mardi 17 novembre 2015

17 novembre 2015, Paris, Algérie, à propos du journal El Watan

Ce mardi 17 novembre 2015, le festival Maghreb des filmsest au cinéma Le Louxor, près du métro Barbès. Je tente une seconde timide sortie dans Paris, après le massacre de 13 novembre qui a accaparé mon esprit depuis 3 jours. Le documentaire ‘Contre-pouvoirs’ de Malek Bensmaïl, en avant première, a attiré mon attention parce qu’il parle de la campagne de l’élection présidentielle de 2014 en Algérie. Les films sur les élections en Afrique sont rarissimes et comme journaliste spécialisé dans les processus électoraux, je ne peux manquer ce documentaire. L’invitation par mail  évoque une « une élection gagnée d’avance » par Abdellaziz Bouteflika pour son 4ème mandat.
Le film que je vois n’est finalement pas un film sur l’élection, mais plutôt un film sur le journal algérien El Watan. La presse en Afrique étant un autre sujet qui me passionne également, je suis tout aussi content de voir le documentaire et de participer au débat. Les films sur la presse dans les dictatures ou « régimes autoritaires », sont encore plus rares que les films sur les élections. Le spectateur peut entrer dans le quotidien d’une rédaction, comprendre comment se prennent les décisions. El Watan s’oppose régulièrement au président Bouteflika. Des passages évoquent quelques scandales ou mauvaises habitudes du système, par exemple avec les entreprises qui, pendant la campagne, donnent des cadeaux qui vont dans la poche d’individus. Il montre aussi un mouvement citoyen, Barakat, très actif autour du scrutin et auquel participe un journaliste.
Au débat, sont présents le réalisateur Malek Bensmaïl, le directeur d’El Watan, Omar Belhouchet, la correspondante parisienne, et un journaliste très présent dans le film, Hassen Malek (photo : de gauche à droite : Hassen Malek, l’animateur, Malek Bensmaïl, Omar Belhouchet). Les questions permettent de compléter la compréhension de ce qu’est le journal, ses 25 ans d’histoire. Les actionnaires sont 18 journalistes. Le media s’est renforcé progressivement a axant sa stratégie sur son indépendance financière, grâce à la publicité et à la maîtrise de sa distribution et de l’impression, en évitant d’aller trop vite sur internet. Le journal en langue française sort maintenant à 140 000 exemplaire avec seulement 18% d’invendus. Son directeur pense qu’il est maintenant un exemple pour les journaux dans les régimes autoritaires. Omar Belhouchet précise bien qu’il ne parle pas de dictature mais de « système autoritaire ». C’est un point qui m’intéresse, puisque je classe les régimes en Afrique régulièrement, et que je pense moi que l’on peut classer l’Algérie dans les dictatures en Afrique, s’il faut choisir entre ‘démocratie’, ‘dictature’ et ‘régime intermédiaire, en transition ou indéterminé’. El Watan s’est toujours engagé sur des sujets délicats : « corruption, armée, police politique, santé de Bouteflika » a été suspendu 7 fois à partir de 1993, a connu des arrestations, de la prison. Maintenant, comme partout en Afrique, les attaques sont plus discrètes et perfides, pour éviter d’attirer l’attention des défenseurs internationaux. Après la présidentielle de 2014, le journal a perdu 60% de son budget publicitaire et a été obligé d’augmenter son prix, sans que les ventes ne baissent. Depuis 1999 au pouvoir, Bouteflika n’aime pas la presse algérienne, à laquelle il n’a jamais accordé aucune interview.
Je suis étonné que le documentaire montre des débats sur de l’analyse politique mais ne mette pas en avant des journalistes et techniques d’investigation, avec des scoops basés sur des documents, des enregistrements secrets. Hassen Malek répond à ma question en indiquant qu’il y a un verrouillage très fort du pouvoir qui empêche l’investigation et y voit une faiblesse de la presse algérienne. J’avais toujours pensé que la faiblesse structurelle de la presse en Afrique pouvait être la cause du manque d’investigation, mais je comprends alors que le type de régime peut être une raison plus profonde. Dans des dictatures moins organisées, une presse légère, comme Tribune d’Afrique au Togo entre 2009 et 2013, peut arriver à faire ce qu’un journal solide est empêché de faire ailleurs.
Je sais que je pourrais retrouver les informations à mon bureau, mais je profite du débat pour interroger Omar Belhouchet sur le processus électoral et les techniques de fraudes. Le score soviétique de Bouteflika a été de 81,53% au premier tour. Un processus électoral, ce n’est pas si compliqué, il est bon que le public du Louxor sorte de la salle bien informé. Selon le directeur d’El Watan, le fichier électoral est de très mauvaise qualité, avec 4 à 5 millions d’électeur-trice-s en trop, qui font autant de voix supplémentaires pour le président sortant. Ensuite, les procès verbaux ont disparu et l’administration a inventé des chiffres, sans aucun contrôle de type Commission électorale indépendante. L’Ue sous la pression du pouvoir a mis 6 mois à sortir, trop tard, un rapport accablant. Le journal a subi des attaques financières suite à ses enquêtes sur le processus électoral.
C’était mon premier passage au festival Maghreb des films, et j’ai passé une excellente soirée, apprenant beaucoup de choses sur l’Algérie, sur le fonctionnement de la presse indépendante au milieu d’un « système autoritaire ». Régis Marzin, Paris, 21 novembre 2015

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