jeudi 23 octobre 2025

L’Afrique contre la démocratie, mythes, déni et péril, d’Ousmane Ndiaye, juin 2025

L’Afrique contre la démocratie, mythes, déni et péril, d’Ousmane Ndiaye, Sénégal, Riveneuve (Paris), 6.2025, 172p

Après l’excellent livre ‘Blues démocratique, 1990-2020’ de Francis Laloupo en 2022 chez Karthala, voici un nouveau livre de défense de la démocratie en Afrique facilement identifiable, cette fois chez l’éditeur parisien Riveneuve, ‘L’Afrique contre la démocratie, mythes, déni et péril’, du journaliste sénégalais Ousmane Ndiaye, sorti en juin 2025.

Qui arrêtera le néo-panafricanisme rejetant la démocratie ? Alors que se portent comme un charme les régimes antidémocratiques en Afrique francophone, sur les réseaux sociaux se répandent des discours identitaires et antidémocratiques. Ousmane Ndiaye analyse des causes du « rejet » de la démocratie, répertorie un par un les arguments et en démontrent la fausseté. Il regrette la focalisation extrême sur la France et l’occident, qui simplifie les logiques et oublie les responsabilités locales. Pour parler des élections sans démocratie depuis 1990, l’auteur utilise l’expression « fiction démocratique ». Il souligne le rôle négatif d’une série d’« opposants historiques », Alpha Condé, Abdoulaye Wade et Laurent Gbagbo. Je me demande s’il peut sortir autre chose qu’une confusion médiocre des réseaux sociaux, quand le mensonge et la confusion sont déjà bien présents à propos de l’histoire politique africaine. Si le livre connaît un certain succès depuis quatre mois, c’est qu’il répond correctement à de bonnes questions.

Pour l’auteur, « les dynamiques démocratiques ont traversé les sociétés africaines avant la colonisation et la démocratie ne se réduit aux institutions et au suffrage universel ». L’argument contredit l’idée néo-panafricaniste d’une « démocratie importée de l’Occident par la colonisation et inadaptée à l’Afrique ». Selon moi, l’histoire du lien entre élections, démocratisation et colonisation et décolonisation reste à écrire. Justement, m’en inquiétant depuis longtemps, je publierai sans doute bientôt un livre sur l’histoire des élections en Afrique dans 53 pays de 1792 à 1990. De mon point de vue, les élections, qui permettent un type de prise et de maintien du pouvoir, sont tellement stratégiques et centrales, qu’il importe peu, maintenant, pour l’évolution de la situation et pas pour le bien-être que permet une compréhension historique profonde, que des éléments de démocratie aient été présents avant la colonisation, parce que la situation actuelle dépend surtout de l’absence ou de la présence de démocratie dans les processus électoraux depuis le retour du multipartisme dans 36 pays à partir de 1989. La qualité des processus électoraux et le type de régimes politiques sont liés. Certes, l’argument pourrait éloigner certains d’un néo-panafricanisme détaché des réalités historiques. Si en théorie, élections et démocratie peuvent être deux thèmes qui s’éloignent, en pratique, la qualité des processus électoraux a tendance à fortement déterminer le type de régime et un certain nombre d’éléments de contextes, comme la liberté d’expression. Les régimes antidémocratiques ont au centre de leur stratégie de pérennisation de l’imitation des processus de création de légitimité populaire. La question ne se pose pas de la même manière à Dakar ou dans les capitales des anciennes colonies françaises qui ne connaissent pas actuellement de régimes démocratiques.

J’ai aussi besoin de préciser un autre point approximativement abordé. L’histoire de « la Baule » reste elle-aussi à écrire ou à publier. Sans les détails de l’histoire, il est difficile d’en parler et d’incorporer l’épisode dans un raisonnement. Ceux qui parlent de « la Baule », évoque en réalité souvent sans le savoir et le connaître, le projet de soutien international de retour au multipartisme de 36 pays sur 53 en 1990 et 1991. Le projet n’a duré que deux ans puis les acteurs internationaux, une partie des dirigeants européens, la Communauté européenne, le Canada, les USA, le secrétariat général de l’ONU, la Banque mondiale et le FMI, ont arrêté d’agir de manière concertée. Ce projet n’a pas eu pour objectif de prendre en compte la qualité des processus électoraux mais juste d’accompagner le retour du monopartisme au multipartisme tout en gérant des questions de finances et d’endettement. Mitterrand n’a fait que jouer le rôle d’étendard. Le ministre de la Coopération française, Jacques Pelletier, en a été une sorte de chef de projet, à Paris. Le principe opérationnel, comme pour les indépendances, a été de lancer un vague dans les anciennes colonies françaises et de la faire devenir continentale. Préciser que les luttes locales ont été souvent prépondérantes ne permet pas de sous-estimer l’importance des apports externes. Le bilan du soutien a été mitigé et son estimation a été embrouillé par des discours officiels mensongers de part et d’autre et par le retournement d’objectif de François Mitterrand fin 1991. Une partie de la démocratisation de l’Afrique s’est faite grâce au retour du multipartisme mais une partie seulement. Il y a un démarrage de processus continental incertain. La démocratisation et les réformes se sont ensuite avérées plus solides et durables dans les anciennes colonies britanniques.

Un autre point mérite sans doute d’être précisé. Depuis 2016, le recul de la démocratie est mondial. En Afrique, la phase de recul depuis 2016 a été précédée d’autres phases depuis 1990 et le retour du multipartisme dans 36 pays, un point de départ historique. Les principales phases de démocratisation ont été 1990-1995, 1999-2006 et 2011-2015. Depuis 2016, le recul de la démocratie est surtout basé dans les anciennes colonies françaises, à cause des Comores, du Bénin, de la Tunisie, du Mali, du Burkina Faso et du Niger. Ainsi, la démocratie reculait déjà en Afrique francophone avant les coups d’Etat du Sahel, depuis 2016. Depuis 1990, le travail extérieur de soutien à la démocratisation a été important même si son efficacité a été moyen. Ce travail trouve son efficacité dans les Etats en construction sans pouvoir sortant bloquant, par exemple en suite de guerre. Les missions d’observations ne forment pas du tout un ensemble homogène. Certaines visent clairement à soutenir des processus de démocratisations, honnêtes, qu’elles soient utiles ou impuissantes face à des régimes solides débordant de créativité criminelle, d’autres sont tout aussi clairement des missions de complaisances avec des régimes antidémocratiques. En général, les missions de l’Union européennes sont les missions les plus solides et sérieuses, même si quelques-unes déçoivent. En outre, beaucoup d’énergie a été mis dans la construction d’un droit international entre 2000 et 2015 et l’effort a échoué en raison de la capacité des criminels à s’adapter. On ne peut pas signaler qu’il est malhonnête de dire que tout le mal vient de l’extérieur parce qu’il vient aussi de l’intérieur, sans noter les efforts de l’extérieur pour bien faire, même s’ils ont été insuffisants. Les régimes antidémocratiques ont appris à s’entraider depuis 1990 et à neutraliser des techniques de soutien de la démocratisation.

Après une évolution concomitante de nombreux pays au début des années 90 à la fin de la guerre froide, une histoire politique africaine reste encore à écrire. Un grand nombre de questions sont ouvertes. Le livre d’Ousmane Ndiaye tente de répondre à une partie de ces questions, qui sont plus visibles depuis la série de coup d’Etat dans le Sahel, en Guinée et au Tchad. Ce livre est une pépite pleine de pépites, qui a le mérite de tordre le coup à un certains nombres d’idées de l’époque de la société du spectacle version réseaux sociaux. Il fait partie des livres indispensables pour ceux et celles qui s’intéresse à la politique africaine.

Régis Marzin

23 octobre 2025

 

dimanche 12 octobre 2025

12 octobre 2025, Paris 18e, Ecobox, Théâtre : « Le magasin du monde » de la Fine compagnie


Ce dimanche par beau temps au Jardin d’Ecobox dans le 18e, la pièce de théâtre de la Fine Compagnie « Le magasin du monde », avec Johanne Gili, Ahlam Slama, Karim Kasmi et Bastien Lacoste, un magnifique spectacle qui évoque la colonisation et beaucoup d’autres sujets. C’est aussi l’occasion de reparler un peu avec les acteurs et actrices de la Françafrique ou encore des indépendances en 1960.

Régis Marzin

12 octobre 2025

 

mercredi 1 octobre 2025

30 septembre 2025, Paris 12e, soirée ‘Procès Bolloré : les médias de la haine devant le tribunal’

Le Fonds pour une presse libre (FPL) organise à Paris une soirée sur l’extrême droite et ses media intitulée le ‘Procès Bolloré : les médias de la haine devant le tribunal’. Le programme se présente en deux partie, la première présentant des enquêtes sur l’extrême droite et la seconde une parodie de procès de Vincent Bolloré centré sur ses media.

En introduction de la soirée, François Bonnet et Jean-Marie Leforestier du Fonds pour une presse libre (FPL) présentent l’appel à enquête du FPL sur l’extrême droite de novembre 2024. Le Fonds a proposé un financement et un soutien juridique à des media ou des collectifs de pigistes ayant un accord de publication dans un media. Neuf projets ont été retenus. Les enquêtes sont en ce début d’automne en cours de publication dans de nombreux media.

Quatre enquêtes sont présentées en ‘récit rapide’, sur l’Allemagne, l’Autriche et Gaza, Pierre-Edouard Stérin et la catho d’Angers, l’extrême droite en milieu rural, et les associations soutenues par Pierre-Edouard Stérin.  Le Collectif Hors-cadre qui présente la quatrième regroupe une dizaine de journalistes travaillant pour de nombreux media, entre autres, Reporterre, Basta, Médiacités.

Cinq autres le sont pendant un débat. De gauche à droite, expliquent leurs enquêtes, Julie Lallouët Geffroy, coordinatrice de l’enquête parue dans Basta! sur le hooliganisme d’extrême droite dans les stades bretons, Floriane Louison, journaliste indépendante, membre du collectif Presse Papiers, à Marseille, sur le bilan du Front national dans sa gestion de villes,  Julien Collinet, rédacteur en chef de La Topette, sur un village dans l’Orne près de Caen, Anne-Sophie Simpere, de l’Observatoire des multinationales, sur un « mapping » sur Bolloré et Stérin (FAF40), Marie Allenou, journaliste à Rue89Lyon, sur les attaques et la culture à Lyon.

François Bonnet annonce la création d’un Fond spécial de soutien juridique cofinancé par le FPL et l’organisation basée à Londres Media defence, appelé « Riposte », pour aider les media à se défendre dans des procédures judiciaires indues, les procédures-baillons. Les tribunaux de commerce sont de plus en plus utilisés contre les journalistes pour contourner la loi sur la presse.


Le ‘procès’ est une sorte de pièce de théâtre, une parodie entre humour et sérieux, sans limite bien précise entre les deux. Des diapositives fournissent quelques informations essentielles. La plupart des témoins insistent sur CNews, des effets de cette chaine, en particulier dans des déclenchements de « harcèlements ». Les informations les plus importantes sont énoncées par le procureur et l’avocate de la partie civile. Le procureur rappelle une affaire encore en cours, concernant Faure Gnassingbé et le port de Lomé au Togo. Le thème du climat revient à plusieurs reprises.

L’avocat de Vincent Bolloré, Me Tordjamn réalise une plaidoirie remarquable théâtralement parlant. Mais malgré ses talents oratoires, la condamnation est prononcée, radicale : « fascisation », « racisme », « absence de pluralisme », désinformation, discours « climaticide » …, une peine de « déradicalisation » et des privations de ses media, entre autres, sont prononcées avec « exécution immédiate ».

Nous sommes juste après l’événement historique de la condamnation de Nicolas Sarkozy, à 5 ans de prison fermes sur l’affaire libyenne. L’importance de la justice est dans toute les têtes. Nous sommes en plein brouillard sur la formation d’un gouvernement et sur l’avenir de l’Assemblée nationale. Trump continue d’agir. Il n’est pas certain que la forme de communication parodique s’adressant à un public militant déjà convaincu, choisie en seconde partie de soirée, observée par les sujets des enquêtes, soit efficace, étant donnés les enjeux. Le spectacle permettait de venir du monde pour écouter les journalistes de media moins connus que Médiapart. Un début de processus d’organisation et de structuration d’acteurs des media face à la montée de l’extrême droite se comprend.

Régis Marzin

1er octobre 2025