Après une première soirée sur des
musiciens engagés de Kinshasa, le festival Africolor s’intéresse aux artistes
soudanais sous deux angles, tous les deux politiques, en mettant à l’honneur
des « artistes en exil, réfugiés, migrants » puis en présentant la
musique en contexte de conflit armé.
Le vendredi 8 décembre, la soirée « Hospitalités » est
organisée à la salle MC93 de Bobigny. La première partie « Refugees for
Refugees » regroupe des musicien-ne-s de de diverses régions du
monde.
Pendant, la seconde partie, l’orchestre Lamma
Orchestra invite la chanteuse soudanaise Alsarah et six autres
chanteurs et choristes. Le spectacle est une création du festival.
Des liens entre artistes et festivalier-ère-s semblent s’être créés autour de cette soirée. Quand Alsarah arrive avec ses trois musiciens et une autre chanteuse, les « Nubatones », l’ambiance monte. C’est aussitôt chaleureux. Cela danse sur les côtés de cette très grande salle en gradin. Je n’étais pas à la Table ronde en amont des concerts sur le thème « Quel statut pour les artistes en exil ? », mais je me doute que quelque chose s’est passé qui a créé cette atmosphère.
Des liens entre artistes et festivalier-ère-s semblent s’être créés autour de cette soirée. Quand Alsarah arrive avec ses trois musiciens et une autre chanteuse, les « Nubatones », l’ambiance monte. C’est aussitôt chaleureux. Cela danse sur les côtés de cette très grande salle en gradin. Je n’étais pas à la Table ronde en amont des concerts sur le thème « Quel statut pour les artistes en exil ? », mais je me doute que quelque chose s’est passé qui a créé cette atmosphère.
Depuis
quelques semaines, la question des migrants est dans toute les têtes. Les
soudanais-e-s passent par la Libye pour arriver en Italie, en France, en
Grande-Bretagne. L’Europe a bloqué les flux à l’été 2017,
rationnalise la gestion migratoire et négocie avec les Etats africains ou l’Union africaine. Les décisions
s’enchainent à un rythme effréné depuis novembre 2016. Les deux pays en Afrique
où ces négociations posent un grave problème ou sont impossibles à mener sont
le Soudan et l’Erythrée, des pays où les migrations sont essentiellement
politiques et justifiées par les situations extrêmes de guerre et de répression.
Il y a quelques semaines éclatait un scandale en Belgique qui a aussi touché la
France : « Paris
et Bruxelles auraient permis à des agents du renseignement soudanais
d’identifier des migrants dissidents dans des centres de rétention en France et
en Belgique ».
Dans cette soirée, ce
sont les musicien-nes exilé-e-s « qui accueillent ». L’art
n’a pas de frontières. On partage un instant et on se rencontre un peu. Demain,
la rationalisation de la politique migratoire européenne continuera peut-être
par des priorités géographiques plus marquées dans l’accueil des exilés
politiques. Elle pourrait aussi continuer par une facilitation des voyages pour
les étudiant-e-s, les chefs d’entreprises, les journalistes, les responsables
associatifs, les sportifs et aussi les artistes. « Le cœur a ses
raisons que la raison ne connaît pas » (Blaise
Pascal). Qu’est-ce
que l’on comprend par la musique en concert de l’exil ou de la situation des
pays d’où viennent les artistes ? Peut-être peu de choses, encore. La
rationalisation de la politique migratoire européenne touche chaque personne
individuellement, dans les sentiments qu’il ou elle éprouve, et remet parfois
en cause certaines convictions.
Deux jours plus tard, au cinéma le Studio à Aubervilliers
est projeté le film ‘Beats of the Antonov’ du réalisateur soudanais Hajooj
Kuka, un documentaire de 2014 tourné au Kordofan du Sud – région aussi appelée ‘Montagnes noubas’ - et le Nil Bleu, deux provinces soudanaises du Sud touchant la
frontière du Sud Soudan. Au milieu des images de guerre assez exceptionnelles,
combats à terre et bombardements, réapparait la chanteuse Alsarah. Avant
de partir vivre aux USA, la chanteuse était chercheuse et étudiait la musique
dans les villages des rebelles, en particulier les musiques de filles, des
chansons populaires écrites par des filles et chantées au rythme de percussions
rudimentaires.
Alsarah ne peut être là à Aubervilliers pour en dire plus
parce qu’elle a repris un avion dès le samedi. Jérôme
Tubiana, anthropologue et journaliste, spécialiste des deux Soudan
intervient après le film. A l’aide de quelques diapositives, le chercheur nous
présente les conflits au Darfour, au Sud du Soudan, au Soudan du Sud. Il
clarifie quelques points du film : le camp de réfugiés est au Soudan du
Sud dans une zone « en sécurité » et les combats entre le SPLM (Sudan People's Liberation Movement) et l’armée soudanaise se passe eux au Soudan. Le SPLM est issu du SPLA
(Sudan People's Liberation Army)
devenu ensuite l’armé du Soudan du Sud. Les
civils sont proches des rebelles. Les Antonovs larguent des barils de méthane. Cela
rappelle le Darfour où il y a eu des bombes incendiaires et des armes chimiques.
Il explique que la guerre a repris en 2011 après les élections « truquées »
de 2011 en particulier celles des gouverneurs. Les
accords de paix ne sont pas respectés.
A partir de la musique, le film expose longuement une origine
culturelle du conflit entre l’Etat soudanais et des minorités. Au monts Nouba,
se croisent 80 ethnies. Pour Jérôme Tubiana,
les chansons parlent de la guerre, libèrent la parole, et, la
musique n’est pas spécialement pacifique. Il y a des chansons racistes des deux
côtés, contre les « noirs » et contre les « arabes ».
En ce qui concerne les religions, il est question au sud de
Soufisme, les combattants rebelles sont musulmans,
chrétiens ou animistes. Le pouvoir à Khartoum est lié aux Frères
musulmans. Jérôme Tubiana explique qu’à la
capitale on voit cette guerre comme un « djihad ».
Cependant le chercheur, répondant à une dernière question de
la salle, revient sur les causes de la guerre. Selon lui, « quand le
Soudan est devenu indépendant, les anglais ont donné le pouvoir à des familles
du centre, une une minorité arabe, une élite », ce qui a conduit à un
conflit culturel implicite, quand le parti au pouvoir est devenu religieux et s’est
associé aux Frères musulmans. « La guerre est faite pour empêcher une
majorité démocratique de reprendre le pouvoir », alors que Khartoum n’est
pas la partie la plus riche.
En tant que spécialiste des élections et de la
démocratisation de l’Afrique, j’en déduis que la nature dictatoriale du régime
est une autre cause de la guerre. Au Soudan du Sud, la guerre a repris en 2013.
La guerre a sa propre logique, génère un engrenage dont il est difficile de
sortir. Au Tchad, sur lequel Jérôme Tubiana sort cette semaine-même un brillant rapport cosigné par Marielle Debos, l’opposition
à la dictature est maintenant
pacifiste dans le pays, et, les rebellions sont contenues au Soudan et en
Libye. Cet exemple éclaire à contrario sur le Soudan, sur le fait que la paix pourrait
être un préalable à une démocratisation.
Aux monts Nouba et au Nil bleu, les conflits culturels et
religieux, que le réalisateur du film, Hajooj Kuka a mis en exergue, forment une autre partie
des causes mais pas toutes les causes. Le film est très bien réalisé, la thèse sur
la culture et la guerre est alléchante, elle brise certains tabous, mais simplifie
aussi la réalité du conflit.
Peu importe ! Grâce à la musique et au chant, du spectacle
festif du vendredi aux réflexions sur la culture et l’art dans la guerre du
dimanche, le festival Africolor a permis aux spectateur-trice-s de découvrir des
aspects peu connus du Soudan et de réfléchir sur la place de la musique dans
des circonstances historiques difficiles.
Régis Marzin
Article écrit et publié le 14 décembre 2017
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire