Le Campus Condorcet
ayant, cet automne, ouvert ses portes, des activités commencent à y prendre
place. Le Festival du film social ‘la 25e
image’ fait partie des premières activités ouvertes au grand public dans
les bâtiments flambant neufs.
Il est accueilli du 15 au 17 octobre au Centre
de colloques. Au cours de ce festival organisé par plusieurs écoles de travailleur-se-s
sociaux-ales, 31
documentaires sont projetés dans six villes, Aubervilliers, Bobigny,
Cergy-Pontoise, Montrouge, Melun et Nice.
Au même moment, le Centre de colloques accueille dans son
second auditorium, un colloque intitulé « Enjeux
démocratiques en Afrique, l’apport des données de recensement et d’état civil »,
dans le cadre du projet européen Démostaf, qui souhaite « mettre en
lumière les recherches qui sont actuellement menées sur les dynamiques
sociodémographiques en Afrique », et « aborder les caractéristiques de la
population et leurs transformations, que ce soit en termes de fécondité et de
santé de la reproduction, de famille et de nuptialité, de migration, de
scolarisation ou encore de santé et de mortalité. » J’y récupère les dernières
données de l’INED sur la population mondiale, 7,714 milliards d’habitant-e-s
mi-2019 dont 1,308 milliards en Afrique. Pour ce continent, la projection en 2050
est de 2,489 milliards d’habitant-e-s.
J’ai choisi dans le programme de la 25e image le
film ‘Les portes d’Arcadie’ de Carole
Grand (2015). Pour comprendre les migrations venant d’Afrique, la question de l’asile
des homosexuel-le-s est encore peu documentée. J’ai aussi lu récemment la bande
dessinée « Putain de vies !» de
Muriel Douru, qui donne quelques indications sur la traite des êtres humains du
Nigéria vers l’Europe dans la prostitution. Pour rester critique sur la politique
européenne actuelle, avoir une vision de bout en bout des trajectoires des
migrant-e-s est nécessaire.
Le film de Carole Grand présente des entretiens passés par
des demandeuses d’asile lesbiennes dans les bureaux de l’Association
pour la reconnaissance des droits des personnes homosexuelles et trans à
l'immigration et au séjour (Ardhis) à Paris. Sur
les images, une bénévole de l’association, Ewa, reçoit, parfois avec un
traducteur, des personnes, seule ou en couple, qui ont fait une demande d’asile
à l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (Ofpra). Elle les aide à comprendre
le droit français, la procédure d’asile, à préparer le dossier et les
entretiens. Elle les soutient, les accompagne et les coache.
Beaucoup de pays
qui pénalisent les pratiques homosexuelles sont en
Afrique. Les lesbiennes filmées viennent toutes d’Afrique de l’Ouest, du
Sénégal, de Côte d’Ivoire ou de Sierra Leone. Elles racontent des arrestations,
des viols dans des commissariats, des violences de bandes de leur quartier, le
rejet immédiats par leurs parents jusqu’à les maudire, des lois homophobes, des
mariages forcés en polygamie… beaucoup de violences masculines, physiques et
psychologiques. Tant que l’homosexualité reste secrète, rien ne se passe, et dès
que cela est connu publiquement, les violences homophobes se déclenchent. On remarque
d’autant plus le témoignage sur un seul homme cité pour avoir aidé certaines d’entre
elles, un membre d’une association de droit humain en Sierra Leone.
Carole Grand et Ewa sont présentes pour
débattre du documentaire. Carole Grand a préféré filmer des femmes qui
sont moins visibles. Elle s’est concentrée sur les persécutions et souffrances dans
le pays d’origine et pas sur les trajets, pour mettre en évidence la spécificité
des demandes d’asile des LGBT.
Ewa précise la procédure d’asile, qui
commence à l’Ofpra et, en cas de rejet, continue au tribunal à la Cour
Nationale du Droit d'Asile (Cnda). Soixante
bénévoles de l’Ardhis accompagnent les demandeur-ses-s d’asile dans ce parcours,
plus de 1000 en 2018. Les entretiens à l’Ofpra sont assez longs mais les audiences
au tribunal durent souvent à peine une demi-heure, 55 minutes au maximum. Les
procédures prennent entre six mois et deux ans. Un maximum de personnes
viennent du Sénégal et de Côte d’Ivoire, un peu moins viennent du Nigéria, de l’Ouganda
ou du Bangladesh. 85% sont des hommes et seulement 15% des femmes. Les femmes
ont beaucoup moins de chance d’arriver en France, surtout si elles sont mariées.
Depuis 2015, certaines meurent en Libye. Elles arrivent beaucoup plus abimées. Certaines
sont séparées de leurs enfants, qui eux-mêmes peuvent être victimes à leur tour
de discriminations.
Le Sénégal est un pays qui connaît la
démocratie depuis 18 ans, un pays où un Etat de droit général se maintient
malgré certains affaires. L’Ofpra le considère comme un
pays « sûr » depuis 2005, mais il est tout sauf
« sûr » pour les homosexuel-le-s : l’homosexualité y est illégale
avec des peines de 1 à 5 ans de prison.
Depuis 2015, les bénévoles de l’Ardhis peuvent assister à
des entretiens à l’Ofpra. Les Officiers
de protection instructeurs (OPI) sont moins brusques et plus sensibles qu’avant.
Ces dernières années, l’Ofpra a fait des progrès dans le traitement des
dossiers des LGBT mais peut encore en faire. Beaucoup de refus sont justifiés pour absence
de « preuves » suffisantes alors que cela ne devrait pas être le cas,
en disant que l’histoire n’est « pas assez détaillée et personnalisée ».
Certaines femmes visibles dans le film ont vu leur asile refusé. A certain
moment, la CNDA accorde des asiles ce qui montre que l’Ofpra n’a pas fait
correctement son analyse des dossiers sur cette période. La question reste très
politique. A une époque, ou la politique migratoire s’organise, se rationalise,
le Président de la République, les ministres ou des députés pourraient aussi
impulser de nouveau progrès, sur une partie des demandeur-se-s d’asiles pour
qui il n’y a pas de progrès en vue en Afrique.
L’Ardhis défend les droits des étranger-ère-s
LGBTI. Elle revendique
« un traitement équitable de toutes les demandes d’asile »,
par exemple, la « disparition de la notion de ‘pays d’origine sûr’ et des
mesures d’accélération de la procédure qui lui sont liées », des « conditions
matérielles permettant un exercice effectif de ses droits », par exemple la
« prise en compte par les services sociaux d’urgence de risques
spécifiques aux personnes LGBTI+ et de l’état de santé », un « devoir
de toutes les administrations françaises d’information complète sur l’ensemble
des motifs de protection », par exemple, la « formalisation de
la pratique de délivrance de visas humanitaires à titre de demande d’asile aux
personnes LGBTI+ », un « traitement non discriminant et uniforme par
les consulats et préfectures » et des mesures « permettant la
stabilité du couple et du séjour ».
Au cours de ce même après-midi, au Maroc, la
journaliste Hajar
Raissouni, qui avait été condamnée
à un an de prison pour « avortement
illégal » et « relations
sexuelles hors mariage », est libérée.
Régis Marzin
Article écrit et publié le 17.10.19 + tweet
PS : 26 octobre 2019 : Concert de soutien à l’Ardhis au Point éphémère
PS : 26 octobre 2019 : Concert de soutien à l’Ardhis au Point éphémère
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