lundi 19 novembre 2018

19 novembre 2018, Plaine-Saint-Denis, Campus Condorcet : histoire de tout ?

« Les historiens affrontent l’inégalité de nos capacités de compréhension des sociétés du passé. L’inégalité dérive du rapport entre sociétés européennes et sociétés colonisées dont les discours, les images, les normes, les croyances obéissent à des styles, à des cadres, à des langages qui sont compréhensibles mais pas identiques à ceux des Européens. » Ce lundi 19 novembre, je suis attiré au Campus Condorcet par ce début d’introduction de la présentation de la conférence de l’historien Jean-Frédéric Schaub, de l’EHESS. Ce spécialiste des mondes hispaniques et de l’« assymétrie dans l’histoire comparée », auteur en 2015 du livre « Pour une histoire politique de la race », se propose de traiter la question « Peut-on faire l’histoire de tout ? ».
Le chercheur commence par décortiquer sa question : « histoire », « tout », « pouvoir » - la capacité ou le droit -, et « on ». Il part d’un axiome : « Tout ce qui a eu lieu a bien eu lieu » : c’est-à-dire, qu’« il n’est pas possible d’intervenir sur le passé » quand on écrit « l’histoire de ce qui a eu lieu ». Le fait que « nos ancêtres ne connaissaient pas le futur et nous ne connaissons pas le futur » définit, selon lui, la liberté. « Tout ce qu’on croit stable subit le changement » et « l’histoire reconstitue les processus sociaux et les regards que les hommes s’en faisaient », ajoute-t-il.
Il évoque un « rejet de l’histoire née en occident » associé à la dénonciation d’une « domination culturelle ». Il précise que « ce qui est visé, c’est un discours sur l’histoire attribué à Hegel » qui a développé un « différentiel entre les peuples » en plaçant les « africains au plus bas ». L’histoire de l’histoire ou des histoires, montre, selon lui, « un ensemble de traditions et de propositions contradictoires ». Même si chacun tente d’éviter les contradictions, selon un critère de cohérence interne », il y a « beaucoup d’incohérences ». Par exemple, Condorcet a pensé « une convergence progressive de toutes les sociétés vers un modèle unique » a combattu l’esclavage, et voyait l’occident comme une « avant-garde » tout en « défendant les victimes ». Il parle ensuite des « civilisations » au XIXème siècle, à l’époque d’un « eurocentrisme », pour lesquelles il n’y a pas eu de « conception unique ».
A propos de « tout », il constate depuis internet et le « désenclavement de la globalisation » un changement de « rapport au monde du passé ».
A propos de « pouvoir », l’historien parle d’« enjeux moraux et politiques ». Il y avait des sujets auparavant objets de réticences, comme « les pauvres, les femmes, les colonisé-e-s » quand les sujets prioritaires étaient « les décisions politiques, la diplomatie, les stratégies militaires ». Plus récemment, les sujets sont remis en causes dans une approche « post-démocratique » qui succède à une période « démocratique », vers une disparition des « classes, genres et races ».
A propos de « pouvoir », cette fois au niveau d’une faisabilité plus technique, il rajoute que les vainqueurs laissaient beaucoup plus de traces que les vaincus, les riches que les pauvres, et les hommes que les femmes. Il parle de « duperie » dans « l’histoire de l’ancien colonisateur ». Il y a de l’inégalité en volume et en qualité de sources et aussi en conservation selon le climat. Et, il ne faut pas oublier les enfants ! Il insiste sur la langue des sources et sur la nécessité de traduire des sources.
Enfin, il arrive au « on », c’est-à-dire à « qui est habilité ? ». Il mentionne des actes de censure artistique aux Etats-unis de personnes qui voudraient réserver le discours sur les « noirs » aux « noirs », alors que des historiens variés ont travaillé sur l’histoire des juifs, des esclaves, ou encore qu’il y a des « garçons féministes ».
L’historien conclut que, « oui, on peut faire histoire de tout ». Selon lui, à propos de « l’occident », « tous les systèmes colonialistes sont différentialistes ». Il invite à « résister à une communication identitaire » et termine sur l’« universalisme méthodologique » une notion encore très mal traitée par Google.
Je pose la première question : « Peut-on dire que l’on peut faire histoire de tout sauf des crimes trop récents ? A cause des accusations de diffamation, à cause des amnisties, de l’évolution du droit, de la censure venant des Etats ? Que fait-on quand les crimes sont déterminants ? Il répond sur la censure des Etats : celui lui évoque l’histoire algérienne et la Yougoslavie. Il pense que l’ont peut étudier la censure. Le débat est ensuite très court et se résume à quatre questions, car il faut rendre la salle ! Jean-Frédéric Schaub termine sur la boulette du discours de Dakar de Nicolas Sarkozy « L’homme africain n’est pas entré dans l’histoire », selon lui, une erreur de copier-coller de l’éloge de de Gaulle à Félix Eboué de 1947.
Dans le couloir, pendant le pot, je réussi très rapidement à faire remarquer à Jean-Frédéric Schaub que je le trouve trop sur la défensive sur les accusations de dominations culturelles liées à la colonisation et au processus de racialisation. Il admet qu’il revient des Etats-Unis. La conférence a lieu à Saint-Denis, mais à Plaine, assez loin de la fac, et avec un public d’Aubervilliers surtout, de la ville du consensus en fin de vie. Me consacrant moi-même à écrire l’histoire récente et plus ancienne des élections en Afrique en tenant compte de l’histoire de la domination coloniale partiellement écrite, je ne pourrais pas faire ce travail en étant sur la défensive. Il y a des faits à découvrir qui sont difficiles à mettre en évidence que ce soit, pour les historien-ne-s, les politologues, ou autres chercheur-se-s, que ce soit par des juges, des politicien-ne-s, des militant-e-s, des journalistes ou des journalistes d’investigation, qu’ils ou elles soient d’un pays ou d’un autre. Dans certains cas, l’histoire est aussi un sport de combat, focalisé sur la recherche de résultats par les plus motivé-e-s.
Régis Marzin
Compte-rendu écrit et publié le 26.11.18

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