dimanche 27 novembre 2016

26 novembre 2016, Paris, Gabon : 'la mécanique du népotisme'

Ce samedi26 novembre, je suis invité au Tarmac par le metteur en scène de théâtre Thierry Blanc, à un événement mixant lecture et discussion sur la présidentielle gabonaise, dans le cadres de la série des Tarmac diplomatiques, en partenariat avec le Monde diplomatiques et les Amis du Monde diplomatique.
J’y interviens comme journaliste et chercheur sur les élections en Afrique, travaillant sur le Gabon, avec Laurence Ndong, militante de la diaspora gabonaise à Paris et participante de la campagne Tournons la page.
Thierry Blanc commence par lire l’article du journaliste Olivier Piot du Monde diplomatique d’octobre 2016 ‘Au Gabon, la mécanique du népotisme s’enraye.’ Il finira ensuite la séance par une lecture d’un écrivain gabonais.
Dans la discussion, il s’agira surtout de mieux expliquer ce qui s’est passé lors de la présidentielle gabonaise. L’inversion du résultat est assez évidente, même pour un public parisien.
Nous revenons sur le bilan humain, sur l’impossibilité de dresser un bilan des victimes. Je remarque qu’il faut se méfier de la norme des ONG qui voudrait que l’on connaisse exactement les informations sur les crimes alors que le pouvoir fait tout pour que cela soit impossible à faire. Je souligne que les media français, même défavorable à Ali Bongo, n’ont pas fait une communication normale sur les victimes, semblant suivre les diplomates. Une hypothèse est aujourd’hui que les diplomates ne souhaitaient pas au Gabon entrer dans l’engrenage des enquêtes sur le bilan des victimes et des sanctions associées, comme si cela les amèneraient trop loin dans une logique de confrontation avec les dictateurs africains, à l’heure des attaques de la CPI par ces dictateurs.
Les questions sont beaucoup sur la partie de l’arbitrage international du conflit électoral. C’est là que les choses changent, mais puisque les choses changent paradoxalement dans la continuité, en particulier au niveau de la diplomatie française, il est nécessaire d’en analyser les détails.
Bien que l’on n’ait pas eu le temps d’approfondir, il a été possible de dire l’essentiel. Par exemple, entre l’Union européenne, l’Union africaine et les Nations-Unies, il y a un protocole de gestion des crises qui donne la priorité à la gestion la plus proche, à une priorité au principe de souveraineté nationale élargi géographiquement aux institutions supranationales, par des principes de subsidiarité (l’Onu donne la priorité à l’Ua) et de complémentarité (l’Ue donne la priorité à l’Ua).
Un nouveau coup d’Etat électoral a été possible au Gabon, parce que ces deux principes ont été détournés pour permettre une solidarité entre dictateurs, comme cela s’était déjà produit au Togo en mai 2015. Idriss Déby a pu intervenir au niveau de la Cour constitutionnelle gabonaise avec de la fausse légalité et de faux juristes eux-mêmes impliqués dans d’autres coups d’Etat électoraux, parce que l’Ue a accepté sous contraintes de laisser la priorité à l’Ua, même si le président de l’Ua Idriss Déby intervenait pour ses intérêts personnels comme ceux d’autres dictateurs. Et l’Ue a cédé parce que le débat a eu lieu, de manière non transparente, lors d’une Assemblée générale de l’Onu, alors que la priorité a été donnée lors de cette assemblée au Congo Kinshasa.
C’est justement pour cela que le débat n’est pas clos et qu’il sera difficile de faire taire les témoins européens. Le rapport de l’Ue est attendu pour le 7 décembre. Sa diffusion a été retardée parce que l’enjeu est important pour l’Ue. Il n’est plus possible de faire semblant, une plus grande confrontation avec l’Ua et les dictateurs est maintenant difficile ou impossible à éviter. Soit l’Ue dit la vérité entière sur le Gabon, soit elle se couche, et dans ce cas sa politique de soutien à la démocratie en Afrique risque de s’écrouler, de devenir totalement inopérante.
Car, ce n’est pas seulement l’inversion du résultat d’une élection gabonaise qui est évidente, c’est surtout le blocage de la démocratisation de l’Afrique depuis 2005 et l’inefficacité des outils conçus au début des années 2000, l’Accord de Cotonou de 2000 entre l’Ue et les pays africains, sur le lien entre aide et démocratisation et Etat de droit, la Cour pénale internationale de 2002, très fragilisée, surtout dans le domaine électoral, depuis l’instrumentalisation françafricaine en Côte d’Ivoire en 2011, et la Charte  africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance de 2007, constamment foulée du pied.
En particulier, un tabou est maintenant brisé au niveau de l’observation des élections : les missions d’observations européennes n’étaient acceptées dans les dictatures que si elles étaient neutralisables par les pouvoirs en place. Dans le cas contraire exceptionnel, survenu au Gabon suite à l’alliance de l’opposition gabonaise 15 jours avant le scrutin, l’Union européenne se retrouve enfin face à une responsabilité qu’elle ne peut fuir sans dommages. Et pour l’Ue, continuer en transférant plus de responsabilités dans l’observation à l’Ua serait irresponsable.
La partie internationale et africaine de la confrontation gabonaise n’est pas l’unique canal de la lutte pour la fin de la dictature au Gabon. Il y a aussi les lentes procédures judiciaires, la stratégie des partis politiques en ce qui concerne les législatives, et bien sûr la mobilisation populaire, à la fois dans les grèves, les villes mortes et le potentiel des manifestations dans la rue.
Régis Marzin, Paris, 27 novembre 2016

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