Le colloque 'Le génocide des tutsi au Rwanda : 1993: Que savait-on un an avant le génocide?' est organisé par Ibuka au Mémorial de la Shoah, dans le 4e à Paris. C'est la première fois que j'entre dans ce lieu qui donne une grande solennité au colloque. La salle est pleine avec plus de 100 personnes, dont beaucoup de spécialistes. J'arrive intrigué par la présence de Bernard Kouchner au milieu de certain-e-s expert-e-s qui dénoncent fortement la complicité française dans le génocide. L'ancien ministre est 'président de séance' et pas intervenant lui-même. Il est animateur et chargé de modérer les questions aux 2 intervenants, Eric Gillet, avocat à la FIDH et Ndoba Gasana, universitaire rwandais. Cela lui permet d'échapper sans heurt à l'obligation de réponse au public. Je le sens un peu stressé au moment de clôturer, pour des raisons d'horaire alors que des questions essentielles restent en suspens: quels était les intérêts de la France à soutenir le régime? Quelle conclusion tirer sur le fonctionnement de la démocratie en France ? Est-ce le secret défense pourrait être levé sur tous les documents qui peuvent servir de preuve ? Il garde une parfaite maîtrise de lui-même mais, quelques secondes avant la fin de la plénière, son regard évoque peut-être un court instant le poids des secrets.
La seconde plénière à laquelle j'assiste est consacrée aux médias belges et français avant le génocide. Jean-François Dupaquier anime et n'intervient pas vraiment, ce qui est frustrant quand on sait sa maîtrise du dossier. Colette Braeckman (lire son compte-rendu du colloque) présente le point sur la Belgique et Maria Malagardis sur la France. Un journaliste rwandais devait être là, mais il n'a pas eu de visa. Certaines anecdotes sont révélatrices: Colette Braeckman témoigne avoir compris beaucoup de choses en découvrant cette phrase écrite par un envoyé du gouvernement rwandais sur un tableau lors d'une conférence à Bruxelles : "Arrêtez la guerre, nous arrêterons les massacres." Elle évoque aussi un journaliste qui lui a dit quelques jours avant le déclenchement du génocide qu'il serait mort dans quelques jours parce qu'il était sur une liste de personne à tuer, ce qui fût le cas dès le 7 avril. Maria Malagardis, après avoir parlé du rôle de Jean Carbonare pour l'alerter, raconte qu'un fonctionnaire proche de Mitterrand lui a fait un court sur l'influence anglo-saxonne dans la région, énervé au point d'être en sueur, elle découvrit alors 'le degré d'idéologisation et de fanatisme'.
La dernière plénière, consacrée au Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) est la plus intéressante sur le fond. Elle est animée par Stéphane Audouin Rouzeau, d'EHESS. Le président d'Ibuka France, Marcel Kabanda, introduit le débat sur la question principale concernant le TPIR: en ne traitant que de 1994 à partir du 1er janvier, la vérité a été cachée sur la planification du génocide. Hélène Dumas, d'EHESS, intervient sur les Gacacas, ce qui permet de réfléchir au génocide au niveau des villages, des voisins, des familles. Raphaëlle Maison nous explique la controverse de la compétence temporelle. Cela s'est décidé avec la résolution de l'ONU 955 du 8 novembre 1994. Elle explique que c'est bien la France qui a fait pression pour empêcher que le TPIR ne traite de la période avant 1994. Le nouveau gouvernement du Rwanda voulait lui que le tribunal travaille aussi sur 1990-1993. Le représentant français à l'ONU a créé la confusion en faisant comme si le tribunal pourrait traiter de crimes du nouveau gouvernement et de la questions des camps de réfugiés en RDC. Ensuite, les juges auraient pu choisir une interprétation large pour enquêter sur l'entente en vue préparer le génocide. Cela n'a pas été le cas. En 2007, à 3 contre 2 juges ils-elles ont décidés d'en rester à des responsabilités individuelles sur 1994, comme le voulait l'Etat Français. Le travail de la justice sur les causes n'a pas été fait. Le travail des universitaires et des historiens est nécessaire pour compléter le travail de la justice incomplet, surtout si la justice se contente des responsabilités individuelles. Le débat avec la salle revient sur les responsabilités françaises pour éviter que la justice ne viennent enquêter sur les complicités françaises dans le génocide. Raphaëlle Maison évoque aussi la collaboration active anti-FPR entre la juge du TPIR, Carla del Ponte, et le juge Bruguière, dont l'enquête sur l'attentat de l'avion est totalement remise en cause aujourd'hui. Une histoire du TPIR serait à écrire, une enquête sur le rôle du Conseil de Sécurité serait à poursuivre.
L'ambassadeur du Rwanda en France, Jacques Kabale, a droit à la conclusion. Le ton était un peu trop diplomatique depuis plusieurs heures. Il est bien plus direct quand il dit que les diplomates et l'ONU savaient très bien ce qui se préparait au Rwanda les années précédent le génocide, et que les amis du gouvernement d'Habyarimana au Conseil de Sécurité de l'ONU l'ont soutenu, ce qui a empêcher d'arrêter le génocide. Le mot de la fin revient à Ibuka qui demande à François Hollande d'ouvrir pour les 20 ans en 2014 un lieu de mémoire du génocide rwandais à Paris(pétition).
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