Ce jeudi 13 avril, je suis invité par la commission
Transnationale d’Europe Ecologie Les Verts à parler de « la politique africaine de la
France durant le quinquennat de François Hollande ». J’interviens comme
journaliste dans le premier panel, avec Félix Blanc, qui est enseignant-chercheur
à l’EHESS et a contribué au « Livre
Vert de la Défense » (Sénat / EELV, 2014) et Julie Owono d’Internet
sans frontières. La modératrice est Elise Lowy, déléguée aux relations
internationales du bureau exécutif d’EELV.
Le second panel est ensuite
dédié aux cas de Djibouti, du Gabon, du Tchad et du Congo Brazzaville, avec
pour intervenants Maki Houmed-Gaba, représentant en France de l'Union pour le
Salut National (de Djibouti), Makaila Nguebla, le célèbre blogueur tchadien et Benjamin
Moutsila, de la Fédération des Congolais de la Diaspora (Congo B), et le
modérateur Régis Essono, responsable du groupe Afrique EELV également mobilisé
sur le Gabon.
J’interviens en premier sur le
bilan de François Hollande. Je commence par préciser les phases. On ne peut
comprendre la politique française en Afrique sans voir le lien avec la seconde
phase du quinquennat de Nicolas Sarkozy. Sous Sarkozy, il y a eu d’abord la
période Kouchner au Ministère des affaires étrangères de 2007 à 2010, puis le
passage d’Alain Juppé du ministère de la défense au MAE, avec, alors, les interventions
militaires en Libye et en Côte d’Ivoire, qui ont replacé l’armée française au
centre du jeu politique après une période de retrait. Donc en 2012, Hollande et
le gouvernement ont récupéré un processus de revalorisation de l’armée
française déjà fortement engagé, qu’ils n’avaient ensuite qu’à poursuivre, d’une
autre manière.
La première phase a été courte :
mi-2012 à fin 2012, une période d’indécision avec des signaux positifs sur la
démocratie. Puis à partir du voyage de Déby à Paris en décembre 2012, jusqu’à
mi-2014, s’est déroulé la phase liée à la guerre au Mali, où l’influence de l’armée
française a déséquilibré la politique française, où la démocratie a été oubliée,
ce qui a permis aux dictateurs des ex-colonies d’en profiter. A partir de
mi-2014, quelques mois après le remplacement de l’Amiral Guillaud par le
général de Villers comme chef d’Etat-major de l’armée, les excès ont été
gommés, et la politique s’est partiellement rééquilibrée, sans arriver pour
autant à un discours correct sur la démocratie. Le pire venait d’être évité en Centrafrique
en obligeant Déby à laisser la place aux forces de l’Onu et c’est aussi très
important de souligner ce qui a failli arriver. Puis, le gouvernement a fait
preuve d’un certain suivisme sur la crise des constitutions dans les Grands
lacs, en participant correctement sur la RDC et le Burundi, mais le soutien à
Sassou en octobre 2015 sur le référendum est resté comme la pire erreur. La forte
mobilisation sur le climat a suivi et concerne fortement l’Afrique. En 2016,
année de 4 coups d’Etat constitutionnel, l’exécutif français a finalement choisi
de ne pas s’engager pour la démocratie, comme le reste de la communauté
internationale.
Un autre point de vue consiste
à constater qui ont été les décideurs de la politique française pendant 5 ans. L’étude
détaillée de la participation française au génocide du Rwanda a permis de comprendre
un peu mieux ce que peut-être un fonctionnement en « cercle restreint »,
sans vouloir en comparer les effets. Les principaux décideurs ont été autour de
François Hollande, le Ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, et son chef
de cabinet, Cédric Lewandowski, le Ministre des affaires étrangères, Laurent
Fabius, puis Jean-Marc Ayrault, et leurs directeurs Afrique, Jean-Christophe
Béliard, puis Rémi Maréchaux en 2016, les conseillers à l’Elysée, Hélène Le Gal
et Thomas Mélonio, les chefs d’Etat-major, l’Amiral Guillaud, puis en 2014 le Général
de Villiers, et le chef d’Etat-major particulier du président, le Général Puga,
remplacé mi-2016 par le Général Rogel. Le parlement français s’est contenté de suivre
le mouvement en proposant quelques bons rapports.
En fin de mandat, Hollande
assume son non-engagement pour la démocratie, en parlant
de sécurité et de développement en oubliant
la démocratie. D’un point de vue théorique, l’ « approche globale »
en 3 pôles, ‘Paix et sécurité’, ‘Economie et développement, ‘Démocratie et
droits humains’ est pourtant acceptée et a été appliquée en Centrafrique et en
RDC. La question qui se pose en France est la capacité d’équilibrer les 3 pôles
si l’influence de l’armée est forte. Sous Hollande, cela n’a pas été équilibré
du tout. Cela a fragilisé l’approche européenne à ce niveau. Au pire, le danger
serait que l’Union européenne s’habitue à ce déséquilibre en France et s’en
accommode au point de vouloir utiliser les forces françaises comme son bras
armé sans exiger d’effort du gouvernement français sur la démocratie en
Afrique. Ce déséquilibre a par ailleurs participé à scinder en deux la gauche
et la droite du PS et à affaiblir l’alliance de gouvernement avec les Verts.
Pourtant, les socialistes
avaient une solution évidente à appliquer en Afrique, celle de participer à
exiger fermement une augmentation de la qualité technique des processus
électoraux, sans concession pour les fraudeurs. L’influence des militaires
français et l’alliance avec Idriss Déby ont empêché le débat à ce niveau. Le
gouvernement français s’est coupé des sociétés civiles et des démocrates africains.
L’année 2016, année des coups
d’Etat constitutionnel aboutit sur la crise des législatives d’Afrique
centrale. La position européenne critique sur le Gabon montre en négatif la
mauvaise position française. Le PS n’avait sans doute pas de recul sur l’histoire
des élections en Afrique depuis 1990. Le génocide des Tutsis du Rwanda en 1994
a fortement terni de bilan de François Mitterrand mais a aussi caché l’arrêt brusque
vers 1994-1995 du lancement d’un processus de démocratisation continental rapide
entre 1990 et 1994. Le PS aurait sans doute eu à faire un travail de deuil sur
sa participation historique ambivalente dans les années 90 avant de revenir au
pouvoir en 2012.
Ayant assez développé ma
partie, je résume la suite de la conférence plus rapidement. Félix Blanc souligne
le rejet de la jeunesse africaine, et revient sur la coopération militaire, le
redéploiement, avec 10 000 soldats actuellement, le poids du ministre
augmenté par exemple par la cosignature rétablie par Hollande des ordres par Ministre
de la défense.
Julie Owono explique que la
politique française a été décevante concernant la défense des libertés sur
internet. Le gouvernement a mis l’accent sur les aspects économiques en
réaction au recul de la présence française, sans constater que la liberté
économique est impossible sans liberté politique. Lors des élections, les
coupures d’internet se sont multipliées, parfois, alors que des gens se faisait
massacrer. Elle souligne aussi le risque au niveau de la perception des jeunes.
Elle insiste sur la coupure actuelle au Cameroun anglophone, puis précise que la
coupure d’internet est une spécialité des pays francophones.
Un court débat permet de
parler de l’élection française de 2017. Je suppose que la question des élections
en dictature ne tardera pas à revenir sur le devant de la scène, en particulier
en Afrique centrale, et qu’un nouveau gouvernement français va devoir se positionner
plus clairement. En particulier, il faudra observer comment évoluera la
position française en vue des législatives au Tchad. L’alliance avec le
dictateur-fraudeur peut-elle perdurer ? Les effets négatifs de cette
alliance ont déjà été bien analysés. Une question qui se pose dans le contexte
actuel est aussi de savoir si le point de vue des partis politiques compte face
à l’appareil d’Etat, puisque les partis politiques seront plus nombreux à l’Assemblée
et que le débat pourrait s’approfondir.
Pendant le seconde panel, sur
le Gabon, Régis Essono souligne qu’après 8 mois, Hollande n’a rien dit, ce qui
place les français « à la croisée des chemins », « à devoir
décider si la France est du côté de la démocratie ou du côté de ses intérêts ».
Sur le Congo Brazzaville,
Benjamin Moutsila, rappelle ce qui s’est passé en octobre 2015, quand le
gouvernement congolais a fait des affiches avec la phrase de Hollande sur la
constitution. Hollande n’a ensuite rien dit sur la cinquantaine de morts qui
ont suivi, ce qui a évoqué les « massacres à huis-clos des années
1997-2000 ». Il explique qu’il y a actuellement des morts en forêts dans
le Pool.
Sur Djibouti, Maki Houmed-Gaba
de l’USN revient sur les 6 bases militaires dont dépend son pays. Il y a « un
mauvais mariage avec la France, qui s’est aggravé ». Les bases militaires
servent aussi à enregistrer les communications au Soudan, en Erythrée, au
Yémen, en Arabie saoudite. Les loyers des bases ne sont pas redistribués. 60%
de la population est au chômage, 40% dans une « pauvreté absolue ». En
2013, le résultat des législatives a été totalement inversé, au bout d’un
moment l’ambassadeur de France a demandé la publication des procès-verbaux,
mais quand Guelleh a refusé, il n’a pas insisté, puis cet ambassadeur trop
exigent a été retiré avant le coup d’Etat électoral d’avril 2016. Maintenant, « la
France est dépassée par son propre jeu, avec la base militaire chinoise et
une économie qui tourne sans la France ».
Sur le Tchad, Makaila Nguebla
est lui aussi très critique, car « Hollande est arrivé après le printemps
arabe, puis s’est embourbé dans un certain strabisme, en ne soutenant pas la
société civile, les journalistes, les démocrates neutralisés ». Les
élections fraudées ont eu lieu au nez et à la barbe de Hollande. Paris ne s’est
pas indigné des exactions de son allié. Le Drian est devenu l’ami de Déby. Les
tchadiens ont été « humiliés ». Selon lui, au lieu de croire que Déby
est indispensable à la lutte contre le terrorisme, les français et européens
devraient s’appuyer sur la société civile et les media libres. Voir aujourd’hui
Le Drian avec Macron l’inquiète alors que cela devrait poser problème aux
électeurs.
Régis Essono conclut sur le
mauvais calcul à court terme du soutien aux dictatures par le biais sécuritaire,
alors que les dictatures alimentent les flux migratoires et sont un facteur de
violence. Puis Lucie Schmidt de la Fondation pour l’Ecologie politique souligne
l’importance des « lanceurs d’alertes » et le besoin d’« une
démocratie réelle ».
Régis Marzin,
article écrit et publié le 20 avril 2017
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