du non-alignement » mais vers « une dissolution des camps » et une recherche de « souveraineté ».

 De gauche à droite, Marc Ona, Roland Marchal, Mohammed Tozy et Nic Van de Walle

 Le principal intervenant du premier panel sur les « Acquis et limites de la démocratisation en Afrique 1990-2023 » est Nic van de Walle de l’université de Cornell qui intervient sur le sujet « Progrès démocratique en Afrique, 1990-2023 : Faits stylisés et hypothèses pour l’avenir », un sujet proche de mon domaine de recherche. L’intervention est basée sur des graphiques. Le plus intéressant est peut-être celui qui compare la démocratisation des différentes parties du monde depuis 1990.

On y voit à peu près l’arrêt du processus de démocratisation en Afrique en 2005, une date qui correspond à l’arrêt de la démocratisation plus rapide dans les anciennes colonies britanniques. Le chercheur souligne l’augmentation quantitative de la protestation depuis 2015. Pour le futur, il suppose que le pouvoir judiciaire prendra de l’importance sauf sans doute dans les pays francophones.

Deux discutants complètent le panel, Mohammed Tozy, de l'IREMAM à Aix en Provence et Marc Ona Essangui, l’illustre président de Tournons la Page. Mohammed Tozy pense en parlant de l’Afrique du Nord, que les « régulateurs » qui sont en place sur les droits humains, la presse la concurrence, « adossés aux référentiels internationaux » peuvent être des « contre-pouvoirs sérieux » et évoque l’influence du Qatar, de l’Arabie saoudite et des Emirats arabes unis.

Pendant le débat, Nic van de Walle répond à une question sur les inégalités sociales. Il explique qu’il n’y a pas de lien entre les inégalités et l’absence de démocratie, puisque le maximum d’inégalités se trouvent dans la partie la plus démocratique de l’Afrique, l’Afrique australe. Evidemment, cela fait se poser des questions sur les partis politiques en particulier en Afrique du Sud.

Je questionne Nic van de Walle sur les perspectives de déblocage de certains pays, puisque beaucoup de pays sont ‘bloqués’. Je pense à des surprises récentes, les progrès en Mauritanie et en Tanzanie, sachant qu’il y a beaucoup de régressions ailleurs, bien documentée, mais que cette régression pourrait cacher de nouveaux types d’évolution encore peu étudiés. Cela m’oblige à préciser qu’il existe des états anti-démocratiques avec alternance de chef de l’état en cas de limitation du nombre de mandats, un type de régime dont le modèle peut-être involontaire a été la Tanzanie et que ces régimes se sont multipliés à partir de 2016 sans être comptabilisés. Je fais l’hypothèse que les Etats-Unis et la Grande-Bretagne peuvent aider la Tanzanie à se démocratiser correctement. Le chercheur américain pense que la Tanzanie ne veut pas être en retard par rapport à des voisins comme le Kenya et souligne l’importance d’un « parti fort » d’opposition. Il parle de « parti fort » en parlant d’un seuil de 25% des voix. Il remonte à Napoléon pour analyser la soumission du pouvoir judiciaire à l’exécutif côté français.

A la pause, Nic van de Walle et moi parlons de l’écart qui se creuse dramatiquement entre les anciennes colonies françaises et britanniques. Quelles sont les causes de cette évolution ? Dans la liste des causes possibles, il y a la différence de structure et d’indépendance des commissions électorales, la gestion du contentieux, avec d’un côté un pouvoir judiciaire qui se renforce et de l’autre des cours constitutionnelles soumises aux chefs d’état, la conception plus solide des constitutions comme devant être respectées côté anglophone et Common Law, un effet d’entrainement collectif et de solidarité entre pays dans un espace linguistique soit en négatif soit en positif. Je rajoute les calendriers électoraux avec les élections regroupées qui permettent d’améliorer plus facilement les processus électoraux côté anglophone et la qualité supérieure de la recherche en langue anglaise, qui est aussi plus pragmatique pour viser à trouver des solutions à des problèmes. Actuellement, c’est presque comme si 80% des données sur les détournements des processus électoraux étaient du côté francophone et 80% des recherches sur les solutions du côté anglophone.

Le second panel présidé par Sandrine Perrot de Sciences Po s’intitule « La démocratie a-t-elle réussie ? ». Rachel Riedl de l’université de Cornell propose un exposé « Recul démocratique et résilience : Ouvrir l'espace démocratique par de nouvelles stratégies d'opposition ». En anglais, on parle de « reverse democratic backsliding ». Il est question, entre autres des alliances entre société civile et partis d’opposition. 

De gauche à droite, Marc Ona, Elhadji Idi Abdou, Rachel Riedl, Sandrine Perrot et Richard Banégas

Marc Ona Essangui intervient sur « 2013-2023 : La dégradation de l'espace civique en Afrique ». Il rappelle la répression par exemple en Guinée actuellement, ou l’on fait des mois de prison pour une manifestation. Actuellement, le leader gabonais voit du populisme qui fait pression sur les associations : « des éléments de langage sont imposés par la rue, contre le colonialisme ». Il précise que la rue ne tient pas compte du fait que la Chine et la Russie ne soutiennent jamais la démocratie. Pour lui, les rapports d’associations comme Amnistie sont moins efficaces aujourd’hui, alors que les pays occidentaux sont très frileux, « trainent le pas » pour réagir. Il souhaite que la France ait moins peur de développer sa communication.

Richard Banégas, de Sciences Po, a intitulé son exposé « “Cabri mort n’a pas peur de couteau”. Les impasses de la révolution démocratique passive des années 1990 et les promesses non tenues des insurrections civiques des années 2010 ». Les mouvements sociaux avaient pris de l’importance après la révolution burkinabée de 2014, dans la suite du « dégagisme » de 2011. Puis, alors que les printemps arabes ont participé à propager des guerres, la guerre contre le djihadisme a mis au centre du jeu les armées au sahel. On passe des « processus de transitions » des années 90 aux « restaurations autoritaires ». Au-delà d’un « regard désabusé », on peut voir, selon lui, des avancés au niveau de « la libéralisation de la parole publique », la « gestion locale », des « progrès du contrôle citoyens ». Il y a maintenant de nouvelles mobilisations. Il y a aussi des mobilisations différentes en particulier religieuses, qui ont un lien avec le rejet de l’occident. Il termine sur un clip d’une chanson qui parle des conséquences de ne plus rien avoir à perdre : « On est assis par terre, est-ce qu’on peut tomber encore ? »

Elhadji Idi Abdou, de Tournons la Page Niger est noté « discutant » au programme mais fait une intervention comme les autres. Au Niger, pour la société civile, manifester reste interdit. Je note qu’il rappelle l’alliance de la société civile avec Issoufou avant son arrivée au pouvoir.

Au cours du rapide débat final de la matinée, Marc Ona revient sur la perception de la France. Ayant constamment lutté contre la Françafrique, il a toujours souhaité que la France ne soit pas considérée comme le « bouc émissaire » responsable de tous les maux.

Le débat doit s’approfondir dans de nombreuses directions dans les deux demi-journées suivantes. Ce colloque montre des intérêts communs entre des associations et des chercheur-se-s de part et d’autre de l’Atlantique. La collaboration ne peut être que fructueuse. Les approches sont sans doute complémentaires puisque que beaucoup de difficultés que rencontrent l’Afrique prennent place dans un espace francophone, avec des données surtout disponibles en français et que la question du soutien de la démocratie se pose d’une autre manière sans doute plus large et plus pragmatique aux Etats-Unis.

Régis Marzin

Paris, 17 mai 2023