Ce samedi26 novembre, je suis invité au
Tarmac par le metteur en scène de théâtre Thierry
Blanc, à un événement mixant lecture et discussion
sur la présidentielle gabonaise, dans le cadres de la série des
Tarmac diplomatiques, en partenariat avec le Monde diplomatiques et les Amis du
Monde diplomatique.
J’y interviens comme journaliste et chercheur
sur les élections en Afrique, travaillant sur le
Gabon, avec Laurence Ndong, militante de la diaspora gabonaise à Paris et
participante de la campagne
Tournons la page.
Thierry Blanc commence par lire l’article du
journaliste Olivier Piot du Monde diplomatique d’octobre 2016 ‘Au Gabon, la
mécanique du népotisme s’enraye.’ Il finira ensuite la séance par une lecture d’un
écrivain gabonais.
Dans la discussion, il s’agira surtout de mieux
expliquer ce
qui s’est passé lors de la présidentielle gabonaise. L’inversion du
résultat est assez évidente, même pour un public parisien.
Nous revenons sur le bilan humain, sur l’impossibilité
de dresser un bilan des victimes. Je remarque qu’il faut se méfier de la norme
des ONG qui voudrait que l’on connaisse exactement les informations sur les
crimes alors que le pouvoir fait tout pour que cela soit impossible à faire. Je
souligne que les media français, même défavorable à Ali Bongo, n’ont pas fait
une communication normale sur les victimes, semblant suivre les diplomates. Une
hypothèse est aujourd’hui que les diplomates ne souhaitaient pas au Gabon
entrer dans l’engrenage des enquêtes sur le bilan des victimes et des sanctions
associées, comme si cela les amèneraient trop loin dans une logique de
confrontation avec les dictateurs africains, à l’heure des attaques de la CPI
par ces dictateurs.
Les questions sont beaucoup sur la partie de l’arbitrage
international du conflit électoral. C’est là que les choses changent, mais
puisque les choses changent paradoxalement dans la continuité, en particulier
au niveau de la diplomatie française, il est nécessaire d’en analyser les
détails.
Bien que l’on n’ait pas eu le temps d’approfondir,
il a été possible de dire l’essentiel. Par exemple, entre l’Union européenne, l’Union
africaine et les Nations-Unies, il y a un protocole de gestion des crises qui
donne la priorité à la gestion la plus proche, à une priorité au principe de souveraineté
nationale élargi géographiquement aux institutions supranationales, par des
principes de subsidiarité (l’Onu donne la priorité à l’Ua) et de
complémentarité (l’Ue donne la priorité à l’Ua).
Un nouveau coup d’Etat électoral a été possible au
Gabon, parce que ces deux principes ont été détournés pour permettre une
solidarité entre dictateurs, comme cela s’était déjà produit au
Togo en mai 2015. Idriss Déby a pu intervenir au niveau de la Cour
constitutionnelle gabonaise avec de la fausse légalité et de faux juristes eux-mêmes
impliqués dans d’autres coups d’Etat électoraux, parce que l’Ue a accepté sous
contraintes de laisser la priorité à l’Ua, même si le président de l’Ua Idriss
Déby intervenait pour ses intérêts
personnels comme ceux d’autres dictateurs. Et l’Ue a cédé parce que le
débat a eu lieu, de manière non transparente, lors d’une Assemblée générale de
l’Onu, alors que la priorité a été donnée lors de cette assemblée au Congo
Kinshasa.
C’est justement pour cela que le débat n’est pas
clos et qu’il sera difficile de faire taire les témoins européens. Le rapport
de l’Ue est attendu pour le 7 décembre. Sa diffusion a été retardée parce que l’enjeu
est important pour l’Ue. Il n’est plus possible de faire semblant, une plus
grande confrontation avec l’Ua et les dictateurs est maintenant difficile ou impossible
à éviter. Soit l’Ue dit la vérité entière sur le Gabon, soit elle se couche, et
dans ce cas sa politique de soutien à la démocratie en Afrique risque de s’écrouler,
de devenir totalement inopérante.
Car, ce n’est pas seulement l’inversion du
résultat d’une élection gabonaise qui est évidente, c’est surtout le
blocage de la démocratisation de l’Afrique depuis 2005 et l’inefficacité des
outils conçus au début des années 2000, l’Accord de Cotonou de 2000 entre l’Ue
et les pays africains, sur le lien entre aide et démocratisation et Etat de
droit, la Cour pénale internationale de 2002, très fragilisée, surtout dans le
domaine électoral, depuis l’instrumentalisation
françafricaine en Côte d’Ivoire en 2011, et la
Charte africaine de la démocratie, des
élections et de la gouvernance de 2007, constamment foulée du pied.
En particulier, un tabou est maintenant brisé au
niveau de l’observation des élections : les missions d’observations
européennes n’étaient acceptées dans les dictatures que si elles étaient
neutralisables par les pouvoirs en place. Dans le cas contraire exceptionnel, survenu
au Gabon suite à l’alliance de l’opposition gabonaise 15 jours avant le
scrutin, l’Union européenne se retrouve enfin face à une responsabilité qu’elle
ne peut fuir sans dommages. Et pour l’Ue,
continuer en transférant plus de responsabilités dans l’observation à l’Ua
serait irresponsable.
La partie internationale et africaine de la
confrontation gabonaise n’est pas l’unique canal de la lutte pour la fin de la
dictature au Gabon. Il y a aussi les lentes procédures judiciaires, la
stratégie des partis politiques en ce qui concerne les législatives, et
bien sûr la mobilisation populaire, à la fois dans les grèves, les villes
mortes et le potentiel des manifestations dans la rue.
Régis Marzin, Paris, 27 novembre 2016
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