Depuis le lancement de la campagne Tournons
la Page mi-2014, le Secours Catholique continue de s’affirmer par des
prises de positions courageuses sur l’Afrique. Quelques jours avant la probable
visite du pape à Bangui, il organise dans la soirée du 18 novembre à Paris,
à la Maison des Évêques de France,
une conférence ‘Centrafrique
: Quels leviers pour une paix durable ?’. Les intervenants sont Thierry
Vircoulon, d’International Crisis Group, Jean-François Akandji
Kombe, centrafricain et professeur de droit à la Sorbonne, et Rachid Lahlou,
président du Secours Islamique France. Le débat est animé par Antoine Sondag.
(Photo de gauche à droite : Rachid Lahlou, Thierry Vircoulon, Antoine
Sondag, Jean-François Akandji Kombe et Aude Hadley du Secours Catholique)
Les derniers jours, j’ai perdu beaucoup de temps et d’énergie à cause du
massacre du 13 novembre et j’arrive en retard, quand se terminent les interventions,
pour le débat avec la salle. Le programme prévoyait aussi des vidéos de l’archevêque
de Bangui, Monseigneur Nzapalainga et du président de la communauté islamique
centraficaine, l’imam Kobine Lamaya, que j’ai donc manquées.
La soirée aborde le thème de l’action des ONG en Centrafrique, parfois
contestées, par exemple dans l’utilisation de l’argent européen, mais aussi fortement
remerciées, surtout pour ses interventions humanitaires.
Rachid Lahlou insiste sur le processus de Désarmement, Démobilisation et
réinsertion (DDR). La Séléka a pris Bamabari comme « capitale », et
pour lui, le risque de partition existe à plus long terme. Jean-François Akandji
Kombe revient sur la fausse lecture religieuse du conflit et dénonce l’ambassadeur
de France qui avec Sangaris rencontre la Séléka, dont les chefs sont sur « liste
noire ».
Le débat lancé avec la salle, les discussions portent essentiellement sur
la tenue des élections. Elles sont considérées comme imposées par la communauté
internationale alors que les conditions ne sont pas réunies. Ce point de vue assez
consensuel varie peu depuis l’erreur de Laurent Fabius début 2014, qui a comme ‘confondu’
les problématiques de la RCA et du Mali. La pression française sur le
gouvernement de transition actuel a provoqué un affaiblissement de la relation
entre la France et la Centrafrique. Selon Thierry Vircoulon, une partie des
politiques centrafricains veulent se débarrasser du gouvernement de transition.
Il affirme que « l’élection est un piège qui se refermera sur ceux qui
seront élus ». Il est aussi question du risque d’oubli du pays, qui a déjà
commencé mais pourrait être bien pire suite au scrutin.
Un centrafricain du public évoque une guerre idéologique autour des forces
soudanaises et tchadiennes qui ont participés à la crise en Centrafrique pour y
voir finalement la main cachée des USA, de la France dans un « chaos
programmé » et cite quelques livres d’auteurs panafricanistes pour se
justifier.
Plus sérieusement, un autre centrafricain, François Passéma critique l’action
de la MINUSCA et de Sangaris. Il indique qu’une priorité aurait dû être de
remettre avant en place l’administration, ce que reconnaît Thierry Vircoulon.
L’ancienne ministre de la Communication et de la Réconciliation
nationale dans le gouvernement centrafricain de transition entre janvier et
août 2014, qui a travaillé sur le processus de réconciliation, Antoinette Montaigne,
revient très diplomatiquement sur les liens forts avec les tchadiens, sur la « peur du
musulman » « vu comme un danger ». Pour elle, les « migrants
(tchadiens qui étaient ou sont toujours en RCA) ne sont pas tous centrafricains ».
Elle préconise des « consultations populaires pour un dialogue inclusif »,
la lutte contre l’impunité, un travail social de « distribution des postes
et privilèges ».
Comme souvent depuis début 2013, malgré la gravité
de la
responsabilité d’Idriss Déby en RCA, le point de vue sur le
Tchad et son président est exprimé de manière très tempéré sans doute par
nécessité, pour laisser une chance au dialogue.
En discutant pendant le pot qui suit le débat, j’arrive
à la conclusion que le débat n’a pas été jusqu’au bout sur le point des
élections qui sont prévues les 27
décembre 2015 et 31 janvier 2016. Selon moi, après plusieurs reports des
scrutins depuis 2014, les dernières dates correspondent à un compromis entre 2
scénarii, celui promu par Laurent Fabius et Jean-Yves Le Drian d’un scrutin
rapide et totalement bâclé, favorable à tous les dictateurs d’Afrique centrale,
Sassou Nguesso et Idriss Déby en particulier, et celui plus lent d’une
démocratisation réelle au travers d’une organisation progressive des démocrates
centrafricains, qui pourrait faire tâche d’huile.
D’une certaine manière les conclusions du Conseil européen
sur la République Centrafricaine du 17 novembre 2015 expriment les contradictions
entre les objectifs et priorités qui sous-tendent ces 2 scénarii : « L'UE continue d'étudier les conditions
nécessaires à l'envoi d'experts électoraux lors des prochains scrutins en RCA
dans la continuité des efforts déjà engagés, dans un environnement sécuritaire
adéquat grâce à l'appui des forces internationales. » Si les conditions
étaient réunies, comme elle le laisse croire, il n’y aurait pas besoin d’étudier
ces conditions et l’observation ne serait pas dangereuse.
Dans l’expression du piège pour le futur pouvoir élu
s’exprime la lenteur de la restructuration de l’Etat, qu’il y ait ou non
élection. Une compréhension dialectique permettra suite au scrutin d’estimer
les qualités du changement. Il y aura sans doute une certaine légitimité issue
des urnes, même si le processus est mauvais parce qu’il n’y pas de président
dictateur sortant et d’ancien parti unique dominant, mais cette légitimité ne
règlera pas suffisamment ou très peu la question des moyens de redresser la
situation au niveau militaire, social, administratif, ce qui fera que le débat
sur le poids des responsabilités centrafricaines ou de la communauté
internationale devrait continuer.
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